BIODIVERSITÉ
ACTU
Auteur(s) : TANIT HALFON
Le symposium sur la biodiversité et les néonicotinoïdes a réuni, le 20 septembre, chercheurs et parlementaires pour faire le point sur l’effondrement de la biodiversité. L’occasion de rappeler la toxicité prouvée des pesticides, notamment des néonicotinoïdes, sur les écosystèmes et d’exposer les alternatives possibles.
Il y a 20 ans, je n’aurais jamais imaginé qu’il aurait fallu 20 ans. » Frank Alétru, apiculteur et président du Syndicat national d’apiculture, raconte, ému, lors du symposium sur la biodiversité et les néonicotinoïdes, le jeudi 20 septembre aux salons de l’Assemblée nationale, la longue lutte menée par sa profession et certains chercheurs pour amener les politiques à interdire les néonicotinoïdes1. Si, pour cette fois, leur ténacité a payé, l’effondrement de la biodiversité dépeint par les conférenciers du colloque rappelle que la bataille n’est pas encore finie. Organisée par la Task Force sur les pesticides systémiques2 et la Société nationale de protection de la nature (SNPN), en collaboration avec la députée des Deux-Sèvres Delphine Batho et le sénateur du Morbihan Joël Labbé, la journée réunissait un grand nombre de chercheurs pour partager les connaissances acquises sur le sujet. Et le constat est brutal. Les pollinisateurs déclinent : 16,5 % des vertébrés et 40 % des invertébrés, notamment les abeilles et papillons, sont en phase d’extinction au niveau mondial. Et les néonicotinoïdes participent activement à cette disparition silencieuse.
« Les chercheurs sont convaincus de la 6 e extinction de masse », explique François Sarrazin, président du conseil scientifique de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB). Les causes ? Nous, en grande partie. Entre perte et fragmentation d’habitats, surexploitation, introduction d’espèces invasives, pollutions et changements climatiques, les pressions anthropiques sont diverses mais bien documentées. Et les conséquences majeures. Pour exemple, « selon les données de l’IPBES 3 , seuls 7 % des espèces marines et 9 % des habitats marins de l’Union européenne sont dans un bon état de conservation », souligne son collègue Jean-François Silvain, président de la FRB. L’IPBES pointe aussi du doigt l’intensification des pratiques agricoles et de la foresterie comme facteur de déclin de la biodiversité. Vincent Bretagnolle, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), s’intéresse justement à la biodiversité en milieu agricole. Dans la zone du département des Deux-Sèvres qu’il étudie, la perdrix rouge a chuté de 80 %, la grise de 95 %. « À l’échelle de l’Europe, sur une vingtaine d’années, ce sont 400 à 500 millions d’oiseaux perdus. » En cause : la baisse du cycle de reproduction dans des espaces agricoles uniformisés, mais surtout moins de disponibilité alimentaire du fait de l’usage des pesticides. « Selon nos modèles, en 2016, jusqu’à deux tiers des parcelles de colza traitées aux néonicotinoïdes pouvaient tuer la moitié de la population d’abeilles qui venaient y butiner. »
De l’avis de tous les conférenciers, des méthodes non chimiques ont fait preuve de leur efficacité. D’ailleurs, comme le souligne Jean-Marc Bonmatin, chercheur au CNRS, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a récemment montré qu’il existait au moins une solution alternative non chimique efficace dans 78 % des cas analysés et aucune dans seulement six cas. Kris Wyckhuys, ingénieur agronome et entomologiste, qui a participé à l’analyse de plusieurs programmes de lutte intégrée au niveau mondial, cite plusieurs exemples. «
Une étude de cas a révélé que les systèmes diversifiés
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incorporation de cultures intercalées, de plantes à fleurs, réduction des pesticides, etc.
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présentaient plus d’ennemis naturels et moins de ravageurs. Dans ces champs, les rendements sont plus bas, mais compensés par des coûts réduits.
» Car les conférenciers soulignent également que l’absence de pesticides ne rime pas avec un défaut de rentabilité. Vincent Bretagnolle explique avoir montré que la hausse des populations d’abeilles permettait d’augmenter l’activité de pollinisation dans les champs de colza, avec des effets positifs et significatifs sur les rendements et les marges des agriculteurs. Kris Wyckhuys détaille le cas de plantations de manioc en Thaïlande infestées en 2008 par une cochenille : les agriculteurs n’ayant pas employé de néonicotinoïdes au profit de la conservation naturelle ont vu leurs revenus augmenter de 200 à 700 € par hectare. « Aujourd’hui, les études abondent de solutions non chimiques, explique François Sarrazin. L’enjeu est donc bel et bien sociétal et politique, et pas seulement lié à un manque de connaissances.
»
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1 La loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages interdit, depuis le 1er septembre 2018, l’usage des néonicotinoïdes et des semences traitées. La loi Egalim élargit l’interdiction en excluant les substances ayant un mode d’action identique aux néonicotinoïdes.
2 Ce groupe international de scientifiques a réalisé une synthèse de 1 121 études sur les néonicotinoïdes : tfsp.info/fr/worldwide-integrated-assessment.
3 Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques.