La fable du saint et du loup - La Semaine Vétérinaire n° 1784 du 26/10/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1784 du 26/10/2018

FILM

DITES-NOUS TOUT

Auteur(s) : MICHEL BERTROU 

Dès les premières minutes de Heureux comme Lazzaro, on est frappé par la singulière matérialité de l’image (le film est tourné en pellicule 16 mm), la manière concrète et élégiaque dont elle renvoie la réalité rurale à une innocence brute. Une forme en parfaite cohérence avec ce conte de fées contemporain, qui oppose à nos temps humainement aliénés, la bonté absolue de Lazzaro. Tenant à la fois du simplet et du saint, le jeune homme fait partie d’une grande famille archaïque de paysans qui l’exploitent alors qu’ils sont eux-mêmes sous le joug d’une aristocrate cynique, qui, les ayant gardés à l’écart du monde et ignorants de ses évolutions, leur impose des conditions de vie dignes du servage. L’amitié que Lazzaro va nouer avec le fils de la marquise entraînera bientôt la révélation de cette escroquerie (inspirée d’un fait réel) et projettera la communauté dans la modernité, loin des terres qui ne leur ont jamais appartenu. Le film bascule alors à aujourd’hui, dans la périphérie d’une grande ville où les anciens paysans sont à présent les esclaves de leur précarité. La figure angélique et antihéroïque de Lazzaro traverse magiquement ces deux époques “féodales” de l’Italie, et, bien qu’impuissante à en conjurer la barbarie, les transperce de sa tendre ingénuité. Comédie réaliste autant que métaphore, le film retrouve l’inspiration légère du cinéma italien à son âge d’or tout en affirmant subtilement sa voix propre. Il confirme l’immense talent de la réalisatrice des Merveilles 1.

1 Voir La Semaine vétérinaire n°1616 du 6/2/2015, page 47.

Heureux comme Lazzaro (Lazzaro felice) d’Alice Rohrwacher, avec Adriano Tardiolo, Alba Rohrwacher, Tommaso Ragno, Sergi López, Nicoletta Braschi, Italie, 2 h 06, sortie le 7 novembre.