« Maltraiter l’animal, c’est souvent maltraiter aussi l’homme » - La Semaine Vétérinaire n° 1798 du 16/02/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1798 du 16/02/2019

BIOÉTHIQUE

DITES-NOUS TOUT

Auteur(s) : CLAIRE BORROU  

L ’homme est-il le seul animal à pouvoir disposer du corps des autres animaux et au nom de quoi s’octroie-t-il le droit de l’exploiter comme il l’entend ? La question a été posée à Claire Borrou (A 79), titulaire d’un master d’éthique animale, au forum européen de bioéthique, qui s’est tenu du 28 janvier au 2 février à Strasbourg (Bas-Rhin) sur le thème « Mon corps est-il à moi ? » . Notre consœur nous fait part de sa réflexion.

L’éthique animale est un questionnement sur notre responsabilité morale à l’égard des animaux pris individuellement. Tous interagissent, bénéfiquement (symbiose, coopération) ou négativement (parasitisme, prédation). L’homme n’est pas le seul à disposer du corps des animaux, le moustique est responsable de la majorité des décès humains, mais à la différence des autres prédateurs, il peut choisir de tuer sans nécessité ou, inversement, de respecter le plus faible.

Tout est une question de relation avec l’animal

Durant la préhistoire, l’homme vénérait l’animal. Sédentarisé, il coopérait avec lui en le dominant. Aujourd’hui, c’est l’évolution des techniques agricoles et l’industrialisation de l’élevage, avec des règles de productivité et de rentabilité, qui ont détérioré la relation avec l’animal. Dès l’Antiquité, l’homme transforme le corps des animaux par mutilation, gavage ou dressage, puis il crée les races. Maintenant, il intervient directement dans leur reproduction et sélectionne leurs gènes pour une meilleure productivité. En expérimentation animale, l’homme clone les animaux, greffe des gènes humains sur le génome des rongeurs OGM1, pour découvrir de nouvelles thérapies, et équipe le cerveau des cyborgs animaux d’électronique, pour en augmenter les capacités ou les diriger comme de bons petits soldats. Il contraint aussi le corps des animaux à vivre dans des espaces confinés ou des lieux appauvris et leur donne une alimentation qui n’est plus naturelle.

Pour son divertissement, l’homme tue le gibier, blesse les taureaux de corrida, les coqs de combat ou utilise des techniques de dressage douloureuses. Enfin l’homme, pour se nourrir, se vêtir, abat des animaux d’élevage jeunes. Ce sont les cadences de l’abattage et les mauvais traitements au poste de tuerie qui interrogent à notre époque. Que dire des euthanasies de “convenance”, quand l’animal de compagnie devient gênant ? D’où la question : de quel droit l’homme peut-il disposer du corps des animaux ? Parce qu’il en est le propriétaire ou parce qu’il les considère encore comme l’“animal-machine” de Descartes ? Pourtant les progrès en neurobiologie qualifient l’animal d’être sensible, capable d’éprouver de la souffrance et possédant une conscience. Les théories de l’évolution de Darwin montrent que seule une différence de degré et non de nature nous sépare et l’éthologie réduit encore cette frontière en prouvant que l’animal utilise des outils, transmet une certaine culture, coopère.

Un statut juridique de l’animal

Alors, des philosophes réclament des droits moraux pour l’animal, comme dans la déclaration de l’Unesco2 : droit à l’existence, au respect et à ne pas subir de mauvais traitements. Certains restent anthropocentriques, d’autres deviennent “antispécistes”, désirant la fin de toute exploitation animale et de l’appropriation. Des juristes demandent de définir un statut juridique de l’animal allant jusqu’à la notion de personne et font progresser les lois : 1850, loi Grammont sur les mauvais traitements ; 1963, les actes de cruauté deviennent des délits ; 1976, le Code rural reconnaît l’animal approprié comme être sensible et le Code civil ne le considère plus comme une chose en 2015. Les directives européennes aussi évoluent et contraignent les États membres à respecter le bien-être animal, “être sensible” oblige. Les lois protégeant l’animal existent mais ne sont pas toujours correctement appliquées, alors les mauvais traitements infligés aux animaux font réagir la société.

L’homme est incontestablement le seul animal à pouvoir modifier, se divertir ou tuer sans nécessité les autres animaux malgré les lois protectrices, car le droit est fait par l’homme pour l’homme. Son économie, qui repose sur la productivité et la rentabilité, et son mode de vie, réduisant la place de l’animal, n’arrangent rien. La vulnérabilité est un des quatre piliers de la bioéthique. En s’interrogeant sur le sort de l’animal, l’éthique animale sensibilise l’homme à la fragilité et à sa propre vulnérabilité. Car maltraiter l’animal, c’est souvent maltraiter aussi l’homme.

1 Organisme génétiquement modifié.

2 Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture.