ANALYSE
PRATIQUE MIXTE
Formation
Auteur(s) : ANNE COUROUCÉ
La myopathie atypique est une maladie qui affecte généralement les chevaux au pré et qui est placée sous la vigilance du Réseau d’épidémiosurveillance en pathologie équine (Respe). Les chevaux s’intoxiquent après avoir mangé les graines de certains arbres du genre Acer (érable), dont l’Acer pseudoplatanus ou érable sycomore. Ces graines contiennent une toxine, l’hypoglycine A.
Dans l’organisme, l’hypoglycine A est convertie en acide méthylènecyclopropyl-acétique (methylene cyclopropyl acetic acid ou MCPA), qui peut être détecté dans le sang. Le MCPA induit le syndrome de déficience multiple acyl-CoA déshydrogénase (multiple acyl-CoA dehydrogenation deficiency ou MADD) en se combinant à la flavine adénine dinucléotide (FAD), en inhibant par là même divers acyl-CoA déshydrogénases. Ceci résulte en un métabolisme altéré des acides gras causant une rhabdomyolyse sévère qui affecte primairement les muscles de la posture et de la respiration (de type I) et le myocarde. Les signes cliniques sont de la faiblesse, des allures raides et des chevaux qui rechignent à marcher, voire en décubitus. Des difficultés respiratoires peuvent également survenir.
La présence d’une sudation importante, de muqueuses congestives et de myoglobinurie est aussi commune. La mortalité varie de 70 à 90 %, avec la majorité des morts par euthanasie dans les 72 heures après le début des signes cliniques.
Il n’existe pas de thérapeutique de la maladie elle-même et il est donc nécessaire de mettre en place une thérapeutique symptomatique, afin d’augmenter les chances de survie de l’animal. L’objectif de cet article1 est d’apporter une vue d’ensemble sur la thérapeutique de la myopathie atypique fondée sur l’evidence-based medicine. Les différents aspects du traitement symptomatique sont ici abordés et discutés.
L’objectif de la fluidothérapie est de réhydrater le cheval, de corriger les déséquilibres électrolytiques et/ou acido-basiques (chevaux présentant une alcalose respiratoire, une acidose lactique, une alcalose métabolique ou une combinaison de ces trois entités) et d’améliorer la clairance rénale de la myoglobine (connue pour être néphrotoxique) en augmentant le flux sanguin au niveau du rein.
Chez le cheval, il est recommandé d’administrer par voie intraveineuse (IV) la quantité suffisante de fluides jusqu’à ce que les urines redeviennent jaunes. La voie orale (PO) à l’aide d’une sonde nasogastrique n’est pas recommandée, car elle est source de stress pour le cheval.
En l’absence de métabolisme des acides gras, il se produit un passage du métabolisme aérobie au métabolisme anaérobie avec production d’acide lactique, qui peut provoquer une acidose métabolique. Pour éviter cela, il convient d’augmenter l’apport en glucose.
Chez la souris intoxiquée par le ackee (fruit du fisanier, que l’on trouve notamment en Jamaïque et qui concentre de grandes quantités d’hypoglycine A), l’administration précoce de glucose augmente les chances de survie. Néanmoins, lors de myopathie atypique, une hyperglycémie est présente chez le cheval, alors que chez la souris et l’homme intoxiqués par le ackee, c’est une hypoglycémie. De ce fait, chez le cheval, il est très fortement recommandé de surveiller la glycémie et d’administrer de l’insuline si celle-ci augmente de façon trop importante. Cela permet notamment de prévenir l’apparition d’une diurèse osmotique qui peut aggraver de façon très sévère la déshydratation. Cette diurèse induite par l’hyperglycémie commence lorsque la glycémie s’élève à 180 mg/dl (ou 10,0 mmol/l). Quand ces valeurs sont atteintes, l’administration d’insuline doit commencer. Cette dernière permet également d’améliorer l’absorption intracellulaire du glucose et donc de réduire la glycémie. Si l’insuline est délivrée par voie sous-cutanée (SC) sous forme de bolus, la dose recommandée est de 0,4 unité internationale (UI)/kg/j. Si cela est possible, une dose de 0,07 UI/kg/h peut être administrée sous forme de constant rate infusion (CRI). Une surveillance rapprochée est nécessaire pour éviter les fluctuations de la glycémie.
La carnitine a différentes fonctions au sein du métabolisme cellulaire. Elle a notamment une action de détoxification en permettant l’élimination de certains déchets lors de son excrétion dans les urines. Par ailleurs, la carnitine permet d’augmenter la concentration en leptine et, de ce fait, de stimuler le métabolisme du glucose. L’action de la carnitine sur l’excrétion des métabolites survient en quelques heures ; pour cette raison, son administration est recommandée. La voie intraveineuse permet une action plus rapide que la voie orale, mais n’est pas disponible en France. Pour une solution dosée à raison de 10 g de L-carnitine dans 50 ml de chlorure de sodium (NaCl), la dose serait de 18 à 22 mg/kg.
Vitamine E et sélénium
Il a été montré que l’administration orale à long terme de vitamine E et de sélénium a des effets bénéfiques sur les muscles de chevaux sains en les protégeant notamment de l’effet néfaste de radicaux libres. En revanche, elle pourrait ne pas être efficace pour la myopathie atypique, qui est une maladie d’apparition aiguë. Toutefois, la voie intraveineuse n’est pas recommandée, un surdosage de sélénium pouvant être toxique pour les chevaux.
Riboflavine
La riboflavine ou vitamine B2 est impliquée dans le syndrome de MADD et est recommandée chez les chevaux présentant une myopathie atypique. Elle est souvent disponible sous forme injectable avec d’autres vitamines, sachant que la dose recommandée est de 44 μg/kg/j.
Analgésie
Le décubitus est souvent associé à la présence d’une rhabdomyolyse sévère et requiert une analgésie. Le soulagement de la douleur peut permettre au cheval de se relever et notamment de mieux respirer. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) doivent être préférés aux opïoides, qui peuvent causer une dépression respiratoire, une constipation et une diminution de la fréquence cardiaque. Néanmoins, il convient de pas oublier que les AINS peuvent être néphrotoxiques et hépatotoxiques et qu’il est donc nécessaire de les administrer sur un animal correctement hydraté, tout en contrôlant un certain nombre de paramètres. Les AINS recommandés sont le méloxicam à la dose de 0,6 mg/kg et le kétoprofène à la dose de 2,2 mg/kg. La voie intraveineuse permet une action plus rapide que la voie orale.
La relaxation musculaire est également recherchée afin de diminuer le tonus musculaire et de limiter les crampes et la douleur. Les α-2-agonistes sont contre-indiqués, car ils inhibent la libération d’insuline. La molécule recommandée est l’acépromazine à la dose de 0,02 à 0,06 mg/kg IV ou 0,03 à 0,1 mg/kg par voie intramusculaire (IM). L’avantage de l’acépromazine est d’engendrer également une vasodilatation périphérique qui peut augmenter le flux sanguin au niveau musculaire et donc l’élimination de métabolites dus à la rhabdomyolyse.
Vidange de la vessie
De nombreux chevaux atteints de myopathie atypique présentent une vessie distendue, ce qui peut engendrer des signes de colique chez certains. La mise en place d’une sonde vésicale est recommandée.
Régulation thermique et restriction du transport
Les chevaux présentant une myopathie atypique sont souvent en hypothermie. Il est donc essentiel de les garder au chaud. Concernant le transport, cela peut engendrer du stress et aggraver la myopathie, mais également induire une alcalose respiratoire du fait d’une hyperventilation. Il n’est donc pas recommandé de transporter les chevaux, sauf s’il n’y a pas la possibilité de leur apporter les soins médicaux nécessaires sur place.
Laxatifs
L’administration de laxatifs comme de la paraffine peut permettre d’éviter que l’hypoglycine A ne pénètre dans la circulation sanguine. On ne sait pas, à ce jour, où la plante est digérée et où l’hypoglycine A est libérée. Néanmoins, la recherche a montré que cette dernière est une petite molécule et qu’elle passe environ 15 min au niveau de l’estomac. Par ailleurs, c’est également un amino-acide non-protéogénique, qui est absorbé dans le petit intestin ou dans le colon. Le premier scénario signifierait que l’absorption de la toxine prendrait entre 1 à 11 heures et le second, que la toxine persisterait dans l’organisme jusqu’à 42 heures. Cela suggère qu’un traitement laxatif pourrait être administré dans les 2 jours suivant l’absorption de graines. Néanmoins, là encore une inconnue demeure : le délai entre l’absorption de la toxine et la survenue des signes cliniques.
Ainsi, les laxatifs peuvent être utiles, mais ils devraient être administrés immédiatement après ingestion. La dose recommandée est de 2 l de paraffine associés à 2 l d’eau.
Charbon actif
L’administration de charbon activé peut également être effectuée avec les mêmes restrictions que pour celle de la paraffine. Néanmoins, l’avantage du charbon est de ne pas vider complètement le système digestif et de ne pas priver le cheval de nutriments. La dose recommandée est de 750 g pour un adulte.
Glycine
La glycine pourrait présenter une fonction de détoxification. De plus, elle aurait une action antagoniste sur différentes parties du schéma toxique de l’hypoglycine. Une étude expérimentale a montré son intérêt au moment de délivrer l’hypoglycine. Néanmoins, cette administration immédiate n’est pas possible chez le cheval, le moment de l’ingestion des samares n’étant pas connu. En l’absence de recherche sur le sujet, il n’est pas recommandé, à ce jour, d’administrer de la glycine.
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1 Article rédigé d’après Fabius L. S., Westermann C. M. Evidence-based therapy for atypical myopathy in horses. Eq. Vet. Educ. 2018;30(11):616-622.
CONCLUSIONS