Les insuffisances rénales d’origine toxique végétale - La Semaine Vétérinaire n° 1780 du 05/10/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1780 du 05/10/2018

THÈSE

PRATIQUE CANINE

Formation

Auteur(s) : INGRID LE LANN, HERVÉ POULIQUEN 

Les plantes représentent la deuxième cause d’intoxication du chat, loin devant les médicaments, les produits ménagers et les antiparasitaires. Les plantes néphrotoxiques sont principalement représentées par le lis, les aracées ou les plantes à oxalates (dieffenbachia, spathyphillum, philodendron) et le ficus, selon une thèse menée à Oniris (Nantes) d’après les données du centre antipoison animal et environnemental de l’Ouest (Capae-Ouest) (infographie). Ces intoxications sont graves dans le cas d’animaux très jeunes, d’ingestion plutôt que de mâchonnement, et surtout lorsqu’il s’agit du lis. Les mécanismes d’action toxique, méconnus, conduisent à une nécrose des cellules tubulaires rénales aboutissant à une insuffisance rénale aiguë (IRA) en l’absence de traitement. Les jeunes et les chats d’intérieur sont plus souvent atteints, probablement car l’introduction d’une plante constitue un divertissement.

Présentation clinique

Les signes cliniques sont frustes : vomissements, anorexie et abattement. Dans les cas plus avancés, une polyuro-polydipsie, une douleur à la palpation des reins ou une oligurie peuvent se manifester (tableau). Parfois, une période de rémission (plusieurs heures à quelques jours) s’installe, ce qui retarde d’autant plus la présentation de l’animal et assombrit le pronostic.

Étapes diagnostiques

Le diagnostic différentiel inclut des causes toxiques (anti-inflammatoires non stéroïdiens, antibiotiques, éthylène glycol, plantes) et non toxiques. La radiographie permet de visualiser des reins de taille augmentée, des calculs ou d’évaluer la taille de la vessie. L’échographie peut permettre de visualiser l’architecture interne du rein ou la présence d’épanchement ou d’ulcération de la muqueuse gastrique, une complication classique de l’IRA. Les paramètres biochimiques rénaux et l’ionogramme (urée, créatinine, potassium et phosphore augmentés ; sodium, chlore et bicarbonates diminués), ainsi que l’analyse urinaire (baisse de la densité urinaire, protéinurie, cristallurie, etc.) sont informatifs pour évaluer les dommages rénaux et faire la distinction avec d’autres maladies.

Mesures thérapeutiques

Décontamination gastrique

Il s’agit d’un des traitements les plus efficaces durant les 48 premières heures, afin de limiter l’absorption du toxique. L’IRA peut même être évitée si la décontamination gastrique est effectuée dans les 6 heures postingestion. Cela consiste à rincer la gueule, à faire vomir l’animal, puis à administrer un adsorbant, un anti-vomitif et un pansement digestif. Lors d’une intoxication aux plantes contenant des oxalates, l’administration de lait ou de jus de citron vert font précipiter les cristaux dans le tube digestif au lieu des reins.

Fluidothérapie

La fluidothérapie est un aspect majeur du traitement des intoxications, car elle permet d’éliminer les toxiques végétaux de l’organisme, de maintenir la perfusion du rein et de corriger la déshydratation. Il y a cependant des risques élevés de morbidité, voire de mortalité en cas de surcharge. Il est attendu que les valeurs rénales reviennent à la normale, cependant, un plateau s’installe souvent pour l’urémie. À partir de là, les bénéfices de la fluidothérapie sont limités, mais la régénérescence rénale peut prendre quelques mois.

Gestion de l’oligurie et de l’anurie

En cas de réponse insuffisante, le recours aux diurétiques est possible (furosémide : bolus intraveineux de 2 mg/kg [maximum 4 à 6 mg/kg], répétable toutes les heures, associé à une perfusion de 0,25 à 1 mg/kg/h ; mannitol : bolus intraveineux de 0,5 à 1 g/kg sur 15 à 20 min, répétable toutes les 4 à 6 heures, associé à une perfusion de 1 à 2 mg/kg/min [maximum 2 à 4 g/kg/j]). Il convient également de traiter l’hyperkaliémie qui accompagne les stades oliguriques et anuriques. Les traitements doivent être poursuivis tant que la fonction rénale et l’état général ne permettent pas de traiter l’animal hors hôpital. En cas d’échec, la dialyse ou l’euthanasie sont à envisager.

Dialyse péritonéale

Il existe deux types de dialyse lors d’IRA toxique réfractaire aux traitements : péritonéale et hémodialyse (4 à 8 fois plus efficace mais peu disponible). La première technique consiste à placer, sous sédation et dans des conditions d’asepsie strictes, un cathéter dans la cavité péritonéale connecté à un système de collecte fermé dans lequel passe le dialysat qui filtre les molécules toxiques. Le dialysat est une solution physiologique constituée, par exemple, de Ringer lactate et de glucose concentré à 1,5 %. Une concentration trop élevée en glucose est toxique pour le mésothélium.

L’objectif des premières 24 à 48 heures est de normaliser les valeurs acido-basiques et électrolytiques de l’animal, ainsi que de réduire l’urée (0,6-1 g/l) et la créatinine (40-60 mg/l). Les cycles de dialyse sont courts, avec un faible volume instillé (10 ml/kg), ce qui permet d’évaluer la distension abdominale, la courbe respiratoire et les fuites potentielles. Après cette période, les cycles peuvent être allongés et le volume de dialysat augmenté (30 ml/kg). Les paramètres de dialyse, ainsi que ceux de l’animal doivent être contrôlés régulièrement car les complications sont fréquentes (péritonite septique, dyspnée, hypoalbuminémie, etc.). Le taux de survie après dialyse est compris entre 44 et 60 %.

Pronostic

Les intoxications prises en charge rapidement avec une décontamination gastrique et une fluidothérapie ont un excellent pronostic. En revanche, une prise en charge tardive ou des chats anuriques ont un pronostic réservé à sombre sans dialyse, avec une mortalité rapportée de 47 à 64 %. L’hyperkaliémie, l’hypoalbuminémie, une diminution des bicarbonates et la baisse de production d’urine sont des facteurs pronostiques négatifs. La rapidité avec laquelle la créatinine et l’urée diminuent en 72 heures après traitement est un facteur pronostic positif. Les animaux de grade I ou II (créatininémie < 25 mg/l) de la classification Iris1 devraient retrouver une fonction rénale normale en 2 à 5 jours après un court traitement. Les grades plus élevés ou les animaux dont le grade augmente nécessiteront probablement plusieurs semaines de traitement. Enfin, les animaux en IRA sévère, de grade IV ou V (créatininémie supérieure à 50 mg/l), représentent un risque élevé de décès dans les 5 à 10 jours, malgré des traitements adaptés.

Complications et séquelles

Pour une grande majorité des cas, les chats n’ont aucune séquelle ni complication à l’exception de l’intoxication par le lis pour laquelle la mortalité et les séquelles de maladie rénale chronique sont plus élevées (50 % des cas). Il est nécessaire d’effectuer un suivi régulier, car la guérison complète du rein peut prendre plusieurs mois même sans phénomène chronique associé.

1 International Renal Interest Society.

Source des données chiffrées : Le Lann I. Les insuffisances rénales d’origine toxique végétale chez le chat. Thèse de doctorat vétérinaire, Oniris, 2017.

Retrouvez les références bibliographiques de cet article sur bit.ly/2C35dls.≤

Ingrid Le Lann Praticienne à Montaigu (Vendée). Hervé Pouliquen Unité de pharmacologie et toxicologie, Capae-Ouest, Oniris (Loire-Atlantique).