nous avons perdu notre présomption de compétence en nutrition - La Semaine Vétérinaire n° 1800 du 02/03/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1800 du 02/03/2019

ACTU

I nternet serait-il une zone de non-droit ? Dans les quelques procès qui ont lieu pour des cas d’infraction en ligne (injures, menaces et autres), bien souvent les accusés se retrouvent à dire : « Je ne savais pas que c’était interdit. » Si la communication des vétérinaires est très réglementée, les clients pensent pouvoir agir en totale impunité derrière leur écran et on en vient à recevoir des messages que l’on n’aurait jamais reçus de vive voix.

Chacun croit avoir des compétences en nutrition ou en comportement

Lorsque l’on communique sur un sujet sensible comme l’est devenue la nutrition des carnivores, on peut faire face à des déferlements de haine surprenants. La nutrition comme le comportement sont l’objet de passions qui frôlent la religion et les discussions apaisées sont compliquées. En tant que vétérinaire, nous avons perdu notre présomption de compétence : la nutrition comme le comportement sont des sujets quotidiens sur lesquels tout le monde a un avis et que de nombreuses personnes pensent maîtriser, ce qui est beaucoup moins le cas en neurologie, par exemple.

Avec Facebook, on assiste à la création de groupes qui permettent aux clients de se rassembler, parfois pour partager des connaissances, comme dans le groupe “Croquettes comment choisir”, qui accueille même quelques vétérinaires, mais trop souvent aussi pour partager leurs peurs, comme dans les groupes anti-Bravecto ou anti-“croquettes toxiques”. Ces groupes “d’alerte” et leurs adeptes sont assez peu sensibles aux données de la science et c’est dans leur sein que l’on trouvera le plus de b ashing anti-vétérinaires.

Juridiquement, la diffamation d’une profession est légale

Aujourd’hui, les vétérinaires doivent être capables de justifier leurs prescriptions d’anti-parasitaires comme de croquettes. Étant assez exposée sur Facebook dans le domaine de la nutrition des carnivores, j’ai déjà reçu plusieurs appels à la clinique pour savoir quelles marques y étaient vendues, afin ensuite de venir me demander des comptes sur Facebook sous la forme : « Comment justifiez-vous de vendre des croquettes de telle marque contenant tel pourcentage de glucides ? » Ce qui peut assez rapidement dégénérer en diffamation publique lorsqu’ils en arrivent à : « Vous empoisonnez les animaux. »

Comment se défendre dans ces cas-là ? Ce qu’il faut déjà savoir, c’est que, d’après l’interprétation du droit par la Cour de cassation1, la diffamation d’une profession n’est pas punissable : on peut dire que « les vétérinaires sont des empoisonneurs d’animaux », en revanche, il est illégal de dire : « D r X est une empoisonneuse d’animaux. » La diffamation peut être publique, sur une page Facebook, par exemple, ou privée si les propos diffamatoires sont tenus devant un groupe de personnes partageant une même communauté d’intérêts (comme un groupe fermé).

La diffamation suit des règles de procédure très particulières garantissant le respect de la liberté de la presse. La prescription est de trois mois et si l’on démontre que les propos incriminés ne sont pas diffamatoires, mais injurieux (ou vice versa), on peut échapper aux poursuites, car aucune requalification n’est possible en droit français. Ainsi, seules 50 % des plaintes aboutiraient à une condamnation.

Faire bloc à l’échelle de la profession

Alors, pourquoi porter plainte ? Pour que l’impunité numérique cesse, pour que la jurisprudence apprenne aux internautes que l’on ne peut pas écrire n’importe quoi en ligne sous prétexte de se sentir à l’abri derrière son écran.

Mais il faut agir vite, bien connaître la loi et les rouages de l’arsenal judiciaire : plainte au commissariat ou citation directe ? Comment trouver un(e) avocat(e) compétent(e) dans le domaine ? Sans aucune formation juridique, il est bien compliqué de s’en sortir. Cela pourrait être le rôle des instances professionnelles : mettre en place au sein de l’Ordre une cellule de soutien à la procédure juridique pour les vétérinaires ayant subi des injures ou de la diffamation en ligne. Cela montrerait la tolérance zéro de la profession vétérinaire face aux incivilités numériques et la cohésion professionnelle sous forme de “un pour tous, tous pour un”. Car parfois le plus dur lorsque l’on subit des injures et de la diffamation numérique, ce ne sont pas les mots des diffamateurs, mais ceux des confrères et des consœurs…

1 Arrêt de la Cour de cassation du 16 septembre 2003 (pourvoi n° 02-58.113).

CHARLOTTE DEVAUX (L 11)

est praticienne canine à Albertville (Savoie). Titulaire du certificat d'études spécialisées de diététique canine et féline, elle anime une page Facebook sur la nutrition des carnivores. C’est sur cette page qu’un administrateur de groupe Facebook sur les “croquettes toxiques” a tenu des propos qui ont fait l’objet d’une plainte pour diffamation et injures publiques, dont le procès est en cours.