Les recommandations de l’AAFP sur l’anesthésie féline - La Semaine Vétérinaire n° 1789 du 07/12/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1789 du 07/12/2018

SYNTHÈSE

PRATIQUE CANINE

Formation

Face au constat que la mortalité périanesthésique reste plus élevée chez le chat que chez le chien, l’Association américaine des praticiens de médecine féline (AAFP) a établi des règles de bonnes pratiques pour l’anesthésie du chat1 visant à réduire les risques périanesthésiques.

Précautions préanesthésiques

En 33 pages argumentées, les auteurs expliquent leurs recommandations et soulignent l’importance :

- de disposer d’équipements adaptés, avec notamment un oxymètre pulsé, un capnographe, un moniteur de pression et un électrocardiogramme (ECG), un circuit de bain (faible espace mort < 2 à 3 ml/kg) avec manomètre ou dispositif d’alarme, une pompe à perfusion, un laryngoscope et des sondes de 2 à 5,5 mm avec ou sans ballonnet.

- de vérifier la fonctionnalité des appareillages avant une anesthésie.

- d’assurer une évaluation préanesthésique soigneuse en incluant éventuellement la recherche de diverses comorbidités (cardiomyopathie, hyperthyroïdie, maladie rénale, asthme, obésité, diabète, etc.). Ainsi, une analyse d’urine, une numération et formule sanguines, ainsi qu’un bilan biochimique et un ionogramme (urée, créatinine, phosphatase alcaline, alanine aminotransférase, glucose, albumine, globulines, phosphate, sodium, potassium, calcium) sont recommandés au-delà de 6 ans. Il en est de même pour la réalisation d’une radiographie thoracique et d’une mesure de la T4, au-delà de 10 ans. Ces bilans restent à la discrétion du clinicien qui ne doit pas oublier que de nombreuses comorbidités sont souvent subcliniques.

- d’agir pour réduire l’anxiété et le stress (gabapentine à 50-100 mg per os (PO), manipulation douce, utilisation de serviette-éponge, etc.) et d’envisager de limiter à 3 à 4 heures la durée de la diète hydrique préopératoire si l’animal reçoit une alimentation humide.

Choix des molécules anesthésiques

D’un point de vue pratique, les auteurs réalisent aussi diverses recommandations essentielles. Une prise en charge d’urgence réclame, dans la mesure du possible, une stabilisation préalable des fonctions cardiovasculaire (fluidothérapie minutieusement surveillée, en se souvenant que la volémie du chat est moindre que celle du chien) et respiratoire (préoxygénation). Le chat est un animal stressé et anxieux. Une tranquillisation préhospitalière et/ou préanesthésique est un point clé de l’anesthésie du chat. Les morphiniques (morphine, buprénorphine, par exemple), seuls ou associés, sont indiqués d’autant plus qu’ils apportent une valence analgésique utile. Utilisées seules, les benzodiazépines ne sont pas conseillées (risques d’excitation ou de dysphorie). L’acépromazine présente des effets inconstants chez le chat et elle doit être utilisée en combinaison avec une autre molécule. Les α2-agonistes comptent parmi les médicaments les plus employés chez cette espèce malgré leur impact sur le débit cardiaque et les risques de vomissements. Ils ne doivent cependant pas être combinés à un anticholinergique (risque d’hypertension majeure).

L’induction de la narcose peut se faire par les voies intraveineuse (IV), intramuscuclaires (IM), sous-cutanée (SC) ou respiratoire et doit idéalement être précédée d’une préoxygénation. Les boîtes à induction sont à considérer en dernier ressort (stress, agitation, arythmies cardiaques, etc.) et ne doivent pas être utilisées en routine.

La maintenance anesthésique peut idéalement être réalisée par des agents inhalés (dose souvent supérieure aux autres espèces) conjointement à une analgésie morphinique et sous contrôle de la pression artérielle. Une solution alternative possible chez le chat est une maintenance par perfusion continue de propofol ou d’alfaxalone. La réalisation d’une anesthésie balancée (utilisation de plusieurs classes médicamenteuses) permet de diminuer les besoins de narcose. Le phénomène d’accumulation observée lors de maintenance injectable peut augmenter la durée du réveil, surtout chez le chat en hypothermie.

Intubation et fluidothérapie

Constatant que chez le chat la morbi-mortalité est de façon dominante de nature respiratoire, les auteurs insistent sur la nécessité de protéger les voies aériennes et d’assurer une bonne oxygénation pendant toute la durée de l’anesthésie, réveil inclus. L’intubation trachéale doit être précédée d’une anesthésie laryngée (0,2 ml de lidocaïne 2 %) et ne doit pas être trop profonde (enfoncement du tube jusqu’à l’entrée de la poitrine, soit d’une longueur allant du nez à la pointe de l’épaule). Le ballonnet ne doit pas être trop gonflé (risque de brèche trachéale). Le recours à un masque laryngé supraglottique (de type V-gel®) est une alternative pertinente. Une fluidothérapie periopératoire est recommandée à 3 ml/kg/h.

Prévention des complications

En cas d’hypotension, une diminution de l’agent inhalé peut être nécessaire, avant l’administration de boli de fluides (isotonique salé, 5 à 10 ml/kg). La limitation de l’hypothermie par des méthodes de réchauffement actif (tapis chauffant, par exemple) est à privilégier. Les arythmies cardiaques sont peu fréquentes chez le chat, celles d’origine ventriculaire peuvent répondre à la lidocaïne (0,25 à 0,5 mg/kg IV). L’ensemble des complications (hypoventilation, hypotension, bradycardie, etc.) admettent des prises en charge spécifiques chez le chat. Les moyens de surveillance doivent être adaptés. Le contrôle des paramètres de la narcose, de la circulation (mesure de pression artérielle, ECG), de l’oxygénation (oxymètre pulsé avec tracé pléthysmographique), de la ventilation (capnographie, gaz du sang artériel) et de la température doit être assuré.

Surveillance du réveil

Considérant que plus de 60 % des décès perianesthésiques du chat surviennent dans les 3 premières heures postopératoires, le monitoring doit se poursuivre durant cette phase de récupération. Un réveil idéal est le retour calme à une conscience normale et une extubation dans les 15 à 30 min. Les phases dysphoriques sont, chez le chat, souvent associées à la douleur, à certains médicaments (possibilité d’antagonisation) ou à une hypoxémie. Une sédation et un maintien de l’oxygénation peuvent ainsi être parfois nécessaires. Les produits administrés (nature et dose) et les paramètres surveillés doivent être notés toutes les 15 min sur une fiche anesthésique standardisée.

1 Robertson S. A., Gogolski S. M., Pascoe P. et coll. AAFP Feline Anesthesia Guidelines, J. Feline Med. Surg. 2018;20(7):602-634.

TENIR COMPTE DES COMORBIDITÉS

Alix Barbarino Résidente ECVECC, ENVA.

Patrick Verwaerde Diplomate ECVECC, maître de conférences en anesthésie-réanimation à l’ENVT.