CONFÉRENCE
PRATIQUE CANINE
L'ACTU
Auteur(s) : GWENAËL OUTTERS
Le tramadol est un mélange racémique de deux énantiomères, qui suscite intérêt et controverse. Ce n’est pas un opioïde fort comme peut l’être la morphine. « Il s’utilise dans un plan analgésique multimodal, comme antalgique de secours, mais n’a pas d’intérêt seul », prévient d’emblée Thierry Poitte, à l’occasion d’une conférence consacrée à la molécule présentée par CAP douleur lors du dernier congrès de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac), alors que le premier médicament disposant d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) vétérinaire (Tralieve®, Dechra) a été lancé en France en 2018.
Le tramadol est un agoniste des récepteurs µ, d’action morphinique faible. Il inhibe la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline, médiateurs importants dans la conduction et les mécanismes de la douleur. Enfin, il a un effet synergique grâce aux différentes actions qu’il exprime dans l’organisme. Ses effets ne sont donc pas linéaires. Par ailleurs, son efficacité est dose-dépendante.
L’action sur les récepteurs µ dépend de la capacité de l’organisme à produire le métabolite actif (plus élevée chez le chat, plus faible chez le chien). Ceci explique une variation interespèces et individuelle, ainsi que l’inaction de la molécule chez certains individus. Par ailleurs, la durée d’action est elle aussi variable (de 6 à 12 heures chez le chien après administration par voie orale).
« L’analgésie doit être précoce, multimodale, mais surtout pluridisciplinaire et individualisée », martèle Thierry Poitte. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) agissent au niveau de l’hypersensibilisation périphérique, les anesthésiques loco-régionaux interviennent au niveau de la transmission de la douleur. Le tramadol et les agonistes µ agissent au niveau de la transmission de la corne dorsale de la moelle épinière. L’hypersensibilisation centrale est contrôlée par le biais des récepteurs NMDA (acide N-méthyl-D-aspartique) qui ont une répartition ubiquitaire et un rôle fondamental dans la physiopathologie de la douleur chronique. Enfin, les actions concourant à freiner la perception de la douleur sont promues : massages, stimulation de la production des endorphines et des monoamines par le tronc cérébral (antidépresseurs tricycliques, clomipramine et tramadol), nursing en hospitalisation.
L’AMM recommande d’utiliser le tramadol pour la réduction des douleurs opératoires d’intensité légère, les douleurs aiguës ou chroniques d’intensité légère des tissus mous et du système musculo-squelettique, ce qui le positionne sur le palier 1 de la classification de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) des médicaments contre la douleur. En humaine, le tramadol est situé sur le palier 2. Ainsi, les conférenciers invitent à s’en inspirer et à l’utiliser pour les douleurs inflammatoires de palier 2, modérées à sévères, dans le cadre d’une analgésie multimodale, à la posologie de 2 à 4 mg/kg, toutes les 8 heures en fonction de l’intensité de la douleur.
Chirurgie
Les conférenciers proposent d’utiliser le tramadol pour toute chirurgie pourvoyeuse de douleur chronique postopératoire, pas en première intention, mais en association avec les opioïdes forts, l’anesthésie locorégionale, les antihyperalgésiques (kétamine), les AINS et le nursing. Au retour à domicile, en association avec un AINS, le tramadol est un antalgique de secours (exemple : mammectomie, chirurgie ostéoarticulaire, chirurgie ORL, amputation, chirurgie carcinologique, thoracotomie, etc.) : le but est de rendre l’animal confortable et d’accompagner les propriétaires à la maison. Parfois, il peut être utilisé en substitution des AINS, par exemple, dans le cadre de chirurgies digestives (risque ulcérogène) ou des pyomètres (risque d’insuffisance rénale).
Arthrose
L’arthrose s’accompagne de douleurs mécaniques (exercice), inflammatoires (survenant surtout au repos), neuropathiques (spontanées, décrites par les propriétaires comme des décharges électriques ; encadré) et centrales (traduites par l’hyperalgésie et l’allodynie et qui accompagnent toujours les douleurs chroniques). Le tramadol peut être utilisé comme antalgique de secours, en plus d’un AINS, dans une situation prévisible, en titrant (2 mg/kg, voire 1 mg/kg, sur les très grands chiens et 4 mg/kg sur les petits chiens). Le message primordial à fournir aux propriétaires est que la douleur ne doit jamais se réinstaller. Lors d’une utilisation prolongée, le tramadol sera sevré à raison de - 25 % de la dose tous les 4 jours. Les douleurs neuropathiques sont fréquentes, mais peu évaluées lors d’arthrose, pourtant le tramadol pourrait trouver sa place grâce à son action inhibitrice sur la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline. Bien que les essais en humaine soient contrastés, il s’agit d’une option à proposer aux propriétaires, qui seront informés sur les critères d’évaluation. En pratique, les experts proposent une prise en charge ambulatoire (perfusion de méthadone et de kétamine) de ces douleurs neuropathiques (quelles qu’en soient la cause) puis un retour à la maison avec du tramadol et de la gabapentine. Ils se fondent sur des observations cliniques lors d’impasse thérapeutique.
Effets secondaires
Les effets secondaires dépendent de l’animal (et sa production de métabolite actif) et de la dose. La sédation, fréquemment décrite, s’observe à des doses élevées, ce qui ne présente pas d’intérêt puisque le tramadol ne devrait pas être utilisé seul. Les vomissements sont rencontrés chez les animaux anxieux ou souffrant d’autres maladies. Les convulsions sont extrêmement rares (contre-indication chez les épileptiques).
L’association du tramadol avec d’autres molécules agissant sur la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (antidépresseurs tricycliques, inhibiteurs de la recapture de la sérotonine ou les IMAO-B [sélégiline]) est contre-indiquée sous peine de développer un syndrome sérotoninergique (tremblements, hyperréflexie, rigidité, ptyalisme, désorientation), réversible à l’arrêt.
Le tramadol n’est pas un stupéfiant et ne génère ni accoutumance ni dépendance. Il appartient à la liste I des substances vénéneuses et n’est donc pas soumis à la restriction de prescription des stupéfiants.
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