Ils sont aujourd’hui six collaborateurs libéraux à travailler à domicile sur Narbonne (Aude) et sa région, au sein de Vetdom. Parmi eux, Emmanuel Faget, l’un des cofondateurs de l’Association des vétérinaires à domicile (Avad)1. Un choix d’exercice dans lequel il se plaît depuis 10 ans, après avoir travaillé durant six ans en clinique. Pourtant, le domicile n’est-il pas un exercice un peu solitaire ? « Je ne trouve pas, commente Emmanuel Faget. D’abord, j’aime conduire, sortir, et en voiture, aujourd’hui, on téléphone énormément
! De plus, les propriétaires nous accueillent généralement avec beaucoup d’empathie chez eux. Il y a une vraie relation client qui s’établit
». Enfin, outre l’utilisation d’outils collaboratifs d’entreprise (vidéoconférences, messages, réseaux sociaux, etc.), les membres de l’équipe de Vetdom veillent à se réunir physiquement régulièrement, notamment lors de partages de repas.
Panorama des vétérinaires à domicile
L’Avad regroupe les vétérinaires qui travaillent exclusivement à domicile, pour les animaux de compagnie et les nouveaux animaux de compagnie (NAC). L’association compte actuellement 54 structures adhérentes. «
Il existe au moins une structure par département, détaille Emmanuel Faget. Elles se concentrent majoritairement dans les milieux urbains denses
: Paris, Lyon, Toulouse, Marseille, Bordeaux, Nantes, etc. Je pense que des projets d’installation peuvent s’envisager sur des agglomérations totalisant entre 200
000 et 300
000
habitants. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a actuellement des attentes sociétales croissantes dans ce secteur
». La demande provient de personnes qui ont du mal à se déplacer (ou dont les animaux sont difficilement déplaçables), qui ne désirent pas se rendre en clinique ou qui n’en ont pas le temps.
Un vrai métier où il faut s’impliquer…
« Si l’on souhaite devenir vétérinaire à domicile pour jouir d’un haut niveau de vie, d’une super vie familiale, en n’assurant que deux à trois jours de travail par semaine, on part perdant, avertit néanmoins Emmanuel Faget. C’est un travail aussi exigeant qu’en clinique, même si ces exigences ne sont pas exactement identiques
.
» Plutôt que de ne pas travailler certains jours, il conseille d’organiser quelques aménagements d’horaires au sein de la journée. « Par exemple, entre 16 heures et 16
h 30, on peut passer à La Poste, aller chercher ses enfants à l’école, etc.
».
Des cas de burn-out professionnel peuvent quand même se produire. « Il faut notamment veiller à ne pas se faire dépasser par la relation client, commente Emmanuel Faget. Car en intervenant au domicile, on brise la retenue devant la blouse blanche, on est perçu comme le médecin de famille, voire un peu comme un ami. Mais il est parfaitement possible d’apprendre à bien gérer ces situations. »
Avec quelles limites aux soins ?
Actuellement, la seule limite imposée par l’Ordre au vétérinaire à domicile est qu’il ne peut pas exercer autrement (par exemple, il ne peut pas décider de consacrer un jour de travail en chirurgie en clinique). Pour le reste, il appartient au vétérinaire à domicile de se fixer seul ses autres limites, en toute conscience et en toute responsabilité… « Nous avons dans notre voiture toute la pharmacopée dont disposent les cliniques », précise Emmanuel Faget. Quid de l’utilisation d’une anesthésie gazeuse à domicile ? « Techniquement, elle est possible à mettre en place. Mais c’est très lourd et long à installer, ce matériel n’aime pas les vibrations dans les voitures… Et puis l’anesthésie gazeuse seule ne suffit pas à éviter d’autres problèmes qui peuvent intervenir par la suite. Donc, à Vetdom, nous ne pratiquons pas de chirurgie de cavités, ni de chirurgie osseuse. Nous considérons que ce sont des actes à risques, qui de surcroît seraient d’une rentabilité aléatoire à domicile. Dans certains cas, il nous arrive d’utiliser des réverseurs d’anesthésie. Quand on quitte l’animal, c’est qu’il est déjà sorti de son stade d’anesthésie. »
Une offre complémentaire à l’exercice traditionnel
En conséquence, afin d’assurer la continuité des soins et pour certains actes demandant davantage d’appareils médicaux, le vétérinaire à domicile doit travailler en bonne intelligence avec d’autres structures physiques mieux équipées (cliniques et centre hospitalier vétérinaire), sur lesquels il renvoie au besoin ses propres clients. « À ce propos, analyse Emmanuel Faget, il est dommage que certains confrères nous considèrent comme des concurrents. Alors que l’on devrait vraiment parler d’une complémentarité d’offre, avec nous comme un maillon de la chaîne ».
Avec quelles autres différences ?
Il appartient à chaque vétérinaire à domicile d’établir sa propre grille tarifaire. Ce professionnel a davantage de frais de déplacement et de véhicule à prévoir. En revanche, il a un moindre investissement immobilier, devant souvent seulement prévoir un local pour sa pharmacie et pour conserver les corps des animaux morts. Il peut aussi choisir de fonctionner avec ou sans secrétariat, et sous-traiter ou pas ses appels téléphoniques lors de ses heures de fermeture. « Et donc, tous les vétérinaires ne font pas les mêmes calculs de rentabilité, explique Emmanuel Faget. Certains ont des tarifs à domicile plus élevés qu’en clinique, d’autres non. Et chacun choisit comment répercuter totalement ou seulement partiellement les frais de déplacement, tout comme les frais d’investissement ».
« J’ai déjà suivi des animaux durant toute leur vie ! »
En conclusion, quels avantages voit-il à ce mode d’exercice ? « L’avantage, c’est d’avoir face à nous à la fois des animaux et des clients moins stressés
! Je pense aussi que les propriétaires ne nous cachent pas d’information. De plus, le professionnel recueille beaucoup de renseignements utiles en observant l’animal dans son environnement. Par exemple, un propriétaire
peut déclarer
que son chien ne fréquente pas d’autres animaux… sauf que l’on voit qu’il y a deux ou trois chats sur la fenêtre ! Ou bien encore que l’animal mange tel ou tel type de croquettes… sauf que, dans la cuisine, c’est autre chose…». Il est aussi possible de résoudre plus efficacement tous les problèmes de dermatologie à domicile, en prenant en compte des données pas forcément accessibles en clinique. « En fait, conclut Emmanuel Faget, exerçant depuis 10 ans ainsi, j’ai déjà eu la chance de pouvoir suivre certains animaux à domicile durant toute leur vie
! C’est vraiment top. »
1 En savoir plus sur veterinairesadomicile.com.
« J’AI TESTÉ PLUSIEURS FORMES D’EXERCICE »
C’est après avoir monté plusieurs cliniques – et avoir préféré quitté ses derniers associés – qu’en 2017 François Grandcollot a décidé de tenter l’aventure de vétérinaire exclusivement à domicile, pendant un an. Un mode d’exercice dont il a apprécié « le côté plus simple, plus rapproché. Je rendais vraiment service aux gens, notamment à tous ceux qui ne pouvaient pas se déplacer ». Côté inconvénients, il a eu, en revanche, le sentiment de perdre du temps sur la route. Et bien qu’il pratiquait une plage d’horaires étendue afin de satisfaire le plus grand nombre (de 7 heures jusqu’à 21 heures), il a constaté que son activité à domicile était moins rentable qu’en clinique…
Retour à une solution “hybride” !
Ce vétérinaire pratiquait également de la petite chirurgie à domicile (du style suture, castration de chats). En revanche, ses appareils d’imagerie et de radiographie lui manquaient ! « Même pour faire une simple échographie, ce serait possible, mais pas simple et trop chronophage à réaliser à domicile », analyse-t-il. De ce fait, il a évidemment cherché à référer des cas à l’extérieur, vers des cliniques. « Je pense que mes confrères auraient eu tout intérêt à collaborer avec moi. Mais il m’a été tellement difficile de constituer un réseau de structures partenaires que j’ai préféré remonter une autre clinique classique, où exercent trois de mes confrères. Finalement, eux s’occupent de mes référés et, à presque 70 ans, je suis le seul à proposer le service à domicile tel que le définit l’Ordre des vétérinaires, dans sa revue d’août 2015 : un vétérinaire ayant un établissement de soins vétérinaires peut faire savoir au public qu’il réalise des visites à domicile en plus des consultations effectuées dans l’établissement de soins vétérinaires1. Pour tomber sous le sens, la clinique vétérinaire en question se dénomme Calm, pour Comme à la maison ! »
Pousser plus loin les autorisations d’exercice ?
Comment voit-il la médecine à domicile du futur ? « Je rêve d’une évolution de notre Code de déontologie. Actuellement, l’acte vétérinaire doit se dérouler dans le domicile. On pourrait pourtant quasiment tout faire si l’on pouvait s’y rendre avec une camionnette aménagée, équipée d’une table de consultation, d’un appareil de radiographie, d’une anesthésie gazeuse… Mais cette médecine foraine est aujourd’hui strictement interdite. Quand j’en ai parlé à l’Ordre, ils m’ont dit que j’avais sans doute 10 ou 15 ans d’avance ! Ce serait pourtant formidable, pour lutter notamment contre le développement des déserts médicaux dans certaines zones rurales. » L’avenir à domicile pourrait aussi beaucoup évoluer, au fur et à mesure que devraient devenir également autorisés de futurs actes de télémédecine…
1 Pour en savoir plus sur les consultations à domicile que les cliniques sont autorisées à faire, voir l’article « Relation client : le service ponctuel de visites à domicile, ses atouts », paru dans La Semaine vétérinaire n° 1754 du 9/3/2018, pages 50 et 51.
« OBSERVER L’ENVIRONNEMENT D’UN CHAT, C’EST ESSENTIEL ! »
« Aller directement observer un chat chez lui, c’est, pour moi, une évidence aujourd’hui », constate Anne-Claire Gagnon, vétérinaire, journaliste et comportementaliste féline à domicile. « En se rendant chez ses propriétaires, on est là, on voit tout. C’est tellement plus simple et plus naturel pour des consultations de comportement ! D’abord, on observe, de l’intérieur, comment vivent les propriétaires. Car ils ne changent rien à leurs habitudes avant l’arrivée du vétérinaire. Et donc, je vois où les bacs sont localisés, la topographie des lieux, la qualité globale de l’environnement… Et puis, je repère aussi ce qui fonctionne ou pas dans l’habitat. Par exemple, un arbre à chat inutilisé, car mal placé et instable. En revanche, une fois stabilisé, mis à côté d’une fenêtre, il devient un poste d’observation immédiatement adopté par le chat, ravi de pouvoir à nouveau prendre de la hauteur et d’admirer les animations du paysage ».
« Le chat m’entraîne là où cela cloche ! »
Autres avantages d’une consultation comportementale à domicile, d’après Anne-Claire Gagnon : « L’animal n’est pas stressé après le transport. Je peux donc le suivre tranquillement dans sa maison. Et on peut compter sur lui pour m’emmener là où cela ne va pas ! Par exemple, à côté de bacs à la propreté douteuse. » La vétérinaire observe aussi les interactions qui interviennent entre le chat et son maître. Il ne lui reste plus ensuite qu’à restituer au propriétaire le bilan de sa visite (avec copie au vétérinaire traitant), assorti d’une liste d’actions à entreprendre. « Il faut proposer des changements au propriétaire, qu’il va ensuite tester », informe Anne-Claire Gagnon. Et de conclure : « J’ai commencé à exercer en clinique. Mais entre consulter à son domicile professionnel ou à celui de son client et du patient félin, c’est vraiment le jour et la nuit ! »
Que pense-t-elle d’autoriser à terme la “médecine foraine à domicile” ? « Une seule vétérinaire féline pratique ainsi en Grande-Bretagne, avec une camionnette qui est effectivement complètement équipée pour la chirurgie courante, les examens d’imagerie et les consultations. Ce mode d’exercice est plus répandu aux États-Unis et au Canada. »
« COMME L’INFIRMIER LIBÉRAL, J’AIME ME RENDRE CHEZ MES PATIENTS »
Christophe Le Dref a créé un service d’urgence à domicile il y a dix ans (Vetalia, Paris et Île-de-France). Puis, avec Emmanuel Faget (voir texte principal du dossier) et William Minez, il a cofondé l’Association des vétérinaires à domicile (Avad). À l’origine, c’est pour pouvoir mener deux vies de front qu’il s’est engagé dans cette voie : « J’ai toujours aimé les gardes, le travail de nuit, les week-ends, explique-t-il. Et puis, cela me permettait de me consacrer à mon autre passion : le théâtre ». Il dit aussi « adorer l’accueil des gens. Quand on arrive en urgence chez eux à 3 heures du matin pour soigner leur animal, ils sont souvent très gentils. Oui, je crois que c’est vraiment le gros plus du mode d’exercice à domicile ».
« On revient aux fondamentaux »
N’être médicalement équipé que de peu d’appareils ne le gêne pas ? « Finalement, on apprend à se débrouiller avec peu de moyens. Et l’on revient aux fondamentaux, on développe davantage ses sens (dont l’écoute). Soigner un animal dans son environnement habituel apporte aussi parfois des informations capitales pour établir le bon diagnostic ! Par exemple, un chat pas bien, prostré, peut avoir tout simplement avalé une boulette de shit ». À Vetalia, il existe aussi un forfait spécial pour accompagner les propriétaires lors d’euthanasie à domicile. « C’est le service pour lequel nous recevons le plus de remerciements », constate-t-il avec simplicité. Les vétérinaires de Vetalia n’enveloppent d’ailleurs désormais plus les corps dans des sacs plastiques, mais dans des housses mortuaires en tissu étanche… « L’empathie, le contact humain sont pour moi des valeurs essentielles, conclut Christophe Le Dref. En fait, c’est vrai, j’aime encore plus le domicile que les urgences ! »
Depuis environ un an, il n’exerce cependant plus, pour pouvoir se consacrer à une autre « naissance » : celle de Dr Milou1, une plateforme digitale nationale de mise en relation entre propriétaires d’animaux de compagnie et vétérinaires, pour tous types de consultations à domicile, lancée courant mars 2019.
1 Pour en savoir plus sur Drmilou.fr, voir La Semaine Vétérinaire n° 1799 du 8/3/2019, page 20.