DOSSIER
Auteur(s) : LORENZA RICHARD
Par sa formation et les nombreux métiers qu’il peut exercer tout le long de la chaîne alimentaire, depuis l’élevage jusqu’à la distribution des produits, le vétérinaire se trouve au cœur de la sécurité sanitaire des aliments. Les fortes attentes sociétales actuelles concernant la santé publique et la protection animale, l’évolution des habitudes alimentaires et les récentes crises sanitaires situent encore davantage les vétérinaires au centre d’un système qui évolue et dans lequel ils ont de l’avenir. Recueil de quelques témoignages sur la question.
Tous les secteurs dans lesquels il existe une forte attente de la société concernant la chaîne alimentaire au sens large, y compris la protection animale, recoupent les métiers du vétérinaire », constate Loïc Évain, directeur général adjoint de l’alimentation (DGAL) au ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. « Les vétérinaires sont bien placés pour jouer leur carte dans les emplois privés ou publics qui existent dans ce domaine ». Jacques Guérin, président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV), présente également une vision prospective et évolutive du réseau vétérinaire en charge de la santé publique et de la sécurité sanitaire des aliments : « Les missions ne peuvent que croître sous la pression des enjeux de société, qu’ils soient liés à la bientraitance animale ou à la sécurité des aliments consommés, sans compter le Brexit. »
Les vétérinaires intervenant en sécurité sanitaire des aliments peuvent être salariés de l’État, des collectivités territoriales ou d’entreprises privées, ou exercer à titre libéral, mais les enjeux sont souvent imbriqués. Ils ont accès à de nombreux métiers auprès des industries agroalimentaires, de l’industrie pharmaceutique, des laboratoires1 et des armées2, par exemple. Enfin, « la présence des vétérinaires praticiens d’exercice libéral (…), dès les premiers échelons de la production des denrées animales, leur permet de participer à la garantie de la qualité sanitaire des produits d’origine animale », explique Laurent Perrin, président du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL).
Toutefois, « il est à craindre que les tensions sur le maillage vétérinaire 3 dans certaines zones impactent l’efficacité du réseau de confrères libéraux », redoute notre confrère. Concernant le secteur public, « l’État est en situation de devoir recruter sans certitude de couvrir par la seule voie interne la totalité de ses besoins conformément aux standards européens », remarque Jacques Guérin. « Il faudrait avoir davantage d’inspecteurs, et notamment de vétérinaires, dans le service public de l’alimentation, mais nous sommes contraints par la discipline budgétaire, précise Loïc Évain. Après une chute du nombre d’emplois pendant plusieurs années, puis une augmentation de 2015 à 2017, nous connaissons une stabilisation. Le Premier ministre, dans une circulaire du 24 juillet dernier, a réaffirmé la priorité qui doit être accordée à la sécurité sanitaire. Des décisions devraient être prises sans tarder dans le cadre du plan gouvernemental Action publique 2022 ». Or, selon Jacques Guérin, « une tension est palpable en matière de recrutement dans tous les métiers vétérinaires ». Une des solutions alors évoquée pour répondre à cette problématique est d’« étendre la formation initiale aux enjeux de santé publique et de sécurité des aliments dans les écoles nationales vétérinaires ». Cependant, selon lui, « le recrutement par voie externe de docteurs vétérinaires après un temps d’exercice libéral est plus porteur, car les métiers de la fonction publique sont mal connus et subissent l’hégémonie de la motivation des étudiants pour ceux de soignant de la faune sauvage ou des animaux de compagnie ». « Les vétérinaires ont de l’avenir dans la voie de la sécurité sanitaire et de réels atouts à faire valoir auprès des éleveurs, des industries, des laboratoires, etc. », ajoute Loïc Évain. « Les sciences sociales devraient être davantage présentes dans les écoles nationales vétérinaires, car le vétérinaire intervenant de la chaîne alimentaire doit appréhender les attentes sociétales dans toute leur complexité, leurs pa radoxes parfois ».
Il est en effet nécessaire que les métiers en lien avec la sécurité sanitaire évoluent pour s’adapter aux nouvelles exigences des consommateurs. « Par exemple, à l’abattoir, où l’on s’est focalisé, à juste titre, sur la sécurité sanitaire, l’association L214 a mis en lumière des pratiques qui ont choqué l’opinion, constate Loïc Évain. Lutter contre la maltraitance a toujours été important, mais la protection animale est désormais un point d’attention des services vétérinaires. » Pour Jacques Guérin, « l’évolution consiste en une adaptation des missions face aux choix alimentaires des Français, aux motivations de ces choix et aux modifications des circuits de production et d’approvisionnement. L’objectif reste le même : la sécurité sanitaire des aliments. En revanche, l’émergence parfois rapide, parfois fugace, de circuits courts d’approvisionnement, notamment en périphérie des villes, est l’exemple typique d’une mise sous tension des services de l’État et d’une nécessaire réactivité pour assurer aux consommateurs que les prérequis sanitaires demeurent. La complémentarité des réseaux des vétérinaires de la fonction publique et des vétérinaires privés me paraît un atout majeur du dispositif français. » « Le développement de la commercialisation par les circuits courts rend la reconnaissance de l’implication nécessaire des praticiens de terrain encore plus pertinente », atteste Laurent Perrin, qui conclut : « La demande des consommateurs d’une production plus respectueuse de l’environnement et de l’animal et d’une information plus complète sur les produits implique un suivi tout au long de la production. Les vétérinaires praticiens, par leur présence régulière dans les élevages, assurent ce suivi et pourront d’autant plus le développer qu’ils seront présents et que leur rôle sera reconnu, défini et rémunéré. »
De plus, des crises sanitaires récentes mettent à mal le secteur. « Quelle que soit la nature de la crise, l’opinion publique considère qu’elle résulte d’une défaillance de l’État, oubliant (ou ignorant) que la sécurité sanitaire d’un produit est d’abord l’affaire et la responsabilité de son producteur. Le consommateur a aussi un rôle important dans la prévention des risques sanitaires », explique Loïc Évain. Cependant, « les crises sanitaires tendent à éroder la confiance des citoyens envers le corps professionnel des vétérinaires, au même titre qu’envers la communauté scientifique, regrette Jacques Guérin. Les réseaux sociaux sont à ce titre un moyen délétère de propager cette défiance. Prévenir la désinformation consisterait à ce que l’État, les collectivités territoriales, les mairies, prennent conscience qu’ils disposent d’un réseau de vétérinaires, professionnels scientifiques de la santé animale, sur lequel ils peuvent s’appuyer pour diffuser une information qualitative, assurer la pédagogie auprès des citoyens et expliquer la situation en cas de crise, notamment dans les écosystèmes urbains ou périurbains, en ne négligeant pas le maillage des établissements de soins vétérinaires dédiés aux animaux de compagnie ». De même, pour Laurent Perrin, « les crises sanitaires affectent l’économie de tous les intervenants d’une filière jusqu’aux producteurs, et donc, par ricochet, les vétérinaires. Ces derniers jouent un rôle important de passeur de messages vers les consommateurs. Leur compétence d’expert des questions animales et leur contact quotidien avec les professionnels de l’élevage ou les particuliers détenteurs d’animaux de compagnie leur permet de délivrer des informations pertinentes vers le public ».
« C’est une des traductions opérationnelles du positionnement souhaité et encouragé par les organisations professionnelles vétérinaires, d’un vétérinaire sentinelle à la confluence des enjeux animal-homme-environnement », conclut Jacques Guérin.
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1 La loi agriculture et alimentation, promulguée le 30 octobre 2018, augmente les exigences d’autocontrôles en entreprise et en laboratoire.
2 Les vétérinaires des armées garantissent la santé des soldats en missions, notamment via la sécurité alimentaire et la potabilité de l’eau. Voir La Semaine Vétérinaire n° 1775 du 31/8/2018, page 42-47.
3 La feuille de route Activités vétérinaires en territoires ruraux et productions animales, née de l’initiative du SNVEL, en mai 2016, promeut l’installation des praticiens en milieu rural.
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