Les parlementaires seront-ils sensibles à la condition animale ? - La Semaine Vétérinaire n° 1785 du 09/11/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1785 du 09/11/2018

POLITIQUE

ACTU

Auteur(s) : CORINNE LESAINE 

Bien-être animal et bien-être humain ne feraient-ils pas qu’un ? C’est bien là l’originalité de l’approche du colloque organisé à l’Assemblée nationale le 7 novembre. Une initiative de Loïc Dombreval, vétérinaire et député des Alpes-Maritimes, président du groupe d’étude parlementaire pour la condition animale, qui a rassemblé des personnalités publiques, scientifiques et des associations de défense des animaux autour de cette question.

Un nouveau postulat : celui de replacer la discussion parlementaire sur le bien-être et la protection des animaux au cœur d’une démarche globale, dénonçant ainsi les approches dissociées qui, par le passé, aboutissaient à des échecs des politiques publiques vis-à-vis de ces enjeux. Des intervenants, tels que Boris Cyrulnik, Frédéric Lenoir, Cédric Villani, Matthieu Ricard, Virginie Millet, Bernard Vallat, Marie-Claude Lebret et Anne-Claire Gagnon, sont venus faire la démonstration d’une équation gagnant-gagnant, si humanistes et animalistes se rejoignent sur une notion commune, celle du bien-être et du respect de tout être vivant.

Un contexte parlementaire qui justifie de revenir sur la définition du bien-être animal

En mai 2018, l’Assemblée nationale venait de rejeter neuf propositions d’amendements, mesures en faveur de la protection des animaux domestiques d’élevage, pour privilégier des solutions plus “tempérées”. Les questions que posent l’élevage industriel intensif, les contrôles vidéo en abattoir, le changement du modèle agricole et alimentaire considérant un meilleur bien-être des bêtes et de meilleures pratiques d’élevage et d’abattage peuvent-elles être à nouveau discutées par les députés à la suite de ces débats inachevés et des interventions scientifiques1 auxquelles nous venons d’assister ? Pour Loïc Dombreval, président du colloque et du groupe d’étude condition animale du Sénat, « les parlementaires ont besoin des spécialistes du bien-être animal. Je mesure l’importance de la pédagogie, vous allez devenir les relais dont nous avons besoin… » pour faciliter aux côtés des parlementaires de nouvelles réformes réglementaires ou propositions de lois, afin que les députés puissent « tenter de convaincre le gouvernement quant au retard que nous avons vis-à-vis d’autres pays, probablement avec dou ceur et sans violence, afin de ne pas freiner le mouvement ».

La relation entre l’homme, l’animal et leur environnement est si fragile

Selon Cédric Villani, homme politique, membre du groupe d’étude du Sénat pour la condition animale et mathématicien de renom, « bien-être animal et bien-être humain sont des sujets graves à traiter ensemble avec autant d’harmonie que possible ». Il n’hésite pas à rappeler que le principal facteur ayant un impact défavorable sur la biodiversité et l’environnement est bien l’instabilité politique, partout dans le monde.

La médiation animale, avec les chiens d’assistance, et la maltraitance animale, souvent sentinelle de maltraitance humaine, sont des sujets profonds et très actuels, abordés réciproquement par Marie-Claude Lebret, fondatrice de l’association Handi’chiens, et Anne-Claire Gagnon, vétérinaire, présidente de l’Association contre la maltraitance animale et humaine (Amah). Ils sont autant de signes annonciateurs de progrès dans la considération du rôle et de la place de l’animal aux côtés des hommes, des femmes et des enfants, mais où il reste encore tant à faire en France.

Matthieu Ricard, moine bouddhiste qui dénonce l’absence de considération éthique en laissant libre cours à la souffrance animale et « en instrumentalisant les espèces à notre gré », au détour d’une interview vidéo, interpelle avec cette question : « Est-il juste et moral d’infliger des souffrances non nécessaires pour notre propre bénéfice ? La réponse est non ». En faisant appel au bon sens pour modifier nos habitudes, particulièrement celles liées à la consommation de viande, il invite les parlementaires à débattre sur un seuil légitime, au-delà duquel la souffrance animale n’est plus acceptable.

Boris Cyrulnik, neuropsychiatre et auteur d’ouvrages sur l’éthologie et la reconnaissance d’un monde “mental” aux animaux, a revisité l’évolution des connaissances scientifiques depuis les pensées cartésiennes qui associaient l’animal à une machine, à une absence de considération empirique de la souffrance animale dans la médecine du siècle dernier. « Quand votre vélo grince est-ce que vous pensez qu’il souffre ? », rétorquaient ses professeurs lorsque, par empathie, il détectait des signes de douleur chez l’animal ! Maltraiter les animaux, c’est rendre malade l’homme et préparer une 6e extinction d’espèce, celle de l’homme, selon lui.

Frédéric Lenoir, écrivain et philosophe, président de l’association Ensemble pour les animaux, remonte le temps où déjà, à l’époque de Victor Hugo ou de Louise Michel, les fervents défenseurs de la cause animale étaient également ceux des droits des hommes et des femmes opprimés. L’empathie à l’égard des animaux commençant dès l’enfance, il décide de repartir sur les fondamentaux de l’éducation, en aidant les enfants à renouer des liens porteurs de respect envers le monde vivant pour faire infléchir le déclin déjà programmé, celui de près de 30 % des espèces animales, vouées à disparaître d’ici 2050.

N’oublions pas que 67 % des Français sondés en 20182 estiment que les animaux sont mal défendus par les politiques. L’hémicycle sera-t-il sensible aux arguments des scientifiques, des intellectuels qui, au-delà de leur vision animaliste, ont tous une conviction, celle de réunir le bien-être de l’animal à celui de l’homme, comme une nécessité vitale pour la survie de tous ? Donnons-leur donc rendez-vous en 2019.

1 Virginie Millet et la définition du bien-être animal publiée par l’Anses en 2018 : bit.ly/2wpZdlt.

2 Sondage Ifop à la demande de la fondation 30 Millions d’amis.