ACTU
On me demande souvent comment on devient vétérinaire “apidologiste”, joli néologisme qui définit intuitivement bien l’intérêt du pathologiste pour les apidés. C’est grâce à Monique L’Hostis, dans les années 1990, que j’ai rencontré mes premières abeilles, au rucher école de l’École nationale vétérinaire de Nantes (aujourd’hui Oniris), durant mes études. J’ai ensuite acquis une première colonie déclarée aux services vétérinaires qui cherchaient, à ce moment-là, un vétérinaire pour s’occuper du programme sanitaire d’élevage (PSE) de la Vendée. L’Administration m’a envoyé en formation en Normandie, puis j’ai commencé à visiter les ruchers des autres et j’ai fait de fabuleuses rencontres d’apiculteurs amateurs ou professionnels passionnés et passionnants.
À l’époque, j’ai essuyé beaucoup de déboires et mangé peu de miel. On ne s’improvise pas apiculteur. Je sentais qu’il me fallait encore beaucoup apprendre. Écouter était ma devise. J’observais, j’apprenais, je réfléchissais, j’expérimentais… et je voyais bien que l’apiculture avait une carte à jouer en faisant appel à des vétérinaires. Mais il m’aura fallu attendre quelques années pendant lesquelles je m’employais à convaincre mes associés que ma passion pourrait être utile au sein de notre cabinet et qu’il me fallait apprendre au diplôme interécoles (DIE) en apiculture et pathologie apicole. De guerre lasse, je pense, ils ont gentiment accepté que je m’absente cinq semaines pour me former.
C’est la rencontre des apiculteurs professionnels qui m’a réellement permis d’exercer la médecine en apiculture. Certains ont commencé à me faire gérer des certifications en vue d’export, à me demander de les aider à combattre une loque européenne, une perte de production. Parallèlement, j’ai été mandaté, ce qui m’a permis de m’impliquer dans la gestion des maladies réglementées. Enfin, l’Observatoire des mortalités et des affaiblissements de l’abeille mellifère (Omaa) m’a fourni un intéressant travail d’investigation à la suite des mortalités massives. Aujourd’hui, je possède un petit rucher de 12 colonies, qui me sert à expérimenter mes idées, et un autre sur le toit du cabinet où les salariés peuvent venir se former. Ma passion est parfois contagieuse.
Est-ce parce que la profession s’est désintéressée un temps de l’abeille domestique, parce que l’environnement est de plus en plus hostile, parce qu’elle doit faire face à plus de bioagresseurs, parce qu’elle est mal sélectionnée ? Quoi qu’il en soit, Apis mellifera devient plus sensible et un taux de mortalité hivernale de 30 % ne surprend plus personne. Face à cette surmortalité, le vétérinaire peut apporter une vision utile pour améliorer la santé des abeilles. La formation vétérinaire que nous avons permet à tout praticien d’appliquer une démarche diagnostique identique pour toutes les espèces, abeilles comprises : commémoratifs, hypothèses diagnostiques, examens complémentaires, conclusion, soins. Notre formation vétérinaire nous permet d’aller à l’essentiel, scientifiquement, et de gérer les maladies d’une colonie comme on le fait pour celles d’un troupeau.
Cependant, avec l’abeille, les maladies sont à prendre en considération dans un environnement dégradé. C’est un de mes leitmotivs. Dans ce cadre, la connaissance de l’élevage et de son environnement, ainsi que la zootechnie sont primordiales. L’abord de la colonie est aussi important : se protéger et savoir allumer un enfumoir est la base du travail. Il ne faut pas déranger les insectes pour établir un bon diagnostic. En outre, il y a peu de médicaments en apiculture.
Le vétérinaire peut aussi participer à la diffusion des bonnes pratiques apicoles pour parer aux dangers.
L’arrivée de Varroa destructor sur l’île de La Réunion est un bon exemple. Désormais, les colonies – jusqu’à présent très pérennes, et ce malgré un emploi important de pesticides – meurent à des taux semblables à ceux que l’on trouve en métropole. Dans ce contexte, les vétérinaires de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV) ont formé 15 000 apiculteurs sur la varroose. Force a été de constater que nombreux sont ceux qui méconnaissent l’abeille et ne gèrent pas la parasitose correctement.
Seul on n’est rien. Mon parcours apicole m’a fait rencontrer des apiculteurs, des confrères, des chercheurs passionnés, très instruits, français et étrangers, qui sont souvent devenus des amis.
•
SAMUEL BOUCHER (N 92)