DOSSIER
Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL
L’innovation est la clé de la compétitivité des laboratoires. Depuis le premier vaccin contre la parvovirose canine lancé en 1981, d’autres produits sont venus étoffer l’arsenal thérapeutique vétérinaire. L’industrie peut-elle encore proposer de nouveaux produits dits “révolutionnaires” ? Elle a plusieurs cordes à son arc.
Chaque médicament est une innovation », écrivait le philosophe Francis Bacon. Pour répondre aux besoins médicaux, le chercheur est en première ligne. Il cherche, il trouve. Il est pourtant confronté aux caprices du temps, nécessaire au succès de son entreprise. Ce long processus est indispensable pour garantir l’efficacité, la sécurité et la qualité d’un médicament vétérinaire. Comme en santé humaine, la recherche et l’innovation sont des termes omniprésents dans la communication des laboratoires. Alors, innove ou n’innove pas ? Les industriels de la santé animale veulent en tout cas anticiper les nouveaux besoins. L’Agence nationale du médicament vétérinaire (Anses-ANMV) indiquait dans son rapport d’activité 2017 que 85 autorisations de mises sur le marché (AMM) ont été délivrées. En décembre dernier, l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac) remettait les premiers prix de l’innovation vétérinaire avec le soutien du Syndicat de l’industrie du médicament et réactif vétérinaires (SIMV). L’Afvac indiquait alors dans son communiqué de presse que l’objectif de cette démarche « est de valoriser les innovations vétérinaires dans le domaine des animaux de compagnie et de mettre le vétérinaire au centre de cette innovation, toute innovation se définissant comme une valeur ajoutée perçue par le vétérinaire et le client. »
« Le secteur de la santé animale est responsable d’un flot continu d’innovations », indique Animalhealth Europe. Les premiers vaccins contre le charbon et la rage ont été mis au point à la fin du xixe siècle. Une protection contre d’autres maladies courantes, telles que la fièvre aphteuse et la brucellose, a suivi au début des années 1930. Au cours des 20 à 30 dernières années, de nouveaux progrès ont été constatés : vaccins, analgésiques, anesthésiques et traitements anticancéreux améliorés. Selon Animalhealth Europe, les industriels de la santé animale sont déterminés à investir dans la recherche ; jusqu’à 10 % de leur chiffre d’affaires. « Cependant, au cours des dernières années, les investissements dans la recherche en Europe ont légèrement diminué, se situant actuellement à 8 % en moyenne », regrette l’association européenne. Mais, l’industrie contribue à des programmes de recherche et développement (R & D), tels que Star-Idaz, l’alliance stratégique mondiale pour la coordination de la recherche sur les principales maladies infectieuses des animaux et des zoonoses. « L’industrie est également en train d’identifier et de combler les lacunes en matière de recherche concernant plus de 30 maladies ciblées et émergentes grâce au développement de vaccins, de diagnostics et de traitements. Elle a également contribué au financement de Discontools, une initiative visant à améliorer et à accélérer le développement de nouveaux produits de diagnostic, de vaccins et de produits pharmaceutiques pour les maladies animales », indique Animalhealth Europe.
L’institut d’études privé Xerfi estime, dans un rapport1 publié en août 2018, que le marché vétérinaire est en perpétuel mouvement. « Les “big pharma” sont en outre engagés depuis plusieurs années dans une restructuration de leurs activités en santé animale et d’importants mouvements de capitaux rebattent sans cesse les cartes du jeu concurrentiel. L’Allemand Boehringer Ingelheim s’est ainsi emparé de la première place en France, en 2017, à la suite du rachat de Merial (ex-branche santé animale de Sanofi) pour un montant de 4,7 milliards d’euros. » En parallèle, c’est Eli Lilly qui a annoncé l’introduction en Bourse de son activité de santé animale, se séparant ainsi d’Elanco. En 2013, c’était Zoetis qui avait pris son indépendance. Il est à se demander si ce jeu de chaises musicales n’influence pas la capacité des laboratoires à innover. Il semblerait que ces regroupements de laboratoires favorisent la mise en commun des moyens alloués à la R & D. Les industriels de la santé animale consacrent en effet une partie importante de leur chiffre d’affaires à la R & D. Xerfi relève en effet que Virbac, Vétoquinol et Céva Santé animale, réservent chaque année au moins 7 % de leur chiffre d’affaires à la R & D. « Plus d’une centaine de produits par an sont ainsi lancés sur le marché français. Les fleurons français visent notamment les segments des vaccins, des alicaments, des produits injectables et de nouvelles solutions thérapeutiques pour animaux de compagnie », indique Xerfi. Ceva Santé animale va investir, par exemple, sur son site de Loudéac (Côtes-d’Armor) pour produire une nouvelle gamme de produits dermatologiques. « Boehringer Ingelheim nourrit de fortes ambitions sur le bassin lyonnais : à Saint-Priest (Rhône), le groupe s’apprête à mettre en service des bâtiments R & D de 5 700 m² (dont 1 000 m² de salle blanche) dans la formulation et la répartition de vaccins aviaires, et d’autres investissements sont prévus, notamment dans le développement de biogénérateurs et de vaccins effervescents », ajoute Xerfi.
Pour AnimalHealth Europe, de nombreux industriels rencontrent de plus en plus d’obstacles à l’innovation, ce qui rend de plus en plus difficile la rentabilisation de leurs investissements. « Il y a plusieurs raisons à cela. Des débats sociopolitiques impliquant certains produits et un processus réglementaire non harmonisé jouent un rôle dans le léger recul des investissements en R & D », explique Animalhealth Europe. De manière générale, les coûts de la recherche sont importants et la réglementation impose aux industriels des contrôles rigoureux. « On ne fabrique pas des cravates !», souligne Éric Joly, directeur qualité globale pour les opérations et pharmacien responsable chez Boehringer Ingelheim. Les produits vétérinaires ne sont en effet pas des produits comme les autres. Le processus d’innovation est long. Pour un médicament, il est nécessaire de trouver des nouvelles molécules, de les adapter, de les transformer et de les fabriquer en série, avec un risque d’échec au stade du développement bien qu’il soit moins élevé qu’en santé humaine. Un challenge que les industriels disent vouloir relever. à l’image du Boehringer Ingelheim « à l’horizon 2025, nous comptons accroître nos capacités. Nous avons des projets majeurs d’investissements. Notre forte expertise R & D, appuyée sur des ressources importantes en interne, est un atout considérable pour relever les différents défis de la transition technologique de notre industrie (digitalisation des outils industriels, nouveaux procédés de fabrication privilégiant les matières premières d’origine synthétique, etc.). Par ailleurs, nous développons notre écosystème notamment en hébergeant des start-ups (à l’image de Tibot, et son robot d'assistance autonome pour l'aviculture) ou via des projets collaboratifs avec Lyon BioPôle (dont nous sommes membres fondateurs) ou Minalogic, le pôle de compétitivité des technologies du numérique en Auvergne Rhône-Alpes, que nous venons de rejoindre » indique Laurent Voyer, directeur Stratégie industrielle chez Boehringer Ingelheim.
« L’innovation vise aussi à faciliter l’utilisation de nos produits par nos clients. Par exemple, notre vaccin effervescent NeO facilite la vaccination de la volaille au travers d’une préparation du vaccin plus rapide. » ajoute Nicolas Tourneur, directeur de projet au sein du même laboratoire.
Des données communiquées par le SIMV révèlent que plus d’une centaine d’innovations ont été mises sur le marché entre fin 1970 et 2018. De nombreux produits innovants connaissent un succès commercial. En voici une sélection. En 1981, un premier vaccin contre la parvovirose canine a été lancé sur le marché. À la même période, plusieurs anti-inflammatoires non stéroidiens (AINS) sont également commercialisés. Finadyne® est le premier AINS développé pour la médecine vétérinaire (bovins, équins, porcins). D’autres AINS, injectables surtout, seront développés après le succès de la flunixine, l’acide tolfénamique (Tolfine®/Tolfedine® 1986), le nimésulide (Sulidene®,, 1987), l’acide niflumique (Sepvadol®, 1989), le kétoprofène (Ketofen®, 1990), voire plus tard le méloxicam (Metacam®, 1997) ou le carprofène (Rimadyl®, 1997). Au premier janvier 1992, aucune nouvelle substance ne peut être commercialisée en productions animales sans une limite maximale de résidus (LMR). Plusieurs AMM de nouvelles molécules sont ainsi datés du 31 décembre 1991, dont l’enrofloxacine (Baytril®) et le ceftiofur (Excenel®). En 1994, le Tilmicosine Micotil® 300, nouveau macrolide injectable longue action, suivi des formes orales Pulmotil® pour porcs (1997) et veaux (2000). En 1995, le premier vaccin porcin Stellamune® contre la pneumonie enzootique du porc à M. hyopneumoniae arrive sur le marché, concurrencé ensuite par d’autres : Hyoresp® (1997), Suvaxyn® M. hyo (2000) M+Pac® (2001), Ingelvac® M. hyo (2002), Porcilis® M. hyo (2004). Entre 2008 et 2009, les premiers anticancéreux vétérinaires contre les mastocytomes cutanés sont disponibles, avec deux spécialités : le masitinib et le tocéranib. Plus récemment, entre 2014 et 2018, Premiers antiparasitaires externes d’isoxazolines : fluralaner Bravecto® (chiens, 2014, spot on, chat 2016), afoxolaner NexGard® (chiens, 2014), sarolanier Simparica® (chiens, 2015), lotilaner Credelio® (chiens, 2017, chats, 2018). En dermatologie vétérinaire, l’année 2017 voit arriver sur le marché, Cytopoint®, le premier anticorps monoclonal (lokivetmab) à usage vétérinaire, indiqué dans le traitement des manifestations cliniques de la dermatite atopique canine. L’année 2018 a également été prolifique. Plusieurs AMM ont été délivrées. Le Galliprant®, le premier antagoniste des récepteurs EP4 des PgE2 pour les chiens. Le collyre vomitif Clevor® pour les chiens à base de ropinirole. Le tramadol injectable et oral pour les chiens. Tramadog®, Tralieve®, ou encore l’Arti-Cell Forte®, premières cellules-souches indiquées dans les boiteries articulaires des chevaux (liste non exhaustive, à compléter).
Depuis quelques années, le secteur vétérinaire connaît un regain d’intérêt pour l’immunothérapie, comme en médecine humaine. Cette méthode consiste à administrer des substances pour stimuler les défenses immunitaires de l’organisme, notamment pour lutter contre certains cancers. Il s’agit d’ailleurs du traitement anticancéreux le plus prometteur, avec des applications possibles en médecine canine et féline. Deux grandes catégories d’immunothérapies sont appliquées : une non-spécifique et une spécifique. Pour la première, l’interleukine 2 est disponible depuis 2013 pour le traitement du fibrosarcome chez le chat, en complément de la chirurgie et de la radiothérapie. L’immunothérapie spécifique appliquée en clinique est liée à l’utilisation de « vaccins thérapeutiques ». « À l’avenir, les traitements classiques et les différentes approches d’immunothérapie devraient être utilisés de manière complémentaire. D’ailleurs, la radiothérapie et certaines molécules de chimiothérapie ont un effet immunogène, tout comme certains produits de phytothérapie, d’algothérapie (algues) ou de mycothérapie (champignons). Et les pistes de recherche sont nombreuses. Le jeûne séquentiel, par exemple, diminue les effets secondaires de la chimiothérapie tout en augmentant son efficacité
», indiquait, dans les colonnes de La Semaine Vétériniares, Olivier Keravel, praticien à la clinique Eiffelvet, structure de référés en oncologie, imagerie et chirurgie. Autre application en médecine vétérinaire, l’immunothérapie allergénique ou communément appelée désensibilisation, pour le traitement de la dermatite atopique. Le protocole débute par l’identification des allergènes fautifs. Ensuite, il est administré régulièrement à l’animal, sous forme d’injections sous la peau, des extraits d’allergènes auxquels l’animal est sensible. L’objectif étant que ce dernier se désensibilise. Un autre traitement de l’allergie par voie orale est également disponible sur le marché.
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Pour en savoir plus :
« SALUONS LA CRÉATION D’UNE PROTECTION POUR INNOVER SUR UN MÉDICAMENT EXISTANT »
UNE E-SANTÉ INNOVANTE
« IL N’Y A PAS DE RARÉFACTION DE L’INNOVATION EN SANTÉ ANIMALE »