Phytothérapie vétérinaire : vers de nouvelles études cliniques ? - La Semaine Vétérinaire n° 1790 du 14/12/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1790 du 14/12/2018

MÉDECINE ALTERNATIVE

ACTU

Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE  

Quels essais ou études cliniques pour la phytothérapie vétérinaire ? Voici la question à laquelle ont tenté de répondre, le 11 décembre, à Oniris, les principaux acteurs du secteur (industriels, praticiens, membres des organisations professionnelles et de l’Administration), réunis lors d’une table ronde.

La nécessité d’obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM) semble être le principal frein au développement des médicaments de phytothérapie vétérinaire », a indiqué Yassine Mallem, enseignant-chercheur à l’école nantaise Oniris (Loire-Atlantique) et responsable pédagogique de la première édition du diplôme interécoles (DIE) de phytothérapie vétérinaire, pour introduire la seconde table ronde1 organisée le 11 décembre et portant sur les essais cliniques en phytothérapie. Face à ce constat, les questions sur l’intérêt d’obtenir une AMM pour ces traitements et les initiatives à mettre en place pour qu’ils puissent être obtenus plus facilement ont été abordées. Ainsi, comme l’a rappelé Laure Baduel, responsable de l’unité d’évaluation des médicaments chimiques de l’Agence nationale de sécurité sanitaire des aliments (Anses), une réglementation spécifique s’applique à la phytothérapie et à l’aromathérapie vétérinaires.

Une réglementation allégée

Dans le cadre du plan ÉcoAntibio, un avis de l’agence publié en février 20162 avait conduit à des allégements du dossier d’obtention d’AMM des traitements de phytothérapie pour promouvoir leur utilisation comme solutions alternatives aux antibiotiques. Ce dernier stipule que, pour un « médicament vétérinaire à base de plantes justifiant d’un usage bien établi (reconnu depuis au moins 10 ans dans la communauté européenne), les résultats des essais cliniques et non cliniques relatifs à l’efficacité du médicament peuvent ne pas être fournis et être remplacés par des références à la littérature publiée et reconnue prouvant son innocuité ». Les références bibliographiques doivent alors mentionner précisément le traitement utilisé, décrire ses propriétés pharmacodynamiques et ses mécanismes d’action, et enfin fournir des preuves de tolérance chez l’animal de destination. L’efficacité d’un traitement n’est pas le critère principal d’attribution de l’AMM, car même avec une efficacité moindre, un traitement alternatif qui comporte moins d’effets secondaires négatifs qu’un traitement antibiotique obtiendra une AMM. Cependant, force est de constater, comme l’a indiqué Laure Baduel, qu’en pratique, deux ans plus tard, ces allégements réglementaires n’ont pas conduit à de nouvelles obtentions d’AMM de médicaments de phytothérapie vétérinaire. Cela s’explique, selon Claude Faivre, directeur du laboratoire de phytothérapie vétérinaire Wamine, par le coût de ces dossiers pour les industriels qui « ne souhaitent pas dépenser autant pour obtenir une AMM pour un médicament destiné à une espèce donnée pour un usage donné, ce qui ne correspond pas à l’usage pratique des traitements de phytothérapie ». Hormis la mention d’une allégation thérapeutique, la question de l’intérêt d’obtenir une AMM dans les conditions réglementaires actuelles se pose alors légitimement.

Un manque de données bibliographiques “fiables”

De plus, comme l’a indiqué Yassine Mallem, les études bibliographiques sur les traitements de phytothérapie vétérinaire existantes considérées comme valides, car indexées à des bases de données reconnues (Cab Abstract, Medline), sont très peu nombreuses dans la littérature vétérinaire, selon Yassine Mallem. D’ailleurs, l’avis rendu en septembre dernier par les sénateurs sur le sujet3 corrobore ce constat : « Les traitements de phytothérapie et les huiles essentielles, pourtant en plein essor, ne sont pas assez documentés actuellement sur leurs allégations revendiquées et sur l’évaluation de leur innocuité notamment au regard des limites maximales de résidus (LMR). » En effet, selon les recommandations de l’Anses, la pertinence des études publiées est évaluée à l’aide de grilles de lecture et de scores très exigeants comme celui de Jadad (études randomisée de niveaux 1 ou 2, en double aveugle, qualité, avec description des retraits d’études et des abandons).

Vers des études de cas pratiques

Pour pallier ce manque bibliographique d’études “fiables”, une piste a été évoquée par différents membres de la table ronde. Elle consiste à mettre en place des études de cas avec les praticiens vétérinaires plutôt que de financer des études de cohortes, phytopharmacologiques ou des essais contrôlés randomisés. Selon Yassine Mallem, « le vétérinaire est le principal acteur à mobiliser pour faire bouger les choses. Les pratiques des vétérinaires en phytothérapie existent déjà sur le terrain. Elles pourront être valorisées, reconnues et publiées en définissant une struc ture com mune d’études de cas », a-t-il ajouté. De plus, d’après Didier Boussarie, praticien vétérinaire en nouveaux animaux de compagnie, « dans ce cadre, il sera nécessaire, pour que ces essais soient considérés comme crédibles, de réaliser des examens complémentaires afin d’établir un diagnostic précis ».

Un modèle phytothérapique à développer

Dans les études cliniques requises actuellement, l’évaluation des traitements de phytothérapie doit se faire suivant un schéma allothérapique. Or, le problème majeur qui a alors été souligné par Claude Faivre est que le modèle phytothérapique « n’est pas calquable sur celui utilisé pour les molécules chimiques, car, en pratique, le vétérinaire utilise un ensemble de plantes pour soigner une maladie. Il faudrait donc déterminer des critères d’évaluation spécifiques aux plantes. » De même, selon Isabelle Lussot-Kervern, représentante de l’Association vétérinaire équine française (Avef) : « calquer le monomoléculaire au multimoléculaire ne marchera pas ». De plus, face au développement important actuel d’initiatives non vétérinaires, il est indispensable que le vétérinaire « tire son épingle du jeu avec la publication de cas cliniques complets et reconnus, mais adaptés à la pratique de la phytothérapie » a-t-elle ajouté. Pour contrer ces difficultés, Richard Blostin, représentant de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac), a proposé de « commencer avec des projets simples, en collaboration avec les écoles vétérinaires, de publication de cas sur des pathologies aiguës, qui répondent généralement toutes de la même façon aux traitements phytothérapiques, avant de s’intéresser à des cas plus complexes ». Les étudiants vétérinaires, avec leurs thèses vétérinaires, constituent une véritable « force vive » pour mener ces études a alors indiqué Yassine Mallem. Enfin, comme l’a ajouté Patrick Conesa, président de l’Association française des vétérinaires phytothérapeutes (AFVP), « les références scientifiques qui avaient cours jusqu’à présent sont peu à peu mises à mal avec les problèmes d’antibiorésistance (et pour faire) évoluer le législateur de paradigme , il faudrait que tous les acteurs concernés se réunissent au sein d’un groupe de travail tourné vers des revendications communes » .

Vers des décisions communes

Néanmoins, en attendant que la législation évolue, les différents acteurs présents ont convenu qu’ils devraient définir ensemble une structure commune de cas cliniques et de publications pour étoffer la littérature vétérinaire. Dans le même temps, à la suite d’une proposition des sénateurs2, pour favoriser un cadre plus propice au développement des médicaments et des soins vétérinaires à base de plantes, la création d’un institut de recherche en phytothérapie vétérinaire et la formation destinée aux vétérinaires et aux éleveurs devraient être encouragées. Comme l’a conclu Yassine Mallem, « les choses bougent : le DIE de phytothérapie est un succès vu le nombre de participants à venir et des initiatives comme la collaboration d’Oniris avec la Société française d’ethnopharmacologie, présidée par Jacques Fleurentin, et la réflexion autour de la création d’une structure de recherche en phytothérapie animale au sein d’Oniris sont en cours ». Dans le courant de l’année 2019, un nouvel avis de l’Académie vétérinaire de France sur le sujet devrait être rendu et une prochaine table ronde est déjà programmée.

1 Pour la première table ronde, voir La Semaine Vétérinaire n° 1755 du 16/3/2018, page 13.

2 Avis de l’Anses relatif à la saisine n° 2014-SA-0081 - AMM Phytothérapie vétérinaire du 3/2/2016.

3 Rapport d’information n° 727 du Sénat au nom de la mission d’information sur le développement de l’herboristerie et des plantes médicinales, des filières et métiers d’avenir rendu le 25 septembre 2018.