Le rôle du vétérinaire dans le contrôle des hypertypes : exemple de la brachycéphalie - La Semaine Vétérinaire n° 1800 du 02/03/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1800 du 02/03/2019

ACTU

De tout temps, le chien domestique aura été l’espèce mammifère la plus diversifiée sur le plan morphologique. Autrefois, ce furent les aptitudes fonctionnelles (la chasse, le combat, la conduite de troupeau, etc.) qui ont orienté la sélection des caractéristiques morphologiques. C’est ainsi que le chien dit brachycéphale a été sélectionné en Angleterre pour le bullbaiting (combats de taureau), où l’exagération de sa face aplatie et prognathe facilitera la préhension du mufle de ces bovins de foire. Ainsi est né le bulldog anglais. Cette particularité, pourtant issue d’une pathologie de fermeture prématurée de cartilages de croissance des os du crâne, aura su traverser les siècles pour atteindre désormais son apogée, au même titre que ses cousins carlin ou bouledogue français, ce dernier étant sur le point de devenir la race n° 1 outre-Manche et outre-Atlantique.

D’une fonction utilitaire à une attirance esthétique

Mais aujourd’hui, c’est l’esthétique de ces chiens à face humaine qui intéresse le public, pouvant alors affirmer sans retenue le tant entendu : « Il est comme mon enfant, docteur ! » Et c’est bien le mal des élevages contemporains : délaisser le type de tâches que l’animal devrait pouvoir accomplir pour privilégier son apparence à tout prix.

C’est ainsi que l’on dénonce aujourd’hui la notion d’hypertype, qui est le résultat de l’exagération volontaire de certains caractères morphologiques d’une race, le plus souvent à des fins esthétiques, mais malheureusement ayant souvent des répercussions sur la santé́ et la qualité́ de vie des animaux domestiques.

Et au-delà du raccourcissement des os du crâne et du nez, les exagérations anatomiques suffisamment dé́lé́tè̀res pour le bien-être animal sont nombreuses : des tailles extrêmes (petites ou grandes), un excès de longueur du dos comparé à̀ la taille des pattes, des pattes trop arquées, des yeux anormalement enfoncés dans l’orbite ou au contraire trop exposés, des oreilles trop longues, des plis de peau trop développés, ou toute autre particularité́ physique, comme l’absence totale de poils.

De nombreux acteurs peuvent être tenus pour responsables de cette dérive : propriétaires consommateurs voulant faire le show avec leur quatre-pattes, milieux cynophiles recherchant toujours plus d’originalité pour leur race et ainsi à provoquer le buzz, mais aussi vétérinaires, par manque d’implication ou crainte de perdre les pathologies liées à l’hypertype (le sujet est parfois abordé dans des articles sous l’anonymat !).

De nombreux axes d’action pour les vétérinaires

En tant que professionnel de la santé et du bien-être animal, notre rôle n’est-il pas aussi de pouvoir agir contre ce mal grandissant ?

Et toute raison gardée, en sachant rester “welfariste” pour contrôler les discours radicaux émergeant dans les médias, nos axes d’action sont nombreux :

- l’implication non coercitive des vétérinaires dans le milieu de l’élevage. En effet, une thèse remarquable de notre jeune consœur Morgane Michel (qui a reçu le prix de thèse Victor-Robin de l’Académie vétérinaire de France) souligne la responsabilité des milliers de juges dans l’attribution du prix d’excellence à certains hypertypes ou dans la révision des standards de race vers l’excès, souvent par méconnaissance de l’impact sur la santé ou le bien-être de ces animaux ;

- la médiatisation et la transmission de notre savoir aux juges, là encore, mais aussi à tous les milieux de la cynophilie, que ce soient les sociétés cynophiles, les éleveurs, les clubs de race ou les propriétaires. C’est ainsi que le site internet Fregis.com, salué récemment par la profession, met à disposition plusieurs milliers de pages d’informations scientifiques rigoureuses sur les différents types de pathologies par espèce et par race, soulignant l’impact de l’hypertype si nécessaire ;

- la création d’un groupe interprofessionnel unissant les vétérinaires avec les sociétés cynophiles, le gouvernement, les clubs de race, les éleveurs, les juges et les assurances animalières, afin d’apporter une solution raisonnée et éthique au contrôle des races ;

- et, bien sûr, l’assurance de rester au service de la santé de ces animaux, en proposant les meilleures solutions à ceux étant en souffrance. C’est ainsi qu’il doit enfin être admis de toujours proposer de corriger le syndrome brachycéphale, puisqu’il est désormais possible de le faire par des techniques sûres et efficaces, notamment avec l’utilisation du laser et des techniques chirurgicales les plus récentes.

Le bulldog continental, un brachycéphale au standard raisonné

Et puisqu’il n’est pas question d’anéantir et de remettre en question le formidable travail de sélection et de diversification accompli depuis toutes ces années par le monde cynophile, il faut continuer à encourager la création et la diversité, à l’instar de l’arrivée en 2014 d’une nouvelle race dite brachycéphale, le bulldog continental, pour laquelle j’ai pu apporter à l’éleveuse passionnée initiatrice, Mme Dauvois, le lot de conseils scientifiques pour un standard raisonné, prêt à affronter le feu médiatique.

CYRILL PONCET (T 98)

est spécialiste en chirurgie au centre hospitalier vétérinaire Frégis (Arcueil, Val-de-Marne). Son activité dédiée aux interventions sur les tissus mous l’a conduit à pratiquer de nombreuses corrections du syndrome brachycéphale. Fort d’une étude clinique de 450 cas, il propose désormais une correction au laser par une approche originale : H palatoplastie et vestibuloplastie.