DOSSIER
Auteur(s) : MARINE NEVEUX
Le digital ouvre une ère nouvelle pour le vétérinaire équin et la filière : quels sont les enjeux du recueil des données ? Quelle pertinence ont-elles pour le suivi de la santé du cheval, son bien-être ? Quid de la protection des données personnelles ? Y a-t-il un risque technologique de dopage ? etc. La réflexion autour de ces nouvelles technologies est lancée, explique Guy Hourcabie, président de l’Institut du droit équin. Décryptage.
Nouvelles technologies de la filière équine : quels enjeux juridiques ? » était le thème du 24e congrès de l’Institut du droit équin qui s’est déroulé le 25 octobre à l’hippodrome d’Auteuil, à Paris. La question est large, et tout est presque à construire face à ces technologies récentes qui posent de nouvelles questions et problématiques.
Fiona Gorin, directrice adjointe du pôle Hippolia, dresse un panorama des outils et apports de cette nouvelle ère : hardware, Internet, vidéo, Internet des objets (IdO ou IoT), big data (collecter, gérer, stocker de la donnée), intelligence artificielle (objets connectés), réalité virtuelle, augmentée, robotisation, etc. La liste est longue !
En France, 81 % des Français ont un ordinateur, 73 % un smartphone, 23 % un objet connecté, 13 % utilisent des formations en ligne.
Dans le secteur équin, l’offre est jeune mais déjà riche. Les solutions numériques servent notamment à soutenir le développement économique des professionnels de la filière. Les finalités : plus de rentabilité, d’innovation et de fidélisation client.
Les solutions numériques permettent également d’objectiver la relation cavalier-cheval pour déterminer le ressenti à la fin de la séance (nombre de sauts, rythme cardiaque, etc.). « Cela va aussi enrichir l’expérience pour les organisateurs d’événements et les participants », précise Fiona Gorin, avec comme finalité l’émotion, l’attractivité, comme celle que procure la “gamisation” (se mettre dans la peau d’un cavalier, par exemple).
Une enquête menée sur Internet par Hippolia montre que 57 % des professionnels du cheval possèdent un ordinateur de bureau, 80 % un ordinateur portable, 48 % une tablette, 90 % un smartphone, et que 70 % ont la connexion internet à la maison et 41 % à l’écurie. 73 % disposent d’un accès à la 4G, ce qui confirme qu’Internet « est vraiment devenu un outil professionnel ». 98 % des professionnels utilisent les e-mails, 73 % les petites annonces sur Internet, 40 % les plateformes d’économie collaborative, 50 % ont acquis un logiciel de comptabilité.
Les freins au développement relevés dans l’étude sont d’ordre technique : structures non adaptées, faible couverture des réseaux, milieu hostile aux nouvelles technologies, besoin d’utiliser les algorithmes pour la fiabilité des données, crainte que la machine ne remplace l’homme, rentabilité pas toujours démontrée, peu de réelles contraintes d’utilisation (les vrais changements de pratiques apparaissent à partir du moment où il y a une obligation), volume du marché limitant les dépenses en recherche et développement (R & D). Des freins réglementaires existent aussi comme le droit numérique, à la déconnexion, la protection des programmes, les règlements sportifs, la cybersécurité, le règlement général sur la protection des données (RGPD), etc.
Gérard Majourau, directeur des affaires juridiques à l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE), rappelle la « logique de protection de l’accès aux données et de leur utilisation ». Le fondement des données personnelles est aussi celui du droit des marques, du droit des brevets, du droit des affaires, etc. « On est très proche du droit de la consommation. Protéger les données, c’est protéger le droit du consommateur. » La France a d’ailleurs un long historique sur le sujet : en 1978, elle était le troisième pays du monde à se doter d’une loi destinée à protéger les libertés publiques à l’ère de l’informatique. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a été créée en 1975. Et de rappeler aussi l’adage d’Internet : “Quand c’est gratuit, c’est que c’est toi le produit” !
Valentin Rapin, directeur général d’Arioneo, pose la question des données : « Il y a un vrai flou juridique sur la propriété des données des chevaux. Aujourd’hui, la base de données appartient à son créateur. Celles qui sont dans l’application peuvent être utilisées de façon anonyme, les données générées par l’utilisateur appartiennent à l’entraîneur (si le cheval est vendu, l’autre entraîneur repart à zéro). Que se passe-t-il si un entraîneur partage des données avec un public ? Si elles sont piratées, quelles seraient les conséquences juridiques ? »
Les données à caractère personnel concernent les personnes physiques et elles seules, pas les entreprises, mais cela inclut les professionnels agissant en tant que tels (vétérinaires, entraîneurs, etc.). Gérard Majourau en donne une définition. Il s’agit :
- des données permettant l’identification d’une personne : données directes (date de naissance, nom, photos, enregistrements sonores, etc.) ou indirectes (numéro de Sécurité sociale, géolocalisation, adresse IP, logins, numéro de compte bancaire, etc. (est-ce qu’un numéro du Système d’identification répertoriant les équidés [Sire] peut être considéré comme une donnée personnelle ? La même question est posée pour le transpondeur…) ;
- des informations se rapportant à une personne identifiée : fichiers de clients, de prospects, dossiers de santé, d’assurance, données fiscales, issues d’objets connectés, informations issues des réseaux sociaux, de sources judiciaires, etc.
Les données personnelles doivent être « traitées de manière licite, loyale et transparente, collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités », souligne Gérard Majourau. Elles doivent être exactes et tenues à jour, conservées pour une durée limitée et déterminée, traitées et conservées de manière confidentielle et sécurisée. En outre, « des mesures techniques et organisationnelles seront mises en place pour empêcher que les données personnelles soient déformées, endommagées ou communiquées » et qu’elles soient gardées au sein de l’Europe.
Il convient donc de retenir les principes de finalité (collectées pour une raison et ne servir qu’à cela), de proportionnalité (ne recueillir que les données qui servent à quelque chose), de sécurité, et le droit des personnes (rectification, effacement, droit à l’oubli, à la portabilité).
« La question de la propriété des données n’a pas beaucoup de sens puisque l’on parle de quelque chose d’immatériel, explique Gérard Majourau. Une donnée informatique rentre dans la catégorie des biens non rivaux : je la détiens toujours si je la cède, et je peux la reproduire en nombre illimité autant de fois à l’identique ». Le sujet est donc de savoir qui peut en faire quoi : cela soulève la question des droits d’exploitation, de diffusion, etc. « La donnée isolée n’a aucune valeur, c’est l’exploitation qu’on en fait qui en a. »
En outre, la notion de “données sensibles” a un sens particulier dans la réglementation française : opinion politique, orientation sexuelle, religion, etc., des domaines qui ne concernent pas le cheval. En revanche, dans la filière équine, certaines informations peuvent être confidentielles et couvertes par le secret des affaires, telles que des éléments sur les performances avant la course. « L’accès des propriétaires aux informations concernant leurs chevaux (performances, températures, etc.) suppose l’existence d’un droit du propriétaire sur les données collectées sur son cheval : ces données sont-elles un accessoire de la propriété du cheval ? A priori non (ce n’est ni un fruit ni un produit). »
Claudine Eutedjian, avocate, aborde les exceptions : « Ce qui va s’appliquer de manière générale, c’est le droit commun. Il va falloir essentiellement sécuriser les relations à travers des contrats, détaille-t-elle. Nous avançons sur une base mouvante, car nous sommes en pleine évolution ». Il existe des exceptions relatives à ces données concernant le RGPD, le caractère personnel, le secret des affaires, etc.
La sécurité informatique est essentielle aussi. Éviter le vol de données passe par des mesures basiques : sites sécurisés, mots de passe “solides”, etc. Une sauvegarde régulière permet aussi de se défendre face à un logiciel malveillant comme le “rançongiciel” (ransomware). « Il faut mettre en place des bonnes pratiques. La mesure incitative pour amener les entreprises à surveiller leur site et leurs données, c’est le risque commercial qui engendrera une défiance vis-à-vis de l’entreprise. »
Les règlements sportifs peuvent-ils imposer un objet connecté ou l’interdire ? « Je n’ai rien trouvé dans les règlements des courses qui interdisait ces objets connectés (sauf si cela revient à de la triche ou nuit au bien-être animal) », retient Claudine Eutedjian. En concours de saut d’obstacles (CSO) et en dressage, le règlement général (article 1-5) aborde la violence : « Les objets seraient-ils concernés ? ». L’article 1-11 du règlement général interdit le trucage : « On pourrait envisager de relier l’article à des objets connectés… ». L’article 6-4 A permet la position d’un élément tel qu’une caméra embarquée. L’article 6-4 B dresse la liste exhaustive des aides artificielles : « Si l’objet connecté n’y figure pas, n’est-il pas alors considéré comme interdit ?»
L’article 8-11 du règlement de la Fédération française d’équitation (FFE) en CSO stipule que les aides de complaisance sont interdites en CSO : « Est-ce qu’un objet connecté ne pourrait pas être considéré ainsi ? ». Le règlement de dressage (article 5-3) expose une liste d’harnachements autorisés ou pas : « Donc si l’objet connecté n’y est pas, on peut se poser la question de sa place. »
En outre, les clauses limitatives de responsabilité sur les objets connectés doivent être utilisées avec modération. Car si cela vide le contrat de sa substance, cela n’est pas valable.
Holly Jessopp, avocate au barreau de Paris, déclare que l’intelligence artificielle « n’est pas encore interdite, mais cela commence. Dans les règlements vétérinaires notamment, on dispose d’une liste ». Dans quelles mesures va-t-on autoriser ces nouvelles technologies ? « La question va encore plus se poser quand on aura des objets connectés et intelligents (qui nous diront quand prendre notre foulée, par exemple). Le but pourra être de détecter une tendinite avant qu’elle n’arrive, mais, auparavant, il sera nécessaire de se pencher sur les enjeux de compétition et sportifs, qu’il ne faudra pas fausser… ».
En outre, la sécurité doit aussi être prise en compte, un objet connecté pouvant être défectueux et porter atteinte au cheval. Il sera important de voir comment seront gérés les cas de figure et les conséquences (dommages, préjudice, etc.).
Camille Hébert, ingénieur R & D chez LIM Group, est impliqué dans l’équipement connecté pour les chevaux. Comment les fabricants ont-ils pris en compte le développement juridique ? « On a prévenu les fédérations très tôt et on s’est appuyé sur les règlements FFE et FEI (Fédération équestre internationale), afin de ne pas être considéré comme une aide extérieure. » Il rassure : « Aujourd’hui, on donne de l’information aux cavaliers pour que l’entraînement prenne en compte la locomotion, la physiologie du cheval. Nous sommes loin du dopage technologique. »
Autre question soulevée avec les objets connectés : celle de l’obligation potentielle de résultat ? Pour Anaïs Vivion, fondatrice de Képhyre (objet Kavale pour la sécurité du cheval et du cavalier), « on ne peut pas s’engager sur une obligation de résultat ».
Mathias Pestre-Mazières, directeur général de Cheval Energy, plateforme de vente, e-commerce communautaire, surfe sur le bien-être du cheval, sa santé. « Où se situe la limite entre l’“avis global client” et la consultation ? Avec la télémédecine, la question se pose en humaine, donc cela arrivera en vétérinaire. » Michel Martin-Sisteron précise bien que le vétérinaire ne peut délivrer des médicaments qu’après avoir établi un diagnostic et vu un animal, « mais il p eut faire des bilans sanitaires d’élevage. Il peut alors établir des protocoles de soins sans avoir revu les animaux. La médecine à distance, en ayant réalisé un programme sanitaire d’élevage, ça existe et c’est encadré ».
Tout est donc à construire avec ces nouvelles technologies, qui bousculent les anciennes habitudes. Les outils numériques sont une réalité dans la filière, une opportunité à saisir, ils ont leur utilité et ne pourront – jamais ? – remplacer l’humain…
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À lire aussi : le numéro 200 de Pratique Vétérinaire Équine sur le cheval connecté, à paraître en décembre prochain.
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