La collaboration libérale : mode d’emploi - La Semaine Vétérinaire n° 1785 du 09/11/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1785 du 09/11/2018

DOSSIER

Ce mode d’exercice assure une certaine indépendance par rapport au salariat, tout en évitant d’avoir à supporter les investissements et risques liés à l’installation individuelle. En contrepartie, le collaborateur devra faire preuve d’une grande rigueur administrative, que ne connaît pas un salarié. Focus sur ce mode d’exercice peu utilisé par la profession.

La collaboration libérale est un mode d’exercice de la profession vétérinaire relativement récent. En effet, son cadre législatif n’a été défini qu’à partir de 20051 pour toutes les professions libérales ou réglementées, et plus particulièrement pour les vétérinaires, bien qu’il existait déjà chez les chirurgiens-dentistes à partir de la fin des années 1960, et surtout chez les avocats à partir de 1971. Ce mode d’exercice, s’insérant entre le salariat et l’installation individuelle, présente un certain nombre de caractéristiques méconnues, pouvant dissuader son recours et en faisant un mode d’exercice marginal chez les vétérinaires, alors qu’il est usuel et même majoritaire au sein d’autres professions comme les avocats. Ainsi, comme le précise l’atlas démographique de la profession vétérinaire édité par l’Ordre national des vétérinaires, ce mode d’exercice ne concerne que 4,9 % des praticiens. Globalement, la collaboration libérale est plutôt choisie par les femmes, 6,3 % d’entre elles y ayant recours contre 3,6 % des hommes. Il a surtout la faveur des moins de 35 ans (10,4 % d’entre eux optent pour cette modalité) et des praticiens équins (7,2 %, contre 5,2 % des canins et 3,2 % des ruraux). Mise au point sur ce statut qui ouvre des perspectives à tous ceux en recherche d’indépendance professionnelle.

Une indépendance totale

L’article 18 de la loi précitée du 2 août 2005 dispose que « les membres des professions libérales (…) peu vent exercer leur activité en qualité de collaborateur libéral ». Il ajoute qu’« a la qualité de collaborateur libéral le membre non salarié d’une profession (…) qui, dans le cadre d’un contrat de collaboration libérale, exerce auprès d’un autre professionnel, personne physique ou personne morale, la même profession ». Par ailleurs, il est également indiqué que « le collaborateur libéral exerce son activité professionnelle en toute indépendance, sans lien de subordination. Il peut compléter sa formation et peut se constituer une clientèle personnelle ». Il résulte donc de l’ensemble de ces éléments que la collaboration libérale est un contrat par lequel un praticien met à la disposition de l’un de ses confrères des locaux, les moyens nécessaires à l’exercice de la profession et une clientèle attachée aux locaux et aux moyens. En contrepartie de cette mise à disposition, le collaborateur verse une redevance, celle-ci pouvant prendre plusieurs formes (voir ci-après). En outre, la principale caractéristique du statut de collaborateur est l’exercice de son métier en toute indépendance, c’est-à-dire qu’il n’est ni associé, ni salarié, ni subordonné de son cocontractant qui lui met à disposition les moyens d’exercer son métier.

Attention à la requalification en contrat de travail

En parallèle du travail réalisé pour la structure d’accueil, le collaborateur peut développer sa clientèle personnelle : il peut recevoir ses propres clients et percevoir des honoraires pour la réalisation de ces prestations. L’ensemble de ces éléments, et principalement cette notion d’indépendance, sont capitaux. En effet, le non-respect de ces prescriptions pourrait conduire le juge à requalifier le contrat de collaboration libérale en contrat de travail. Une telle requalification sera lourde de conséquences en termes financiers, principalement pour l’employeur, celui-ci devant régulariser le statut de son salarié et cela sur l’ensemble des années d’exécution du contrat de collaboration. Enfin, cette indépendance a également un impact important pour le collaborateur. Comme le précise la loi, il relève du statut social et fiscal du professionnel libéral qui exerce en qualité de professionnel indépendant. Il lui appartiendra donc de se déclarer auprès des organismes professionnels pour payer ses charges (Ursaff, RSI2, etc.), de collecter et de reverser la TVA, de tenir une comptabilité… Il sera également tenu responsable de ses actes professionnels, une telle responsabilité imposant au collaborateur de souscrire une assurance en responsabilité civile professionnelle, s’il n’est pas couvert par celle de la structure d’accueil.

Un contenu du contrat de collaboration précis

Un contrat encadrant les rapports entre les parties doit impérativement être conclu. Il doit contenir plusieurs informations essentielles à sa régularité et, bien sûr, respecter les règles régissant chaque profession, c’est-à-dire que les ordres professionnels peuvent venir préciser son contenu légal, sans pour autant déroger aux dispositions législatives. Généralement, comme c’est le cas pour les vétérinaires, l’ordre professionnel en propose un modèle. Il reprend les éléments essentiels imposés par la loi, au nombre de cinq (encadré page 44), les autres stipulations relevant de la liberté contractuelle. D’une manière générale, le contrat de collaboration libérale reprend les éléments essentiels retrouvés dans l’ensemble des conventions. Afin de faciliter sa rédaction, mais également de s’assurer qu’il ne sera pas retoqué par l’Ordre des vétérinaires, il ne peut être que recommandé d’utiliser le contrat type rédigé par ce dernier, qui peut néanmoins faire l’objet d’adaptations.

Avantages et inconvénients pour le collaborateur

Les principaux avantages de ce statut découlent de son indépendance, qui assure au collaborateur une autonomie et une liberté dans l’organisation de son travail. Elle lui permet également, contrairement au salarié, de disposer d’une flexibilité dans ses horaires. De plus, le collaborateur libéral n’est pas soumis à un lien hiérarchique, ce qui lui permet d’être initié à l’exercice libéral, de se responsabiliser et d’être impliqué dans l’activité d’une structure, sa rémunération en dépendant. Enfin, un autre avantage réside dans la possibilité de dégager une rémunération avantageuse, celle-ci étant directement liée au chiffre d’affaires de la structure, mais également au développement de la clientèle personnelle. Mais cet avantage peut également devenir un inconvénient, puisque la rémunération n’est pas fixe et peut donc varier d’un mois à l’autre. Cela implique une certaine précarité, notamment lorsque le chiffre d’affaires n’est pas au rendez-vous. Par ailleurs, le collaborateur, étant un travailleur indépendant, ne dispose pas de congés payés, chaque jour d’absence n’est donc pas indemnisé. De même, en cas de rupture du contrat de collaboration, le vétérinaire collaborateur ne peut pas percevoir le chômage, même si sur ce point une réforme est aujourd’hui envisagée par le gouvernement.

Enfin, un autre inconvénient de ce statut, pouvant être dissuasif, est le temps nécessaire à la gestion administrative. En effet, le collaborateur doit s’inscrire auprès des différents organismes sociaux et fiscaux, effectuer ses déclarations de revenus, de TVA, tenir une comptabilité, etc. Cette gestion administrative peut représenter un temps de travail de plus 2 heures par semaine, s’ajoutant à l’exercice de sa profession. Il est ainsi recommandé de suivre des formations en gestion administrative ou de s’attacher les services de professionnels comme un expert-comptable, quand bien même cela représenterait un coût important.

Avantages et inconvénients pour le titulaire

Comme pour le collaborateur, les avantages du statut pour le titulaire découlent de la notion d’indépendance. Le collaborateur étant un travailleur indépendant, le titulaire est affranchi du carcan imposé par le Code du travail et de la gestion administrative du personnel. Ce statut permet également une rupture du contrat simplifiée, dès lors que la séparation n’a pas besoin d’être motivée. Par ailleurs, le titulaire peut générer du chiffre d’affaires plus important et également attirer une plus large clientèle. A contrario, son statut génère une concurrence de la part du collaborateur, qui recherchera à développer sa clientèle individuelle. Enfin, le titulaire ne dispose pas de lien hiérarchique sur son collaborateur, celui-ci exerçant son activité comme il le souhaite.

1 Article 18 de la loi n° 2005-882 du 2/8/2005 en faveur des petites et moyennes entreprises.

2 Union de recouvrement des cotisations de Sécurité sociale et d’allocations familiales, Régime social des indépendants.

« LE STATUT DE COLLABORATEUR LIBÉRAL EST ADAPTÉ AUX GARDES ET AUX ASTREINTES »

Jacques Devos Praticien mixte à Panissières (Loire) et président du Syndicat vétérinaire d’exercice libéral (SVEL) Auvergne-Rhône-Alpes.

Propos recueillis par Chantal Béraud

« JE SUIS COLLABORATRICE LIBÉRALE, ET SATISFAITE DE L’ÊTRE »

J’exerce en tant que collaboratrice libérale depuis 2014. J’ai travaillé dans différentes structures en tant que spécialiste en dermatologie. Je suis amenée également à proposer du consulting pour des laboratoires. Cela m’offre l’opportunité de faire des rencontres professionnelles enrichissantes. Et, avec le temps et à travers ces différentes expériences, j’ai pu mieux définir mes aspirations professionnelles.
Actuellement, je travaille à la clinique Armonia, où nous serons prochainement 19 vétérinaires, dont 8 collaborateurs libéraux. Les interactions avec les autres domaines d’activités spécialisés sont très intéressantes. J’ai trouvé, avec l’aide des vétérinaires avec qui je collabore, un équilibre très satisfaisant et qui enrichit grandement mon travail, à la fois de dermatologue et de généraliste.
Par ailleurs, j’apprécie la liberté que me donne ce statut : j’organise ainsi mon quotidien et mon temps de travail. Et contrairement à certaines idées reçues, ce statut ne m’a pas posé problème quand j’ai eu un enfant.
Enfin, la collaboration libérale m’a permis de faire assez facilement un premier pas dans le monde de l’entreprise et m’a donné le goût et la volonté d’entreprendre. Les vétérinaires avec qui je travaille m’ont en effet aidée dans certaines formalités lors de mon installation, et ils m’ont mise en contact avec un comptable.
Propos recueillis par Chantal Béraud

« HISTORIQUEMENT PARLANT, LE VÉTÉRINAIRE EST FAIT POUR ÊTRE UN LIBÉRAL ! »

Notre clinique se compose de cinq associés ruraux mixtes, de six salariés canins et de trois collaboratrices libérales rurales mixtes. Elles étaient auparavant salariées, mais depuis 2018, elles sont toutes trois passées collaboratrices libérales. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il est impossible de respecter le Code du travail lorsque l’on enchaîne des temps de garde et d’astreinte ! Nous nous sommes demandé ce qu’il se passerait si jamais l’une d’entre elles avait un accident, par exemple de voiture. D’autant plus que notre profession connaît désormais davantage de procédures aux prud’hommes…
Historiquement parlant, le vétérinaire est fait pour être un libéral ! Pourtant, j’ai l’impression que ce statut est décrié, y compris au sein des écoles vétérinaires. Les jeunes ont peur de se faire piéger, ils pensent que c’est un statut trop précaire… Pourtant, il peut être financièrement intéressant. En revanche, dans notre structure, il ne permet pas d’avoir beaucoup plus d’autonomie, car comme nous sommes nombreux, le règlement intérieur prime.
L’autre avantage d’être durant un an ou plus collaborateur libéral, c’est qu’on peut ensuite devenir plus facilement associé, puisque toutes les démarches administratives sont déjà faites. Mais nous avons négocié avec notre comptable pour qu’il s’occupe de toutes les déclarations de nos nouvelles collaboratrices libérales. Nous avons aussi négocié pour elles la responsabilité civile professionnelle, afin qu’elles bénéficient de tarifs avantageux, assortis d’un bon niveau de protection.
Dès que possible, nous cherchons à recruter un autre collaborateur libéral en rurale mixte. On propose même, au choix, ce poste à temps plein (216 jours) ou à temps partiel (à 80 %, soit 173 jours). Car je comprends parfaitement que l’on puisse souhaiter travailler moins, vouloir des enfants, etc. Et puis, je n’ai pas envie que les gens partent fatigués de notre structure, mais bien qu’ils aient envie d’y rester. L’objectif, c’est de parvenir à avoir une équipe cohérente qui dure.
Propos recueillis par Chantal Béraud

LES CINQ ÉLÉMENTS INDISPENSABLES DU CONTRAT DE COLLABORATION LIBÉRALE

La durée, quelle soit indéterminée ou déterminée, doit être précisée. Dans la seconde hypothèse, le contrat devra prévoir les modalités de son renouvellement. Si rien n’interdit la tacite reconduction, le modèle de contrat établi par l’Ordre des vétérinaires l’exclut. Les modalités de rémunération sont notifiées dans le contrat. Elle peut prendre plusieurs formes se caractérisant par une rétrocession d’honoraires (qui n’est en aucun cas un salaire). Le contrat type de l’Ordre des vétérinaires propose trois formules : la rétrocession au collaborateur d’un pourcentage du chiffre d’affaires (CA) de la structure d’exercice dans laquelle il travaille, la rétrocession par le collaborateur d’un pourcentage du chiffre d’affaires qu’il réalise (toute clientèle confondue) et la rétrocession au collaborateur d’un pourcentage du chiffre d’affaires qu’il réalise pour le compte de la structure. D’autres modes de rémunération peuvent être envisagés, comme le versement d’une rétrocession mensuelle fixe, celle-ci étant régularisée au regard du CA atteint à la fin de l’année. Celui qui perçoit la rétrocession doit établir une facture sur laquelle est appliquée la TVA. Celui payant la facture peut la déduire de ses charges professionnelles. Le contrat doit aussi préciser les conditions d’exercice de l’activité, et notamment les conditions dans lesquelles le collaborateur libéral peut satisfaire les besoins de sa clientèle personnelle. Généralement, cela se traduira par les obligations réciproques des parties, avec celle, pour le collaborateur, de respecter le règlement intérieur de la structure (horaires, règles d’utilisation du matériel, etc.). Là encore, le contrat type établi par l’Ordre des vétérinaires prévoit une stipulation contractuelle relative aux obligations du titulaire (c’est-à-dire la structure d’accueil du collaborateur), du collaborateur et des deux parties réciproquement. Les modalités de rupture du contrat en dehors de son éventuel terme conventionnel sont spécifiées, notamment sa notification (par lettre recommandée avec accusé de réception ou remise en main propre contre récépissé). Un délai de prévenance peut également être convenu, afin d’éviter une rupture brutale et en aménageant une phase de transition. Il est également possible d’anticiper les conflits relatifs à la clientèle pouvant intervenir au moment de cette rupture avec l’insertion d’une clause imposant aux parties de tenir un fichier distinct pour les deux clientèles (de la clinique et du collaborateur), d’une clause de rachat de clientèle par le titulaire et d’une autre de non-concurrence1. Enfin, les modalités de suspension du contrat doivent aussi être notifiés, afin que le collaborateur puisse bénéficier des indemnisations prévues par la législation de la Sécurité sociale. Le titulaire du contrat de collaboration ne peut en aucun cas mettre un terme à l’exécution du contrat, il s’agirait d’une rupture discriminatoire. Le titulaire ou même le collaborateur libéral peut, en revanche, en fonction du choix opéré et fixé par le contrat de collaboration, faire appel à un remplaçant pour assurer la continuité de l’exercice professionnel. Outre ces éléments légaux, l’Ordre exige également que soit précisé dans le contrat de collaboration l’ensemble des informations professionnelles relatives au collaborateur, à savoir son numéro de Siret2 permettant de vérifier qu’il en règle par rapport à ses obligations sociales et fiscales, la fourniture de son justificatif d’assurance professionnel, etc.
1 Dans le respect de l’article R.242-65 du Code rural et de la pêche maritime qui précise que « lorsqu’une clause de non-concurrence existe dans le contrat de travail et lorsque le vétérinaire en cause a exercé pour le compte d’un vétérinaire ou d’une société d’exercice vétérinaire au sein de plusieurs domiciles professionnels d’exercice, les cocontractants déterminent le domicile professionnel unique à partir duquel la clause sera applicable ».
2 Système d’identification du répertoire des établissements.