Vers un statut juridique autonome pour l’animal ? - La Semaine Vétérinaire n° 1781 du 11/10/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1781 du 11/10/2018

SOCIÉTÉ

ACTU

Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL 

Bien que sorti de la catégorie des biens meubles, l’animal reste toujours soumis au régime des biens. Ni bien ni personne… Des juristes s’interrogent sur l’opportunité de lui créer un statut juridique propre, afin de lui assurer une meilleure protection.

L’effervescence sociétale autour de la protection de l’animal soulève plusieurs questions, dont celle de son statut juridique. L’année 2015 marquait un tournant animaliste en France. À travers, l’article 515-14 du Code civil, le législateur a consacré un statut pour l’animal. Longtemps, considéré comme un bien meuble, l’animal est reconnu aujourd’hui comme un « être vivant doué de sensibilité ». Mais le législateur ajoute : « sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ». Ainsi, si aucune loi ne le protège, il est rattaché aux biens. Le colloque1 organisé à l’université de Bretagne occidentale à Brest, les 11 et 12 octobre, sur le thème de la relation entre l’homme et l’animal, a donné la parole à des juristes. Ils se sont interrogés sur les changements supposés par cette évolution du Code civil, tout en soulignant leur paradoxe. Sur le plan juridique, l’animal n’est en effet plus un bien, mais pas non plus une personne. Ainsi en cas de divorce de ses propriétaires, le magistrat juge du sort de l’animal comme il le ferait pour un bien et non comme « un être vivant doué de sensibilité ». Pourtant, la question ne date pas d’hier. Le Code pénal, le Code rural et de la pêche maritime, le Code de la santé publique, le Code général des collectivités territoriales ou bien encore le Code de l’environnement prévoyaient déjà des dispositions sur l’animal. Aujourd’hui, il y a lieu de se questionner sur l’opportunité de créer une catégorie entre les personnes et les choses, avec un régime juridique spécifique dédié à l’animal. Cela supposerait de donner une voix aux animaux. C’est dans ce cadre que les vétérinaires pourraient jouer un rôle déterminant.

Du meuble à l’être sensible

Pour certains juristes, la modification du Code civil tendant à reconnaître l’animal comme un être doué de sensibilité n’est que symbolique. Mais, pour d’autres, cela reste une avancée importante. Ils mentionnent notamment que le droit de propriété n’est pas absolu. « On ne peut pas faire tout et n’importe quoi avec son animal », souligne Pascal Beauvais, professeur de droit privé à l’université Paris Nanterre. Il y a aussi lieu de s’interroger sur cette notion de sensibilité. Pour Dorothée Guérin, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’université de Brest, la notion de sensibilité fonde un droit particulier accordé à l’animal. Sa sensibilité est aujourd’hui prise en compte contrairement à sa vulnérabilité. Mais la reconnaissance à l’animal de cette sensibilité ne le fait pas pour autant basculer du côté des personnes. Il serait même devenu une catégorie intermédiaire entre les personnes et les biens. « Les animaux sont toujours soumis aux lois des biens. Mais pourtant, il y a une idée d’un statut en mutation. Le droit est mis sous pression », souligne Sylvie Salles, maître de conférences en droit public à l’université de Brest. Pourtant, dans certains cas, les animaux sont presque considérés comme des personnes dès lors qu’ils sont au service de l’homme. Les questions autour de la personnification de l’animal émergent notamment pour les chiens guides qui, selon Isabelle Sérandour, professeur de droit privé et sciences criminelles, une personnification par destination est constatée. Ou bien encore dans le domaine de l’art, où le selfie du singe Naruto a secoué la doctrine. Dans ce cas, l’animal n’est pas loin du droit d’auteur et de la personnalité juridique. Cependant, ces approches ont rapidement montré leurs limites.

Prendre en compte l’intérêt propre de l’animal

Pour Jean-Pierre Marguénaud, professeur de droit privé et sciences criminelles à l’université de Limoges, l’animal est dans un état de lévitation juridique. L’ensemble des intervenants à ce colloque se rejoignent sur la nécessité de réfléchir à un statut spécifique pour l’animal. Certains juristes invitent le législateur à créer une catégorie sui generis, c’est-à-dire propre à l’animal. Il s’agit de dépasser les intérêts humains, afin de mieux prendre en compte l’intérêt propre de l’animal. « La protection animale n’est pas prioritaire ni la finalité première. Elle est même une finalité malmenée et entravée », souligne Kiteri Garcia, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’université de Pau et des pays de l’Adour, qui intervient sur la dépossession du droit de propriété et le placement de l’animal. Se dirige-t-on vers une nouvelle forme de personnalité juridique pour l’animal ? Il ne fait nul doute que les affaires qui ont récemment animé l’actualité montrent qu’il y a une prise en compte progressive de l’intérêt de l’animal. Pour faire avancer le débat, des juristes se saisissent de la question mais aussi des associations de protection animale, qui invitent le législateur à prendre ses responsabilités. « Il faudrait avoir des représentants pour exprimer cette personnalité juridique. Donner une voix aux animaux en associant davantage les vétérinaires et les associations de défense des animaux », indique Jean-Pierre Marguénaud.

Dépasser les conservatismes bornés

Il revient au législateur de concilier « l’instrumentalisation de l’animal pour l’homme », pour des intérêts économiques, et sa nécessaire protection juridique. Mais il y a des cas de résistances aux évolutions juridiques portés par un « triomphe du conservatisme borné », fondé, selon Jean-Pierre Marguénaud, sur l’anthropomorphisme. Compte tenu des exigences économiques, il relève du rôle du législateur de trouver un juste milieu entre les besoins de l’homme et la protection de l’animal. L’équilibre semble avoir été trouvé pour certaines atteintes à la protection de l’animal pour nourrir l’homme ou pour son divertissement. Doit-on interdire la corrida ? l’expérimentation animale ? la chasse ? ou encore l’abattage rituel ? Il semblerait que ces atteintes soient légitimes, dès lors qu’elles sont jugées utiles et nécessaires, notamment pour la survie de l’homme. Mais pour certains juristes, ce débat n’en est pas à son point d’arrivée. « La voix des animaux est étouffée. Pour faire avancer la connaissance humaine et améliorer la condition des animaux, il est nécessaire de combattre les conservatismes bornés », souligne Jean-Pierre Marguénaud, avant d’ajouter que ces derniers débouchent sur des contestations violentes, parfois alimentées par celles et ceux qui en sont victimes. Là encore, le vétérinaire a vocation à être un interlocuteur légitime. « Si nous parlons de maltraitance animale, l’avis du vétérinaire et du juriste se rejoignent rarement. Si nous voulons nous battre pour le bien-être animal, nous devons coopérer avec les vétérinaires », souligne Antoine F. Goetschel, président du Global Animal Law à Zurich (Suisse).

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