Le taureau et la mule

Chaque film de Carlos Reygadas est une expérience de cinéma unique et… une épreuve. Cinq ans après Post tenebras lux ¹, le réalisateur iconoclaste revient avec une œuvre plus accessible – n’était sa longueur – et tout aussi singulière. Entre intimisme et épopée, un film sur l’égo du mâle mis en scène avec pas mal d’égo. Couple libre, Juan et Esther dirigent dans de vastes prairies au Mexique un élevage de taureaux de combat. Juan, également poète reconnu, a toutes les apparences d'un homme avisé. Quand Esther s'éprend d’un dresseur de chevaux et aspire à s’émanciper, son mari, craignant de perdre le contrôle sur elle, la tourmente avec un jusqu’au-boutisme qui va contredire ses convictions. L'incapacité à communiquer et à se comprendre entraînera l’inéluctable faillite de leur amour. Aussi rebattue que puisse paraître cette énième crise du couple (et drame de la jalousie), il n’en est rien. Avec culot, le réalisateur se livre à une sagace mise en abyme. Il se confie le mauvais rôle de l’homme manipulateur et se met en scène avec sa propre compagne (et leurs enfants). Sa réalisation, surtout, ne laisse pas d’impressionner. Hypnotique, elle fait palpiter les tensions bipolaires entre masculin et féminin, instinct et raison, civilisé et sauvage, prosaïque et cosmos. Organique, elle porte les immenses paysages naturels et l’animalité crue (des taureaux) à une dimension inédite (en dépit de la violence de certaines scènes, le Mexicain précise qu’aucun mal n'a été fait aux animaux).
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¹ Voir La Semaine Vétérinaire n° 1540 du 17/5/2013, page 54.

Nuestro tiempo de et avec Carlos Reygadas, Natalia López, Phil Burgers, Mexique, 2 h 58, sortie le 6 février.