phytothérapie pour les ruminants : Quel avenir ? - La Semaine Vétérinaire n° 1780 du 05/10/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1780 du 05/10/2018

DOSSIER

Face à une demande grandissante des agriculteurs et dans un objectif de lutte contre l’antibiorésistance, la phytothérapie pour les ruminants n’a plus vocation à s’adresser aux seuls élevages bio. D’abord réservé à des vétérinaires pionniers, son exercice est en train de se répandre. Néanmoins, les années prochaines seront cruciales en matière législative et de recherches pour confirmer ou pas cette évolution. Quant à l’algothérapie, même si elle est déjà utilisée, elle n’a pas encore livré toutes ses richesses.

En 2017 a été créée l’Association française des vétérinaires phytothérapeutes (AFVP). Aujourd’hui forte d’une centaine d’adhérents, elle est présidée par Patrick Conesa, praticien canin à Corbas (Rhône). « Ce n’est qu’au courant du xx e siècle que cette médecine par les plantes a été balayée par l’industrie chimique, rappelle-t-il. C’est dommage, car ce secteur commençait à s’organiser et à avoir des connaissances équivalentes à celui de l’emploi des molécules chimiques. » Aujourd’hui cependant, un retour en grâce semble se dessiner pour cette pratique. « Un énorme progrès a été fait avec la création, en 2017, du diplôme interécoles de phytothérapie vétérinaire, confirme Patrick Conesa. Mais pour que celle-ci progresse en milieu rural, il faut qu’elle évolue sur le plan législatif, notamment concernant les limites maximales de résidus (LMR). »

Quant à l’évolution de la recherche, une réunion avec différents partenaires, dont l’Académie vétérinaire de France et les écoles vétérinaires, doit se tenir le 11 décembre prochain, à Nantes (Loire-Atlantique). « On ne peut pas en effet procéder comme pour des molécules chimiques, puisqu’en phytothérapie la recherche en double aveugle, molécule par molécule, est impossible, commente Patrick Conesa. Les bases de cette recherche doivent donc évoluer. » Le défi en la matière est aussi de parvenir à ce que des industriels financent des études sur des extraits de plantes qui présentent un réel intérêt pour améliorer la santé des animaux ! « Par ailleurs, complète Patrick Conesa, il faut parvenir à créer une trame commune, agréée par l’ensemble de la communauté scientifique, pour que tout le monde (laboratoires, associations, vétérinaires, etc.) effectue des évaluations cliniques en partant d’une même trame, afin de pouvoir évaluer les effets positifs et négatifs des traitements appliqués. Car même si des publications existent déjà, il est nécessaire de les multiplier, de passer à une plus grande échelle, de manière à créer des cadres factuels où l’on pourra vraiment scientifiquement débattre. »

« Une voie d’avenir »

« La phytothérapie, y compris pour les ruminants, est une voie d’avenir, à condition de parvenir à la faire avancer sur le plan de la référence scientifique méthodologique, conclut Patrick Conesa. L’émergence de plusieurs facteurs environnementaux plaide également en faveur de son développement, dont la lutte contre l’antibiorésistance. Je pense d’ailleurs que nous bénéficions actuellement d’une écoute attentive de la part des autorités sanitaires. Je suis d’autant plus persuadé de l’avenir de cette pratique qu’elle se trouve bien placée en matière de prévention. Parce qu’elle stimule le système immunitaire, permet d’apaiser le stress des animaux en alottement (en agissant notamment sur le système nerveux central), etc. Notre association indépendante entend animer dans le futur ce passionnant débat. La phytothérapie ne doit surtout pas se limiter à la seule chapelle des vétérinaires phytothérapeutes, mais bien s’élargir à l’ensemble de la profession ». En qualité d’outil complémentaire à la médecine conventionnelle…

UNE FORMATION DIPLÔMANTE EN PHYTOTHÉRAPIE VÉTÉRINAIRE

Yassine Mallem, de l’unité de pharmacologie-toxicologie d’Oniris, est le responsable pédagogique de la première promotion 2018 (complète) des 30 professionnels qui suivent le diplôme interécole de phytothérapie vétérinaire. « Cet enseignement, précise-t-il, est ouvert aux seuls vétérinaires, pas à d’autres auxiliaires de santé. Car un phytomédicament ou une préparation magistrale utilisant des MPUP1 ne peuvent être prescrits qu’après l’établissement d’un diagnostic vétérinaire. » Néanmoins, comme la phytothérapie n’est quasiment pas enseignée dans le cadre de la formation initiale des étudiants, nombre d’entre eux se retrouvent complètement démunis quand un propriétaire leur demande une prescription hors médecine conventionnelle. « Cet enseignement vise donc à ce que cesse une certaine forme de “bricolage” sur le terrain !, assène Yassine Mallem. Nos stagiaires apprennent les bases et les règles de la prescription, quand il faut utiliser la phytothérapie ou pas. » Par ailleurs, une même plante peut comporter deux ou trois principes actifs majoritaires identifiables, mais aussi 200 à 300 composés mineurs. Or, dans certains cas, un seul de ces derniers peut être nocif… Ce qui oblige à avoir des bases d’apprentissage solides. À cet égard, introduire la phytothérapie au minimum en option dans le cursus des études vétérinaires serait peut-être aussi une voie à explorer ?


MIEUX RENSEIGNER LES EFFETS INDÉSIRABLES

En parallèle, estime Yassine Mallem, « l’urgence est également de développer la recherche expérimentale et clinique. Car l’usage empirique des plantes ne suffit plus (comme l’usage d’huiles essentielles sur les mammites, de la vigne rouge pour la fourbure du cheval, etc.). Cet effort a déjà été mené pour la santé humaine : par exemple, l’utilisation du millepertuis chez l’homme a fait l’objet d’une centaine d’essais cliniques, mais nous en avons zéro en santé animale ! » Outre l’encadrement de thèses expérimentales ou d’essais cliniques en phytothérapie d’étudiants vétérinaires, il encadre également des travaux de pharmacovigilance en partenariat avec l’ANMV2, dans le but de mieux renseigner les effets indésirables des produits de santé à usage vétérinaire.

1 Matières premières à usage pharmaceutique.
2 Agence nationale du médicament vétérinaire.

ENTRETIEN AVEC  CLAUDE FAIVRE 

« NOUS UTILISONS 57 PLANTES »

Ancien praticien mixte, puis responsable de la phytothérapie au CHV de Fregis, actuel directeur adjoint du laboratoire Wamine, Claude Faivre évoque quelques aspects de la phytothérapie. Quels efforts faites-vous pour mieux connaître la composition de vos extraits de plantes standardisés ?
Nous avons 57 plantes. Depuis quatre ans, nous utilisons la chromatographie tridimensionnnelle HTPLC pour analyser qualitativement et quantitativement la composition la plus exacte possible des composants (appelés principes actifs) de ces extraits de plantes. Cela nous permet ainsi de confirmer l’exactitude – ou l’inexactitude – des nombreux traités de phytothérapie, dont certains datent de plusieurs dizaines d’années. En plus d’être un travail onéreux, cela mobilise des compétences scientifiques adaptées, sachant en plus que les résultats de ces chromatographies ne sont interprétables que par une poignée de spécialistes dans le monde !

Peut-on, selon vous, faire de la phytothérapie en automédication ?
La phytothérapie doit rester sous la responsabilité du vétérinaire… parce que son utilisation efficace résulte d’un diagnostic vétérinaire prenant en compte la globalité de l’individu. Il faut être capable de palper, d’ausculter, de recourir si besoin aux examens complémentaires, de connaître le passé médical de l’animal, dans quel contexte zootechnique il est élevé, etc. Dans ces conditions, la phytothérapie est efficace pour de nombreuses pathologies, seule ou en association avec d’autres traitements chimiques. Par exemple, les antibiotiques sont inefficaces contre les virus, alors que certaines plantes ou extraits de parties de plantes ont des propriétés antivirales intéressantes et scientifiquement démontrées.

Pouvez-vous nous citer un cas intéressant de pratique ?
Il y a celui de bovins en allotement, ayant des problèmes respiratoires. On peut alors leur donner une préparation magistrale d’extraits de plantes standardisés (EPS) de cyprès (antiviral), de pin sylvestre (un asséchant des bronches et un désinfectant des voies respiratoires) et de la rhodiole (une plante antistress et immunomodulante). J’ai déjà constaté sur des troupeaux, qu’au bout de 15 jours, la toux est passée, ils engraissent de 1 kilo par jour, et comme ils sont moins stressés, on peut plus facilement les manipuler ou les traiter contre les parasites. On peut obtenir le même genre de résultat concluant pour la prévention des mammites chez la vache laitière.

TÉMOIGNAGE 

« UN TEL PRODUIT NE VA PAS TUER TOUS LES PARASITES »

Edwige Bornot, praticien mixte en Côte-d’Or, s’intéresse aux médecines alternatives, dont la phytothérapie. Pourquoi ? « Parce que cela répond à une forte demande des éleveurs et que je constate aussi parfois les limites de l’allopathie ». De quels résultats positifs a-t-elle, par exemple, été témoin ? « Pour un produit composé d’un mélange d’ail, cannelle, girofle, thym, sarriette, les éleveurs ont constaté une augmentation de la production d’un litre de lait supplémentaire par vache laitière ». En revanche, « dans un petit atelier chèvre, infesté de parasites, l’éleveur a voulu seulement appliquer un traitement de phytothérapie. Avec un résultat catastrophique à la clé : trois chèvres mortes dès le lendemain ! » Qu’en conclut-elle ? « Un produit de phytothérapie ne va pas tuer tous les parasites ! Cependant, il peut en préventif en limiter l’implantation, à condition qu’il y ait aussi une bonne conduite en zootechnie du troupeau ». Et de dénoncer également « certaines conduites extrémistes, où l’on veut carrément bannir toute utilisation des vaccins, en systématisant la phytothérapie, l’aromathérapie (où l’on constate d’ailleurs déjà l’émergence de résistances…) et même la géobiologie ! Certes, certaines médecines alternatives sont intéressantes, mais il faudrait davantage les étudier, avec un accompagnement vétérinaire beaucoup plus poussé ».

TÉMOIGNAGE  

« JE RÉCUPÈRE PARFOIS DES ÉCHECS EN ALLOPATHIE »

Praticienne mixte, spécialiste en référés en phytothérapie, Marie-Annick Ventéjou témoigne aussi de certains traitements efficaces : « Par exemple, j’ai eu le cas d’un veau âgé de 3 jours présentant une diarrhée jaune verdâtre. Cet animal avait d’abord été traité en allopathie avec de la colistine, prescrite à la suite d’un antibiogramme, la signalant active contre Escherichia coli, décelé dans les selles du veau au laboratoire. L’état de ce veau ne s’était cependant pas amélioré au bout de trois jours. Je lui ai alors administré uniquement un traitement phytothérapique, en tenant compte de l’état de souffrance de sa muqueuse intestinale, en plus de son infection. En trois jours de ce traitement, le veau était complètement rétabli, probablement grâce au fait que ma prescription se basait sur l’ensemble des facteurs responsables de la pathologie. N’oublions pas que Béchamp avait raison : “Le microbe n’est rien, le terrain est tout !” C’est ce genre de cas qui devrait interpeller les vétérinaires, quand on constate un décalage entre la théorie et la vie réelle ! »