L’art du débat - La Semaine Vétérinaire n° 1788 du 30/11/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1788 du 30/11/2018

Edito

Auteur(s) : TANIT HALFON 

donneriez-vous du lait maternisé issu d’une vache transgénique à votre bébé ? Mangeriez-vous du saumon qui a été génétiquement modifié pour croître plus vite ? Ces questions pourraient rapidement se poser en Europe. D’ailleurs, il vous suffit actuellement de traverser l’Atlantique pour retrouver ce type de poisson dans votre assiette1. Ces questions découlent directement des récentes avancées dans le domaine des biotechnologies, avec la mise au point, dans les années 2000, des techniques de modification ciblées du génome. Et surtout de la découverte, en 2012, du système Crispr-cas9, un “ciseau moléculaire” révolutionnaire, permettant de couper plus précisément, rapidement, efficacement et à moindre coût, l’ADN2. Le débat éthique des animaux génétiquement modifiés s’avère complexe. Pourquoi, par exemple, refuser des vaches sans cornes, quand cela permettrait aux animaux de ne pas subir l’écornage ? Cette évolution ne constituerait-elle pas une amélioration notable du bien-être animal ? Pourquoi se priver des porcs résistants à la peste porcine africaine, à la vue des conséquences économiques de la maladie sur la filière porcine, sans parler des dégâts psychologiques chez les éleveurs ? Pourquoi ne pas autoriser dès aujourd’hui la commercialisation du saumon transgénique en Europe, qui consomme 25 % de nourriture en moins par rapport au poisson conventionnel, offrant un avantage économique et écologique ? Mais le débat se complique lorsque, par exemple, sont évoquées les xénogreffes. Face au manque de dons d’organes, des élevages de porcs “chimères” à grande échelle sont-ils éthiquement acceptables ? La complexité du débat monte encore d’un cran dès lors que l’on pose la question de la brevetabilité des animaux génétiquement modifiés (AGM). Pourra-t-on, un jour, avoir des AGM de rente brevetés par une entreprise privée, comme cela est déjà le cas dans le domaine végétal ? D’autant plus que dans ce domaine justement, plusieurs investisseurs privés ont déjà acheté une licence leur permettant d’utiliser l’outil Crispr-Cas9 à des fins industrielles. Sollicité par nos soins, l’Office européen des brevets indique que les demandes en ce sens et les brevets existants pour les AGM de rente sont rares. La plupart concernent, de fait, des souris et des rats transgéniques utilisés pour la recherche médicale. Une chose est sûre : les biotechnologies appliquées à l’élevage conduiront forcément à un débat public. Et c’est tant mieux. Mais dans un contexte tendu, où l’élevage est accusé de tous les maux, l’art sera alors d’arriver à installer un débat apaisé et constructif pour tous. ●

1 Les autorités sanitaires des États-Unis et du Canada ont accordé l’autorisation de mise sur le marché de ce poisson transgénique.

2 Lire le dossier pages 40 à 46.