Sepsis : nouvelle définition, prévention et traitement - La Semaine Vétérinaire n° 1782 du 19/10/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1782 du 19/10/2018

CONFÉRENCE

PRATIQUE CANINE

Formation

Auteur(s) : GWENAËL OUTTERS  

Définition du sepsis et implication dans la prise en charge

Nouvelle définition

Avant 2016, le sepsis était défini comme un « syndrome inflammatoire généralisé associé à une infection objectivée ». Depuis 2016, il est considéré comme « une défaillance d’organes imputable à une réaction anormale de l’organisme face à une infection suspectée ». Cette nuance découle de la prise de conscience qu’en plus de la douleur, de la chaleur et de la tuméfaction l’inflammation est associée à une perte de fonction : la recherche des dysfonctions permet d’en déterminer la sévérité et de grader la défaillance en sepsis (infection + défaillance organique) ou en choc septique (sepsis + hypotension).

Le sepsis fait suite à une agression par un agent infectieux (bactéries, virus, parasites, champignons, levures), entraînant une série de réactions de l’organisme, locales puis systémiques, adaptées puis inadaptées, induisant des modifications cardiovasculaires, des perturbations de l’homéostasie, de l’apoptose, des défaillances d’organes et une dysfonction immunitaire par le biais de cercles vicieux autoaggravants.

Conséquences sur la démarche

Avant, il suffisait d’identifier un syndrome de réponse inflammatoire systémique (fréquences cardiaque et respiratoire en hyper ou hypo, hyperthermie, anomalie de la numération leucocytaire) associé à une infection pour diagnostiquer et grader un sepsis (simple, sévère, choc septique). Maintenant, il suffit de suspecter l’infection et d’orienter la démarche vers la recherche de la dysfonction. Le“minimal data base” inclut des examens complémentaires (hématocrite, protéinémie, urémie, créatinémie, glycémie, lactatémie, bilirubinémie, activité des enzymes hépatiques, temps de coagulation, numération plaquettaire, saturation en oxygène, examen cyto-bactériologique des urines) qui permettent d’objectiver des dysfonctions (hépatique, rénale, altération de l’hémostase, etc.) : si une ou deux altérations sont diagnostiquées, le statut de sepsis est validé (infographie). Par exemple, une chatte avec un pyomètre ne peut être considérée en sepsis si aucune altération biochimique n’est identifiée. À l’inverse, un chien qui a une piroplasmose avec atteinte rénale est en sepsis.

Prévention

Les moyens thérapeutiques destinés à prévenir ou corriger les défaillances d’organes sont : l’apport d’oxygène, la fluidothérapie, la gestion du stress, de l’anxiété et de la douleur (morphiniques). La prévention des troubles de l’hémostase fait encore débat et il n’existe pas aujourd’hui de preuve de l’efficacité préventive de ces techniques (héparinothérapie, transfusion). La réalimentation précoce est une nécessité pour diminuer la perméabilité intestinale et l’hypoalbuminémie ; elle réduit la mortalité et la durée d’hospitalisation. Le risque de translocation bactérienne est en lien avec l’hypoperfusion intestinale. La pertinence de l’antibiothérapie préventive est en débat (risque de faire transloquer des bactéries résistantes).

La gestion des portes d’entrée (cathéters, sondes et drains, lésions de décubitus, hygiène des orifices et des lieux d’hospitalisation) est une priorité : elles sont la première cause de sepsis iatrogène. Ainsi, le matériel est stérile et à usage unique, posé en conditions d’asepsie (tonte large, gants stériles, gel hydroalcoolique) en protégeant les portes d’entrée et en les renouvelant toutes les 48-72 heures pour éviter la maturation et l’essaimage. Les sondes urinaires sont reliées à des dispositifs de collecte clos.

Fluidothérapie et vasopresseurs

Le choc septique est associé à une hypotension. En règle générale, les hypotensions sont corrigées en intervenant soit sur le volume injecté (fluides), soit sur le tonus des vaisseaux (vasoconstricteurs).

Les recommandations historiques

Une étude1 de 2001 montrant que les réanimations agressives permettaient de réduire la mortalité de 46 à 30 % (263 cas) a dicté l’Early Goal-Directed Therapy (EGDT) : il a été conseillé des mesures agressives précoces (dans les 6 heures), parmi lesquelles une antibiothérapie et l’utilisation massive des fluides. La Surviving Sepsis Campaign a publié des recommandations en 2004 et 2008 dans ce sens.

De l’utilisation des solutés en réanimation


• Les fluides utilisables
. Le glucose 5 % est un mauvais soluté de réanimation : il se répartit dans la totalité des secteurs de l’organisme au prorata de leur importance. Seuls 8 % du liquide perfusé restent dans les vaisseaux. Le Ringer lactate (préféré, plus proche du plasma) et le chlorure de sodium (NaCl 0,9 %) sont des solutés salés indiqués en réanimation. Le Ringer lactate, isotonique, se répartit aux trois quarts dans le milieu interstitiel et au quart dans le secteur circulant ; seuls 25 % du liquide perfusé restent dans les vaisseaux.


• Quid des colloïdes ?
Il a été proposé d’utiliser des solutés développant une pression oncotique, et donc demeurant en totalité dans les vaisseaux, afin d’améliorer le remplissage vasculaire : un dérivé de l’amidon, l’hydroxyéthylamidon (HEA). Trois larges études menées en médecine humaine ont conduit en 2012 la Surviving Sepsis Campaign à ne plus préconiser l’utilisation des HEA (augmentation des complications, surtout pour les patients insuffisants rénaux). Pourtant, des publications de synthèse vétérinaires datant de 2014 ne tranchent pas sur leur nocivité. Des vétérinaires experts penchent plus sur l’absence de nocivité que sur le bénéfice. Ces différences sont probablement dues à des biais dans les études cliniques vétérinaires et au fait que les pratiques sur les animaux sont différentes. Aussi, le pouvoir oncotique des HEA, évalué à 4, est finalement plus proche de 1,2 à 1,3 : dans le sepsis, l’altération du glycocalyx (structure qui protège l’endothélium vasculaire) permet à n’importe quel soluté de passer dans le milieu interstitiel. Enfin, une étude africaine menée chez des enfants en sepsis (étude Feast) a condamné l’utilisation massive des fluides en raison d’une augmentation de la mortalité.


En pratique. « Les volumes abondants de 80 ml/kg de solutés salés autrefois préconisés doivent être complètement abandonnés : ils doivent être inférieurs à 30 ml/kg en 3 heures, voire être de 10 ml/kg en 3 heures, en visant le maintien d’une pression artérielle supérieure à 65 mmHg et une lactatémie inférieure à 4 mmol/l. Les HEA ne doivent plus être utilisés », indique Jack-Yves Deschamps.

Les vasopresseurs

Les adrénergiques étaient conseillés jusqu’alors uniquement en cas de non-réponse à la perfusion. Une étude montre qu’à chaque fois que l’on retarde d’une heure l’administration d’un α1-agoniste (noradrénaline, éphédrine), la mortalité augmente de 5 %. En effet, la composante majeure du choc septique est une vasoplégie et non un défaut de volume. Ainsi, pour notre confrère, ces molécules devraient être intégrées plus rapidement et sont aussi importantes, sinon davantage, que le remplissage vasculaire. La noradrénaline, molécule conseillée dans les publications, est utilisable uniquement en perfusion (0,05 à 0,4 μg/kg/min) à cause de sa courte durée d’action. L’éphédrine (0,1-0,2 mg/kg) est moins chère et elle permet des bolus car sa durée d’action est de 10 à 20 minutes.

Antibiothérapie

Les recommandations en matière d’antibiothérapie sont dictées par la Surviving Sepsis Compain, groupe d’expert mondial qui s’intéresse à la prise en charge des patients septiques (guidelines en accès libre). Françoise Roux indique qu’à celles-ci s’ajoutent les contraintes vétérinaires de l’arrêté du 18 mars 2016 (les fluoroquinolones et les céphalosporines de 3e et 4e générations sont interdites en première intention). La gestion du foyer septique et des portes d’entrée est une priorité.

Prise en charge rapide

L’administration extrêmement rapide d’un antibiotique par voie intraveineuse est primordiale, tout retard d’une heure augmente la mortalité de 28 %, et de 45 % au-delà de 6 heures.

Choix de l’antibiotique : antibiothérapie probabiliste

En première intention, l’antibiothérapie probabiliste repose sur la connaissance des bactéries les plus probables pour un site d’infection donné, du spectre d’action des antibiotiques et des résistances naturelles des bactéries aux antibiotiques (klebsielles naturellement résistantes aux pénicillines, par exemple). Les manuels (guide de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie, Afvac) et les applications (AntibioVet®) sont des outils précieux ; certaines données doivent être adaptées à l’arrêté de 2016, notamment le guide Afvac, dont les données sont antérieures à 2016. Au sein d’une structure donnée, l’épidémiosurveillance en fonction des sites d’infection (cathéter, sonde) est nécessaire (garder les antibiogrammes).

Antibiogramme et désescalade

En seconde intention, l’antibiotique est ciblé à partir de l’antibiogramme issu d’un échantillon septique. Les fluoroquinolones ne peuvent alors être utilisées que si la bactérie est sensible uniquement à ces molécules. La lecture raisonnée de l’antibiogramme n’est pas si évidente et peut faire l’objet d’un échange avec le biologiste : par exemple, pour les β-lactamases à spectre étendu (BLSE), même si la bactérie est sensible in vitro à l’association amoxicilline-acide clavulanique, si elle est résistante à l’amoxicilline et à unecéphalosporine de 3egénération alors elle est résistante à toutes les β-lactamines.

En l’absence d’antibiogramme, l’examen direct d’un échantillon septique oriente l’antibiothérapie. Par exemple, dans une pyélonéphrite (prélèvement urinaire), des coques seront des Gram+, des bacilles seront des Gram-, des coques en chaînettes seront plutôt des streptocoques, des coques en amas, plutôt des staphylocoques.

Aussi, les nouvelles recommandations ne conseillent plus d’utiliser les antibiotiques chez les animaux atteints du syndrome de réponse inflammatoire systémique (état inflammatoire aigu) non septique : pancréatite, coup de chaleur, traumatisme crânien, etc.

Adapter la dose à l’animal

Le sepsis est une condition très particulière : vasoplégie et vasodilatation induisent une augmentation du volume de distribution et une diminution de la concentration plasmatique des molécules. Il conviendra d’augmenter la dose de l’antibiotique. À l’inverse, dans les cas plus avancés de défaillance multiviscérale avec insuffisance rénale aiguë, la demi-vie des molécules est augmentée et leur clairance diminuée, donc il va falloir réduire la dose.

Pour les antibiotiques concentration-dépendants (toutes les quinolones, la gentamicine), la concentration doit rester supérieure à la concentration minimale inhibitrice (CMI) ; pour les antibiotiques temps-dépendants (toutes les pénicillines et toutes les céphalosporines), un pic plasmatique (10 x CMI) et une décroissance rapide sont nécessaires pour ne réinjecter qu’en dessous de la CMI.

Il convient également d’adapter la dose en cas d’insuffisance rénale (voir d’élimination de la majorité des antibiotiques). Ainsi, dans le cas d’un antibiotique temps-dépendant, la dose doit être diminuée et l’intervalle maintenu, selon la formule : nouvelle dose = dose classique x créatininémie normale (15)/créatininémie de l’animal. Pour un antibiotique concentration-dépendant, la dose et maintenue et l’intervalle d’administration augmenté (nouvelle fréquence = nombre de doses par jour x créatininémie normale (15)/créatininémie de l’animal).

Association d’antibiotiques

Les bithérapies ne doivent jamais être utilisées en première intention, sauf dans le choc septique. Lorsqu’une bithérapie est initiée, dès que l’état clinique de l’animal s’améliore et que l’antibiogramme a identifié l’antibiotique efficace, revenir à une monothérapie et la maintenir le moins longtemps possible (désescalade : diminuer le nombre, la classe et le temps d’utilisation des antibiotiques).

La durée de traitement doit être la plus courte possible (7 jours en général), sauf lors de faible réponse clinique, de forte neutropénie ou chez les animaux immunodéprimés. Dès que le foyer septique est drainé, la durée de l’antibiothérapie est réduite. Des recommandations sont publiées dans ce sens en médecine humaine (pneumonie communautaire : 5 jours ; plaie de morsure : 5 jours ; péritonite localisée et opérée [exemple : pyomètre] : 3 jours ; pyélonéphrite aiguë : 7 jours ; prostatite : 14 jours).

L’escalade est possible en cas d’absence de réponse à la monothérapie avec dégradation de l’état général et bactérie sensible uniquement à un antibiotique critique d’après l’antibiogramme. Les recommandations de désescalade s’appliquent après stabilisation du patient.

1 E. Rivers, B. Nguyen, S. Havstad et coll. Early Goal-directed therapy in the treatment of severe sepsis and septic shock. N. Engl. J. Med. 2001;345:1368-1377.

Patrick Verwaerde Maître de conférences en anesthésie-réanimation à l’ENVT. Jack-Yves Deschamps Professeur en urgences et soins intensifs à Oniris. Françoise Roux Maître de conférences en urgences et soins intensifs à Oniris. Article rédigé d’après des conférences présentées au congrès de l’Afvac à Nantes (Loire-Atlantique), en novembre 2017.