PROFESSION
ACTU
Auteur(s) : CHANTAL BÉRAUD
Des photos d’une auxiliaire spécialisée vétérinaire (ASV) posant un cathéter et effectuant une intubation trachéale ont été publiées. Averti par un confrère, le président d’un conseil régional de l’Ordre des vétérinaires a porté plainte contre l’employeur. Cette affaire, en cours d’instruction, relance la question de la délégation de certains actes vétérinaires aux ASV.
Depuis l’année 2015, le SNVEL et le CNOV1 réfléchissent aux possibles changements à envisager concernant la délégation d’actes vétérinaires aux auxiliaires spécialisés vétérinaires (ASV), avec la participation d’associations telles que l’Afvac, l’Avef et la SNGTV2. Toutefois, le mandat donné par l’assemblée des délégués au conseil d’administration du SNVEL pour travailler sur ce sujet remonte seulement au printemps 2018… « Le sujet doit être traité dans le calme. À ce jour, aucun calendrier n’a été fixé. Le prérequis est que les soins soient réalisés sous la responsabilité du vétérinaire employeur, dans le cadre d’un contrat de travail. Quant à la réflexion sur les autres conditions (réalisation, formation, validation des compétences, niveau de rémunération et liste des soins), elle ne fait que débuter. L’objectif est aussi de permettre une amélioration du service rendu au public, en redistribuant certaines tâches entre les différents membres d’une équipe soignante élargie », commente Laurent Perrin, président du SNVEL3 .
Cette délégation d’actes n’est donc pas encore légalisée. D’où la plainte qui vient d’être déposée par le président d’un conseil régional de l’Ordre des vétérinaires contre un praticien, parce que des photos publiées ont montré la pose d’un cathéter et une intubation trachéale par un membre de son personnel ASV. Cependant, cette plainte semble aussi montrer que ce changement n’est toujours pas souhaité par une partie de la profession, ou tout du moins qu’une telle évolution se doit d’être clairement définie et encadrée. Sollicités par La Semaine Vétérinaire, quelques praticiens de terrain ont argumenté à cet égard, sous couvert d’anonymat : « On ne peut pas laisser à chaque praticien l’initiative de décider seul ni de ce qu’il délègue ni de comment et à qui il délègue ! L’intérêt d’une telle plainte est de montrer l’existence d’un problème. Il ne s’agit pas de bloquer l’évolution de la profession, mais d’avancer en veillant à la protéger. On a aussi l’impression que les organisations syndicales n’ont pas suffisamment recueilli le ressenti du vétérinaire “moyen”, mais s’appuient seulement sur l’avis de grosses structures ou de centres hospitaliers vétérinaires (CHV) qui, eux, pratiquent déjà cette délégation d’actes, même s’ils ne le font pas officiellement ». Certains vétérinaires, notamment ruraux, évoquent aussi la peur de se voir dépouillés d’actes qui leur sont aujourd’hui réservés. Et de prendre l’exemple de l’insémination artificielle : « Actuellement, comme les praticiens vétérinaires sont plus chers que les inséminateurs salariés de groupes d’éleveurs, notre profession a perdu toute la bataille de la gynécologie bovine. »
« Effectivement, reconnaît Jean-Philippe Corlouer, président du Syndicat national des CHV (SNCHV) – qui représente environ 90 % des CHV équins et canins – , au fil des années, d’autres corps “paramédicaux” ont fini par officiellement récupérer des actes qui étaient autrefois réservés aux seuls vétérinaires : à l’insémination artifi cielle chez les bovins, on peut ajouter l’étalonnage, l’ostéopathie et la dentisterie équine, une partie de l’éducation comportementale du chien, etc. Mais cette concurrence subie est arrivée faute d’une organisation collective de notre profession, justement. Aujourd’hui, la délégation envisagée précise bien que ces actes seront uniquement réalisables sous l’autorité d’un vétérinaire employeur. Dans un tel cadre, l’ASV demeure l’exécutant d’un geste technique auquel il aura été formé. Ce n’est pas lui qui décide ni de la prescription ni du protocole à suivre. Je regrette toutefois que le SNCHV n’ait pas été convié, malgré ses demandes, à prendre part à la réflexion nationale en cours. »
« Les CHV ont, en effet, besoin d’un corps auxiliaire davantage compétent pour les seconder, ajoute le président du SNCHV . Aujourd’hui, les CHV sont le seul mode d’exercice auquel l’Ordre impose d’avoir un certain nombre d’ASV, et d’un certain niveau. Mais à quoi bon avoir un ASV de niveau 5 s’il n’est pas possible de lui déléguer une simple injection ? Sans compter que cette évolution des ASV a déjà eu lieu dans d’autres pays européens. Et nombreux sont nos jeunes confrères à se déclarer favorables à de tels changements. C’est pourquoi je pense qu’il est temps de sortir de cette situation ubuesque, en faisant toutefois attention à rédiger des textes qui soient modulables dans le temps en fonction de possibles évolutions et qui prennent bien en compte nos divers besoins, ceux-ci différant, par exemple, entre vétérinaires équins et ruraux. »
« Dans la délégation d’actes telle qu’envisagée, les ASV ne pourront pas exercer seuls à leur compte », répète à son tour Didier Fontaine, secrétaire général de l’Afvac. Et de poursuivre : « Pourquoi alors craindre leur concurrence ou une perte d’argent ? Bien au contraire, une telle délégation dégagera du temps au vétérinaire, qui pourra alors se consacrer à d’autres tâches davantage génératrices de chiffre d’affaires. » Par ailleurs, la profession des ASV connaît un taux élevé de turnover. « Parce que, selon Didier Fontaine, « certains d’entre eux sont cantonnés à répondre au téléphone et à faire du ménage. Ou parce qu’ils n’ont rapidement plus aucun moyen de progression salariale. Certains préfèrent alors changer de métier. Pour les garder et les motiver, il faut valoriser leur métier, leur apporter une véritable reconnaissance en les intégrant, avec le vétérinaire, dans l’équipe soignante. Même si, bien entendu, cela supposera aussi de mieux les former, puis de les respecter en reconsidérant leur salaire ».
Et Didier Fontaine de conclure : « À ce jour, la délégation d’actes vétérinaires est, certes, interdite par la loi. Mais il est aussi connu que de très nombreuses structures, dont les CHV, délèguent déjà à leurs ASV des actes similaires à ceux pour lesquels notre confrère se trouve aujourd’hui poursuivi. On peut donc espérer que l’Ordre régional lui infligera un simple blâme. » De quoi, effectivement, relancer peut-être utilement le débat, sans pour autant en faire une “affaire d’État ” ?
Pour l’heure, un rapporteur nommé par le magistrat président de la chambre régionale de discipline doit réaliser une enquête pour vérifier le déroulement exact des faits. Si, par la suite, le praticien juge trop lourde la sanction prise à son encontre – qui devrait normalement être connue dans les six prochains mois –, ce vétérinaire pourra encore en faire appel, cette fois devant le Conseil national de l’Ordre.
•
1 Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral, Conseil national de l’Ordre des vétérinaires.
2 Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie, Association vétérinaire équine française, Société nationale des groupements techniques vétérinaires.
3 Lire, dans l’encadré page 11, la suite de l’entretien avec Laurent Perrin, président du SNVEL.
« LE CHANGEMENT EST TOUJOURS ANXIOGÈNE »
« J’AIMERAIS QUE NOTRE SYNDICAT FASSE PARTIE DE LA RÉFLEXION NATIONALE EN COURS »