CONFÉRENCE
PRATIQUE CANINE
Formation
Auteur(s) : GWÉNAËL OUTTERS
Les dermatophytes sont des pathogènes autonomes, particulièrement résistants, qui induisent une infection très souvent difficile à contrôler. Leur gestion nécessite une stratégie adaptée : connaissance des formes cliniques (classiques et atypiques), diagnostic précis et complet (lampe de Wood, trichoscopie, cytologie dans certaines formes et culture1), utilisation correcte des antifongiques. Microsporum canis n’est pas responsable de plus de 90 % des dermatophytoses comme il a longtemps été dit2. Les dermatophytoses à Trichophyton mentagrophytes sont de plus en plus rapportées, y compris chez le chat. Les contagions humaines sont assez fréquentes et variables en fonction des espèces (suspectées dans environ 30 % des cas d’infection par M. Canis chez le chat et 20 % chez le chien).
Systémiques
L’important n’est pas tant le choix de la molécule que la gestion du traitement. Tous les antifongiques sont fongicides in vitro mais sont essentiellement fongistatiques in vivo.
- La griséofulvine est seulement active sur les dermatophytes et a par ailleurs une action antiprurigineuse. Elle s’utilise à la dose de 25 à 30 mg/kg, deux fois par jour (soit en fait plus du double de l’AMM), accompagnée d’un repas riche en lipides pour en améliorer l’absorption. Elle n’a pratiquement pas d’effet résiduel à l’arrêt du traitement. Il existe des intolérances et des accidents cutanés médicamenteux, ainsi que des contre-indications (chats infectés par un rétrovirus, gestation).
- Tous les azolés ont un large spectre : levures, dermatophytes et autres champignons filamenteux. Il existe deux sous-familles dont le mode d’action est le même : inhibition de la synthèse de l’ergostérol (constituant des membranes fongiques) et perturbation de la synthèse des membranes des dermatophytes. L’utilisation du kétoconazole (10 mg/kg, une fois par jour, avec un repas riche en graisses) est consensuelle. Ce dernier présente aussi d’autres effets qu’antifongiques (anti-inflammatoire, voire antiprurigineux, par action sur la cascade de la 5-lipoxygénase, inhibiteur de la stéroïdogenèse). Il interagit avec le métabolisme ou la pharmacocinétique de certaines molécules, dont la ciclosporine. Il possède un effet retard de quelques jours. L’itraconazole (5 mg/kg, une fois par jour) est le mieux toléré des systémiques. Il se lie à la kératine du stratum corneum. Il possède un effet retard très supérieur à celui du kétoconazole, ce qui permet de ne traiter les animaux que 1 semaine sur 2.
- Les autres antifongiques systémiques ne sont pas consensuels : ils peuvent être actifs mais ne sont pas forcément recommandés ni autorisés. La terbinafine (20-40 mg/kg, une fois par jour), utilisée chez l’homme pour les onychomycoses, est efficace contre les dermatophytes, bien tolérée, non tératogène, mais est d’utilisation délicate chez les animaux puisque des molécules efficaces disposent d’une AMM vétérinaire avec l’indication dermatophytose. Le lufénuron n’a strictement aucune activité antifongique, quelle que soit la dose.
Topiques
L’énilconazole (solution à 0,2 %, deux fois par semaine) est une molécule consensuelle, curative et préventive. Elle agit par contact direct, sans pénétrer le canal folliculaire (action fongicide). Elle doit être utilisée sur tout le corps. Elle a un effet retard de plusieurs jours pendant lesquels un animal infecté traité ne sera plus infectant et un animal non infecté sera ainsi protégé. L’animal ne doit pas se lécher car la tolérance per os n’est pas parfaite (tonte préconisée dans ce sens pour minimiser la charge de produit cutané). Le traitement focal n’est pas recommandé dès lors qu’il s’agit de M. canis ou de T. mentagrophytes : si 75 % des animaux sont présentés avec une seule lésion, une généralisation fréquente pousse à recommander d’emblée un traitement de tout le corps. Il pourrait éventuellement s’envisager pour M. gypseum, qui ne concerne que la face.
Les produits iodés traditionnels ont une efficacité strictement antifongique limitée. Concernant les huiles essentielles, rien ne permet de penser qu’elles ont la moindre efficacité ; elles sont peu actives in vitro. La chlorhexidine n’a pas d’effet sur les dermatophytes.
Shampooings
Les shampooings n’ont pas d’effet protecteur ni résiduel, ils ont un effet lavant et éliminent les dermatophytes par le rinçage (deux fois par semaine, laisser agir 10 minutes). Ils sont néanmoins un appoint au traitement systémique. La spécialité à base de miconazole et de chlorhexidine (Malasseb®) s’est montrée efficace dans une étude3 chez le chat, en combinaison avec la griséofulvine, et peut donc représenter un bon auxiliaire au traitement. Elle permet d’obtenir plus rapidement des cultures négatives. D’autres shampooings, par exemple au climbazole, mériteraient d’être testés sur les dermatophytes.
Longtemps discutée, son intérêt a été clairement démontré par le laboratoire de dermatologie, parasitologie, mycologie (DPM) d’Oniris et aujourd’hui le consensus s’oriente clairement vers la recommandation de la tonte chez les races à poils longs. Elle doit être atraumatique, les lésions étant des facteurs favorisant le développement des dermatophytes. Elle permet d’éliminer une partie des poils, qui sont un réservoir majeur pour l’animal, les autres animaux, l’homme et responsables d’une longue contamination de l’environnement. Patrick Bourdeau, responsable du service et du DPM, recommande fortement de la renouveler après 3 semaines, car les topiques n’ont pas d’action sur les champignons dans les follicules et les systémiques agissent essentiellement en bloquant toute croissance supplémentaire mais sans détruire des champignons présents. Elle devrait être renouvelée au bout de 1 semaine, lorsque le poil à repoussé, puisque le traitement n’a pas d’action sur la partie folliculaire du poil. Chez le persan et le yorkshire, elle apporte des résultats significativement meilleurs (l’absence de tonte étant souvent synonyme d’échec thérapeutique).
Elle est essentielle. 75 % des souches de dermatophytes sont toujours vivantes au bout de 6 mois et 34 % au bout de 4 ans et demi : il n’y a pas de disparition spontanée de ces dermatophytes. L’action mécanique est recommandée : aspiration tous les jours ou deux fois par semaine en fonction de la gravité. Le passage en machine à laver (au moins 60° C) nettoie et assainit les tissus. Il n’y a guère que l’eau de Javel diluée à 10 % qui fasse un consensus en matière d’efficacité, la plupart des autres désinfectants ont une activité qui dépend de la façon dont ils sont utilisés et du temps de contact. L’éconazole (Imaveral®), à la concentration de 4 %, est utilisable (deux fois plus que la concentration sur l’animal)4. Les générateurs de fumée, souvent mentionnés, n’ont pas fait réellement la preuve de leur efficacité sur les dermatophytes en situation pratique (action sur Aspergillus dans les couvoirs).
Les échecs sont multiples, essentiellement liés à des problèmes d’observance, mais aussi à des variations individuelles en matière d’immunité ou de sensibilité spécifique (yorkshire), de réinfection en l’absence de tonte ou de la présence de congénères non traités. La cause majeure d’échec est aussi l’absence de traitement topique, seul facteur significatif de guérison. Il y a 10 % d’échec pour T. mentagrophytes, 30 % pour M. canis, d’où l’intérêt d’identifier précisément les dermatophytes.
Actuellement, rien ne permet de penser que les vaccins auraient un intérêt chez les carnivores. Les vaccins chez les bovins ont une efficacité zootechnique pour diminuer les lésions sur les cuirs, tandis que ceux pour les chevaux en Allemagne seraient peu protecteurs. M. canis est peu immunogène : dans les conditions actuelles, ces faibles efficacités font que ce type de vaccin ne pourrait apporter un bénéfice que pour obtenir au mieux une éventuelle guérison plus rapide et sur des effectifs, sans réel intérêt individuel.
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1 La culture avec identification complète et l’évaluation quantitative ou semi-quantitative sont les éléments essentiels du diagnostic de dermatophytose.
2 Les chiffres du laboratoire DPM portant sur un grand nombre d’analyses couvrant l’ensemble du territoire et des situations montrent une proportion d’à peine 60 % chez le chien et d’environ 75 % chez le chat.
3 Paterson S. Miconazole/chlorhexidine shampoo as an adjunct to systemic therapy in controlling dermatophytosis in cats. Journal of Small Animal Practice. 1999:40;163-166.
4 Clinafarm® en spray n’étant plus disponible en France.
Pour en savoir plus
- Bensignor E., Darmon-Hadjaje C., Faivre-Cochet N., Germain P.-A. Traitement des dermatophytoses du chien et du chat : proposition de référentiel du groupe d’étude en dermatologie des animaux de compagnie (Gedac). Revue vétérinaire clinique. 2014;49:87-92.
- Moriello K. A., Coyner K., Paterson S., Mignon B. Diagnosis and treatment of dermatophytoses in dogs and cats : clinical consensus guidelines of the World Association for Veterinary Dermatology. Vet. Dermatol. 2017;28(3):266-303.
EXEMPLE DE STRATÉGIE THÉRAPEUTIQUE
CAS PARTICULIER DES FEMELLES GESTANTES OU ALLAITANTES
CAS PARTICULIER : LE MYCÉTOME