DOSSIER
Auteur(s) : TANIT HALFON
Si suivre des élevages biologiques nécessite forcément d’en connaître le cahier des charges, le vétérinaire tire véritablement son épingle du jeu par sa maîtrise des bonnes pratiques de la conduite d’élevage et sa capacité à faire un usage raisonné des traitements qu’il prescrit, qu’ils soient conventionnels ou pas.
Le rôle du vétérinaire en élevage biologique est limité, parce qu’il utilise en majorité les traitements allopathiques de synthèse, mais également parce que le coût des visites d’élevage est trop important pour certaines productions. Les problèmes sanitaires en élevage biologique ne peuvent en effet être réglés de la même façon qu’en élevage conventionnel (… ). » Cette phrase, tirée d’un article de 2009 de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), sur l’élevage biologique1, est-elle toujours valable ? « Tout vétérinaire est capable d’être un interlocuteur des éleveurs bio, déjà rien qu’en parlant de la conduite d’élevage de base », souligne Loïc Guiouillier, praticien rural en Mayenne et président de la commission des médecines complémentaires de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV). Même discours du côté d’Hervé Host, vétérinaire et directeur de recherche à l’Inra : « Le vétérinaire n’est pas qu’un simple prescripteur de médicaments, il est d’abord le spécialiste de la conduite d’élevage. Par exemple, il est formé pour donner des conseils et trouver les meilleurs leviers de gestion de la santé et du bien-être des animaux en intégrant les notions d’hygiène liées à l’environnement et à la nutrition des animaux. » Malgré tout, le praticien devra tout de même changer sa grille de lecture, notamment en ce qui concerne l’usage des médicaments, comme le constate Loïc Guiouillier : « J’estime que la profession a trop cherché à satisfaire les éleveurs désireux de médicaments miraculeux. La problématique de l’antibiorésistance est bien révélatrice de cette situation. Seule la contrainte nous a amenés à changer nos pratiques. »
Un des maîtres mots du bio est la prévention. Et la réglementation est claire à ce sujet : cela passe par une réflexion et un travail global sur les pratiques d’élevage. « La prévention des maladies est fondée sur la sélection des races et des souches, les pratiques de gestion des élevages, la qualité élevée des aliments pour animaux et l’exercice, une densité d’élevage adéquate et un logement adapté offrant de bonnes conditions d’hygiène », stipule-t-elle. De plus, les médicaments allopathiques chimiques de synthèse et les antibiotiques sont interdits en prévention. Dans ce contexte, Otoveil2, un projet de recherche Casdar3, s’est intéressé aux moyens à mettre à disposition des éleveurs pour la surveillance et la prévention sanitaire de leurs troupeaux de ruminants. L’objectif : identifier les indicateurs de l’état d’équilibre sanitaire d’un troupeau4, ce qui permettrait d’assurer une détection précoce des ruptures d’équilibre et de limiter de fait l’utilisation d’intrants de synthèse. « Huit indicateurs ont été repérés en tant que signaux d’alerte, explique Catherine Experton, responsable commission élevage et groupe santé à l’Institut technique de l’agriculture biologique (Itab). Cela nous a permis d’élaborer des grilles d’observation et de prévention dans lesquelles nous proposons des fourchettes de seuil reposant sur ces indicateurs de santé globale. L’idée sous-jacente est d’amener l’éleveur à se poser les bonnes questions pour arriver à un changement de pratiques. Les fiches sont en cours de finalisation, avec un rendu prévu pour 2019. » Jérémie Dal Maso, praticien rural à Beaulieu (Calvados), confirme l’importance du préventif sur le terrain : « Les éleveurs de ma clientèle sont très demandeurs de conseils préventifs, et le bilan sanitaire représente un bon moyen pour en parler.»
En bio, les produits “alternatifs” doivent être utilisés “de préférence”. Les médicaments allopathiques sont, eux, réservés dans les cas où ils s’avèrent indispensables ou si le premier traitement a été inéfficace. « Le recours aux antiparasitaires conventionnels doit être justifié par des résultats d’analyses de selles depuis juin 2017 », précise Loïc Guiouillier. Mais le vrai principe à retenir, selon lui, est bien l’usage raisonné des traitements, qu’ils soient conventionnels ou pas. Dans ce cadre, afin de limiter l’utilisation des intrants, cibler les animaux à traiter est aussi à envisager. « Dans notre unité de recherche, nous développons des méthodes pour détecter les animaux nécessitant le plus le recours aux traitements, explique Sophie Prache, chercheuse à l’Inra, qui travaille sur le parasitisme des petits ruminants en système herbager. Cela passe par le suivi d’un ensemble de paramètres, comme la courbe de poids, l’observation des muqueuses, l’analyse des crottes… » 5. Xavier Plaëtevoët, praticien mixte à Saint-Désir (Calvados), applique déjà ce principe. « Au départ, le vermifuge comptait comme un traitement allopathique, ce qui nous poussait à faire des traitements sélectifs, explique-t-il. Aujourd’hui, même si les antiparasitaires ont été exclus de la case allopathie, nous adoptons toujours ce principe. C’est aussi souvent une demande des éleveurs qui cherchent à limiter les traitements de leur troupeau. » Ainsi, si l’analyse des bouses révèle un niveau peu élevé de parasitisme, seuls les animaux en moins bon état général seront traités.
Suivre des élevages bio implique d’« avoir des éléments de connaissance en médecines complémentaires », souligne Loïc Guiouillier. Une urgence pour lui quand, sur le terrain, « on assiste au développement des colporteurs qui arrosent les élevages bio de phyto et d’aromathérapie
». « Ces compétences sont peu répandues chez les vétérinaires, alors qu’elles sont particulièrement recherchées, et pas qu’en bio », note Brigitte Beciu, chargée de mission élevage pour la Fédération nationale d’agriculture biologique (FNAB). Jérémie Dal Maso met également en exergue ce décalage : « Dans mon exercice, les éleveurs en connaissent souvent plus que moi sur les plantes. Aussi, afin de pouvoir apporter des réponses aux éleveurs, qu’ils soient bio ou non, je me suis inscrit au diplôme interécole en phyto-aromathérapie. » Aussi, sur le terrain, l’automédication est fréquente. En témoigne, par exemple, le projet Otoveil, dans lequel les enquêtes menées en 2017 ont révélé que 65 % des éleveurs parmi les 102 interrogés (en élevages bovin lait, bovin viande, ovin lait, ovin viande et caprin lait) avaient recours à l’aromathérapie. Un autre projet Casdar, Synergie, avait quant à lui, mis en lumière cette pratique en élevage poulet de chair biologique : parmi un échantillon représentatif de 85 élevages, 70 avaient eu recours à des traitements dits alternatifs, majoritairement à titre préventif6. Mais attention, « il ne faut pas que ces médecines complémentaires deviennent un substitut aux traitements conventionnels sans un changement des pratiques d’élevage
», martèle Catherine Experton. Pour ce faire, former les éleveurs sur les plantes lui apparaît essentiel, comme «
levier de sensibilisation des éleveurs aux changements de pratiques
». Loïc Guiouillier précise aussi que « l’élevage bio n’a pas forcément besoin des médecines complémentaires, même en préventif ». Et le mot de la fin revient à Jérémie Dal Maso, qui résume l’exercice vétérinaire en élevage bio : « Je ne sais pas si un b.a.-ba est requis pour suivre un élevage biologique, mais je pense qu’il faut être au minimum curieux. Il faut aussi reconnaître qu’on en sait moins que certains éleveurs, et qu’il est nécessaire de se former. La base est de faire un bon examen général et de savoir écouter les gens. »
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3 Compte d’affectation spéciale développement agricole et rural.
4 État global et dynamique d’un troupeau permettant de maintenir un niveau de santé et de performances stable, dans un environnement fluctuant.
5 Projet Salamix (systèmes d’élevage allaitants herbagers : adapter le type génétique et mixer les espèces pour renforcer leur durabilité) en cours depuis mai 2015.
6 Lire La Semaine Vétérinaire n° 1796 du 15/12/2019, page 36-37.
SENSIBILISER AU BIEN-ÊTRE ANIMAL
LA PRESCRIPTION, UN VRAI CASSE-TÊTE
QUE PENSENT LES ÉLEVEURS DU SUIVI VÉTÉRINAIRE EN ÉLEVAGE BIO ?
NATHALIE MASBOU, ÉLEVEUSE DE CHÈVRES DANS LE LOT
Nathalie Masbou, éleveuse de chèvres dans le LotJACQUES RIMBAULT, ÉLEVEUR DE VOLAILLES EN ISÈRE
Jacques Rimbault, éleveur de volailles en IsèreJEAN-FRANÇOIS VINCENT, ÉLEVEUR DE PORCS ET DE MOUTONS DANS LE CHER
Jean-François Vincent, éleveur de porcs et de moutons dans le CherÉRIC GUIHERY, ÉLEVEUR DE VACHES LAITIÈRES EN MAYENNE
Éric Guihery, éleveur de vaches laitières en MayenneDES PROBLÉMATIQUES SANITAIRES LIÉES AU PLEIN AIR