ENTRETIEN AVEC PHILIPPE GOURLAY
ACTU
Auteur(s) : PROPOS RECUEILLIS PAR TANIT HALFON
Le 12 mars, le porte-conteneurs italien Grande America coulait à proximité des côtes atlantiques françaises. Face à la progression des hydrocarbures échappés en mer, les centres côtiers de réhabilitation de la faune sauvage sont en alerte. Philippe Gourlay, vétérinaire épidémiologiste au Centre vétérinaire de la faune sauvage et des écosystèmes d’Oniris, fait un point sur la situation.
À la suite du naufrage du Grande America, comment se sont organisés les centres de réhabilitation de la faune sauvage ?
Tous les centres côtiers de réhabilitation, et ayant une compétence pour la prise en charge de la faune sauvage mazoutée, se sont mis en relation afin de mener les secours de façon commune. Actuellement, neuf structures, réparties des Pyrénées-Atlantiques jusqu’en Bretagne, sont intégrées dans l’organisation des soins aux éventuels oiseaux impactés. D’autres centres pourront venir en renfort en cas de besoin. Une structure compétente pour les tortues marines et deux autres pour les soins aux pinnipèdes1 ont également été identifiées, si nécessaire.
Trois pôles de coordination ont été mis en place : une coordination administrative confiée à la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) France qui représente ainsi l’ensemble des centres au sein de la cellule nationale de crise ; une coordination technique confiée aux centres les plus proches des échouages d’éventuels oiseaux, actuellement ceux des Pyrénées-Atlantiques, des Landes et de la Gironde (recensement et identification des espèces les plus touchées, communication des besoins en matière de prise en charge auprès des autres centres) ; et une coordination vétérinaire et hygiène/sécurité confiée au Centre vétérinaire de la faune sauvage et des écosystèmes (CVFSE). Nous avons une réunion téléphonique toutes les semaines. Ceci étant dit, cela fait déjà plusieurs années que nous travaillons tous ensemble, ainsi qu’avec les experts de la dépollution (le Cedre2 à Brest, dans le Finistère) et l’industrie pétrolière (société Total, notamment), afin d’améliorer nos pratiques. Nous avons notamment publié en 2018 un guide de prise en charge de la faune sauvage mazoutée3. De plus, le CVFSE est intégré à un groupe de travail européen (Eurowa, coordonné par la fondation Sea Alarm) qui regroupe des experts susceptibles d’être mobilisés en cas de marée noire de grande ampleur.
Y a-t-il un risque important pour la faune sauvage ?
Vu la progression des nappes d’hydrocarbures, en lien notamment avec les efforts importants de dépollution en mer, un phénomène de pollution ressemblant à un important dégazage, progressif, est plus probable qu’une crise aiguë de type marée noire. Cela se confirme sur le terrain : depuis le naufrage, seuls trois oiseaux victimes de pollution ont été transférés dans trois centres, dont deux impactés par les hydrocarbures du Grande America. Nous attendons donc plutôt un phénomène de faible ampleur, mais sur une longue période.
Quel est le rôle du vétérinaire dans ce genre de situation ?
Son premier rôle est d’être présent au niveau du triage des animaux : il doit identifier les individus qui ont de bonnes chances de survie et procéder à l’euthanasie des autres. Il établit ensuite les protocoles de stabilisation médicale (réhydratation, réalimentation sur trois à sept jours), afin que l’état de l’animal devienne compatible avec les étapes de lavage et de séchage. Il doit également s’assurer de l’hygiène et de la qualité des aliments (poissons, notamment) qui vont être distribués aux animaux. Il réalise aussi les autopsies, dont les résultats pourront permettre d’adapter les critères de triage et les protocoles de soins. Enfin, il est le garant de l’hygiène et de la sécurité du personnel. En résumé, son rôle est de superviser, de procéder aux diagnostics cliniques ou post-mortem et de prévenir les troubles de santé qui pourraient être liés à l’activité de réhabilitation. à noter que chaque centre dispose d’un vétérinaire sanitaire, mais est aussi en relation avec d’autres vétérinaires qu’il peut solliciter en cas de besoin.
Un réseau de vétérinaires a-t-il été mis en place ?
Pour l’instant, vu qu’il n’a pas vraiment été identifié de crise sanitaire impliquant de nombreux animaux sauvages, le besoin de constitution d’un réseau spécifique de vétérinaires pour gérer la situation ne s’est pas fait ressentir. Cela est cependant naturellement prévu, si nécessaire, en impliquant les vétérinaires sanitaires des centres, ainsi que ceux s’étant déjà portés volontaires pour aider.
1 Les cétacés sont rarement touchés, car ils évitent les nappes d’hydrocarbures.
2 Centre de documentation, de recherche et d’expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux.
LE NAUFRAGE DU GRANDE AMERICA EN CINQ DATES