DOSSIER
Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE
« Nous sommes dans une situation alarmante d’érosion de la biodiversité aux conséquences catastrophiques ». Tel est le constat dressé par de nombreux experts et scientifiques depuis quelques années. Face à cela, la prise de conscience écocitoyenne est de plus en plus forte et des mesures politiques se mettent en place. Cependant, elles restent encore actuellement difficilement transcrites en actes. Ainsi, les vétérinaires, qui devraient pourtant être les premiers acteurs sensibilisés à cette cause, doivent encore poursuivre leurs actions. Cela passera-t-il par une meilleure information et formation ?
L’inventaire de la biodiversité1, qui répertorie l’ensemble des formes de vie présentes sur Terre et des relations entre elles et leurs milieux (écosystèmes), est difficile à dresser. Cependant une chose est sûre : la Terre connaît actuellement une crise d’extinction massive (tant animale que végétale), qui peut être imputée, selon les scientifiques, au contexte culturel et socio-économique, notamment à l’expansion de l’espèce humaine (surexploitation et destruction d’habitats, pollutions ou encore introduction d’espèces concurrentes ou prédatrices, etc.). Or, la diversité du vivant rend de nombreux “services écologiques” à l’origine du bon fonctionnement de la planète et de la survie de toutes les espèces, dont l’espèce humaine. Dans un tel contexte, il semble indispensable de réagir rapidement à tous les niveaux. Le vétérinaire, qui de par sa formation est proche de la nature et de l’animal, a alors un vrai rôle à jouer.
Toutefois, pour intervenir efficacement, il reste encore de nombreuses connaissances à acquérir, car le fonctionnement des écosystèmes, leur stabilité, leur résistance aux agressions extérieures et leur capacité d’évolution face aux changements globaux restent encore trop méconnus. C’est pourquoi la recherche en biodiversité, qui s’intéresse aux nouveaux outils de protection, de restauration, de surveillance et aux scénarios d’évolutions possibles, est encouragée par les mesures gouvernementales depuis une dizaine années2. Ces travaux de recherche sont complexes, car ils s’intéressent à de nombreuses disciplines, aussi bien scientifiques que sociologiques ou économiques, au sein desquelles les vétérinaires trouvent pleinement leur place. C’est le cas de notre consœur Hélène Soubelet (T 97), qui a pris la tête, depuis 2017, de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB)3. Cet organisme, créé en 2008 avec le soutien des ministères de l’Écologie et de la Recherche, a pour objectif de coordonner aux échelles nationale et internationale les principaux acteurs en biodiversité, de diffuser les dernières connaissances et de susciter l’innovation pour mieux comprendre et prendre en compte la biodiversité. De même, divers projets de recherche se développent dans les laboratoires en région, comme l’Urbio (biodiversité urbaine) dans les Pays de la Loire qui porte sur une approche intégrée des services écosystémiques dans les aires urbaines et qui implique notamment des chercheurs vétérinaires d’Oniris.
Cependant, en pratique, sur le terrain, ces avancées scientifiques restent difficiles à transcrire en actes (interview page 44). Or, des mesures juridiques qui encadrent les actions à mener pour lutter contre la perte de biodiversité du vivant existent depuis de nombreuses années, tant à l’échelle internationale, qu’européenne ou nationale (Convention sur la diversité biologique de 2002-2010 ou liste rouge de l’UICN, par exemple). En France, la dernière mesure en date est le plan biodiversité4, mis en place en juillet dernier, après consultation de la FRB, par Nicolas Hulot, alors ministre de la Transition écologique et solidaire. Au-delà de la promotion de la recherche, il donne les rênes aux vétérinaires pour mener des actions de terrain de préservation et de restauration de la biodiversité. Ces derniers ont, par conséquent, un devoir vis-à-vis de l’environnement (encadré ci-dessus).
L’importance de leurs rôles de “sentinelle” et d’“acteurs” en santé environnementale (maîtrise des effluents d’élevages [médicaments], importation illégale [biodiversité]) avait d’ailleurs été soulignée dans le livret bleu5 élaboré par le Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL) et le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV) dans le cadre de Vetfuturs France (2018). Toutefois, il n’a pas fallu attendre ces évolutions juridiques pour que certains vétérinaires s’engagent concrètement. Ainsi, de nombreuses initiatives témoignent de l’implication des vétérinaires dans la protection de la faune sauvage. Par exemple, notre confrère Jean-François Courreau (A 77), professeur de zootechnie à l’École nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA), selon lequel « le vétérinaire se doit de respecter toute souffrance de la vie animale, qu’elle concerne la faune sauvage ou bien les animaux domestiques » (interview page 44), œuvre depuis 1993 avec d’autres vétérinaires, bénévoles et étudiants au sein de son association Faune Alfort (précédemment Cedaf) en faveur de la sauvegarde de la biodiversité animale de la région Île-de-France. De même à l’international, des vétérinaires tels que Sabrina Krief (A 97), également maître de conférences au Muséum national d’histoire naturelle, spécialiste de l’écologie des grands singes, mettent à profit leurs connaissances et leur statut de vétérinaire dans des missions de conservation in situ des écosystèmes et de la faune sauvage6 car, selon elle, « il est urgent d’agir à l’international ».
Cependant, dans certains cas leur rôle de praticien peut être difficile à concilier avec ces missions de protection de la biodiversité animale. Ainsi, comme en témoigne notre consœur Véronique Luddeni7 (T 92) concernant les dernières mesures gouvernementales de réintroduction de loups dans les Alpes, les vétérinaires doivent « jouer un rôle de médiateur auprès des éleveurs pour trouver les solutions les plus adaptées permettent de protéger à la fois les élevages et la faune sauvage », car les politiques actuelles de conservation, voire même de réintroduction des animaux sauvages endémiques dans leurs milieux naturels, sont souvent mal perçues par les éleveurs qui craignent pour leurs troupeaux. Or, la promotion de nouveaux systèmes d’élevages viables et plus respectueux de l’environnement et de la biodiversité est un des grands enjeux actuels pour répondre aux attentes sociétales et gouvernementales. Cela passe aussi par l’encouragement de nouvelles pratiques agricoles (comme le précise la nouvelle loi Égalim de novembre 2018). En effet, dans un objectif de productivité, les systèmes d’élevages mis en place depuis le milieu du xxe siècle reposent sur des monocultures et des monoélevages qui les rendent très vulnérables aux changements climatiques actuels (catastrophes naturelles, maladies, etc.).
Parmi les mesures préconisées, les vétérinaires devront revoir leur pratique de la médecine en élevage, notamment. C’est déjà le cas dans certaines zones comme les Pyrénées centrales, où l’association Pasto’Pyc8 a été créée par des éleveurs de bovins et d’ovins autour de l’instauration de nouvelles conduites d’élevage et de pratiques vétérinaires alternatives (traitements antiparasitaires, par exemple).
De même, des signes de reconnaissance peuvent permettre de valoriser des productions plus respectueuses de l’environnement et de la biodiversité animale, comme en témoigne l’initiative “lait de vache pays de Fougères”, lancée récemment par notre confrère Gaël Gounot (T 88, Mayenne) aux éleveurs de bovins laitiers de sa région. Selon lui, pour aider les agriculteurs, il faut faire évoluer les choses via de telles démarches qui assurent une production locale, une rémunération juste des éleveurs, mais aussi un élevage respectueux de l’environnement et du temps de pâturage des animaux. Pourtant, ces exemples sont encore rares. En effet, le comité français de l’UICN9 déplore que « la biodiversité reste encore actuellement peu prise en compte dans les cahiers des charges des signes de reconnaissance et les pratiques favorables à la biodiversité sont généralement seulement encouragées pour leur intérêt gustatif sans être pour autant obligatoires ». Les démarches locales comme l’appellation d’origine contrôlée (AOC) “fin gras du Mézenc”, qui précise que la flore pâturée doit être naturelle (non semée), ou le label “Agneau boulonnais, Agneau des terroirs du Nord”, qui valorise la diversité des races domestique (espèces locales ou anciennes), devront alors être encouragées, et ce d’autant plus que les déséquilibres écologiques actuels peuvent avoir des impacts directs sur la santé humaine.
En effet, face au constat que « la perte de biodiversité conduit à un risque de multiplication des agents pathogènes, de certains vecteurs et de leurs réservoirs et donc d'augmentation des contaminations humaines », une nouvelle approche Eco Health a vu peu à peu le jour depuis quelques années, comme le rappelle Eva Miguel, écologue au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 75 % des maladies infectieuses humaines sont apparues depuis moins de 10 ans et 60 % sont zoonotiques. À l’horizon 2030, comme l’indique le livret bleu Vetfuturs France, la sensibilisation des vétérinaires à la protection de la biodiversité, mais aussi à la veille sanitaire pour contrer ces risques sanitaires émergents constituera donc un enjeu majeur pour la santé humaine. Pour cela, la sensibilisation et la formation des vétérinaires devront être accentuées.
En effet, alors que les considérations écologiques prennent peu à peu leur place dans les programmes d’éducation scolaire et dans l’enseignement agricole, les vétérinaires, pourtant pleinement concernés, ne sont pas encore formés en conséquence 5. Or, selon Eva Miguel, «
ce manque de formation spécifique à la biodiversité dans les études de médecine ou vétéri
naire peut
conduire à des pratiques irrespectueuses de l’environnement aux conséquences lourdes telles que ce qui s’est produit par le passé avec l’apparition de résistances bactériennes aux antibiotiques et de résistances aux antiparasitaires en élevages ». Il faudra donc faire évoluer l’enseignement des vétérinaires pour leur apporter une approche multidisciplinaire car, comme l’a précisé Gilles Pipien, inspecteur général à l’environnement au ministère de l’Écologie, interrogé à ce sujet, « il nous faut comprendre en tant que scientifique pour pouvoir agir ». Il a ainsi donné l’exemple du master pluridisciplinaire de santé publique spécialité société, environnement, enjeux sanitaires (Sens10 , proposé depuis peu à l’université d’Aix-Marseille, facultés des sciences et de médecine de La Timone), pour un public de professionnels de la santé : sages-femmes, dentistes, médecins, mais aussi vétérinaires. Ces formations complémentaires sont d’ailleurs d’autant plus intéressantes pour ces derniers qu’elles sont absentes du cursus de formation en école vétérinaire. Ainsi, actuellement les praticiens qui souhaitent connaître les premiers soins à apporter à un animal sauvage blessé doivent le faire de leur propre chef en adhérant à des associations comme Faune Alfort (ENVA). Pourtant, des recommandations ont été émises dans le livret bleu Vetfuturs France, qui indique qu’« il est nécessaire d’intégrer les demandes sociétales liées à une production alimentaire respectueuses du bien-être animal, de l’environnement et de la biodiversité (protection de l’environnement, développement durable, de l’aquaculture, insectes comme source de protéines) dans la formation des vétérinaires » afin que « les vétérinaires soient considérés dans la société comme une force de premier plan pour (…) la biodiversité, et que cette expertise soit reconnue (gouvernement, public, parties prenantes) ». Si ces préconisations sont suivies, les futurs vétérinaires, mieux formés et informés, seront alors mieux armés pour répondre aux nouveaux défis qui les attendent.
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1 Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), Convention sur la diversité biologique (CDB).
2 Montant de l’aide publique au développement pour la biodiversité: bit.ly/2A73c55
3 fondationbiodiversite.fr/fr.
6 La Semaine Vétérinaire n° 1762 du 4/5/2018, page 28.
7 La Semaine Vétérinaire n° 1753 du 2/3/2018, pages 30-31.
10 bit.ly/2TkFBGV.
LE POINT DE VUE D’UN AVOCAT SUR LA PLACE DU VÉTÉRINAIRE DANS L’ENVIRONNEMENT
« DES POSSIBILITÉS DE FORMATION EN FAUNE SAUVAGE »
« DES ESPOIRS POUR LA RECHERCHE EN BIODIVERSITÉ, MAIS UNE MISE EN APPLICATION À SURVEILLER »