ÉCOLES VÉTÉRINAIRES
ACTU
Auteur(s) : TANIT HALFON
Pour les directions des écoles vétérinaires, le projet de recrutement post-bac apparaît comme une opportunité à saisir. Néanmoins, plusieurs questions restent en suspens, notamment celle du financement du projet.
C’est un moment historique ! » Pour Christophe Degueurce, directeur de l’École nationale vétérinaire d’Alfort, le projet de recrutement des étudiants vétérinaires directement après l’obtention du baccalauréat1 vaut bien cet enthousiasme. Il faut dire que ce dernier projet en date a de grandes ambitions : « Il s’agit de rejoindre les nations européennes et d’amoindrir des particularismes français qui, rappelons-le, correspondent à une volonté de la profession du xix e siècle de s’élever socialement, souligne Christophe Degueurce. Cela permettra ainsi de réduire la durée de la formation, qui n’est pas justifiée et qui amène probablement certaines catégories sociales à délaisser les études vétérinaires. » Actuellement, la durée moyenne est de huit ans et demi pour près de 60 % des étudiants, contre cinq à six ans pour la plupart des autres pays européens2.Plusieurs bons points apparaissent donc au tableau, malgré une mise en œuvre qui ne s’annonce pas aisée.
En outre, cela éviterait le « filtre social » induit par le système des classes préparatoires : « Le recrutement post-bac pourrait permettre d’introduire des critères de diversité sociale et géographique », rajoute t-il. Pour Isabelle Chmitelin, directrice de l’École nationale vétérinaire de Toulouse, ce projet répond aussi aux attentes de certains étudiants, même très bons, qui refusent de passer par le système des classes préparatoires. « Leur offrir cette possibilité en France permet par la même occasion d’éviter que ces étudiants ne viennent grossir les rangs des écoles de Valence (Espagne) ou de Cluj-Napoca (Roumanie). »
« Avec Parcoursup, nous allons accueillir des jeunes qui habituellement se censuraient pour la voie des classes préparatoires », estime Dominique Buzoni-Gatel, directrice d’Oniris. à la clé : un plus grand vivier de candidats et plus de diversité des profils. Et peut-être davantage de jeunes qui se projetteront dans le milieu rural ? « Tout ne dépend pas uniquement de la provenance sociale des étudiants », nuance Emmanuelle Soubeyran, directrice de VetAgro Sup. En outre, elle ajoute que ce recrutement aura l’avantage de tester la motivation des étudiants : « Les entretiens permettront de s’assurer que l’étudiant qui postule connaît la réalité du métier ». Mais avant toute chose, il s’agira déjà de dépasser une première difficulté : définir les critères de recrutement. Ce qui n’est pas sans poser question. « Plusieurs craintes se font jour : certains s’inquiètent qu’on ne sélectionne pas des élèves assez bons et mûrs, voire même parlent de formation au rabais. D’autres rappellent que le temps de la “prépa” sert à réfléchir à un projet professionnel », souligne Isabelle Chmitelin. « Actuellement, nos jeunes ont un potentiel énorme, des capacités hors-normes, et peut-être cette nouvelle voie de recrutement nous fera perdre un peu de cela », s’inquiète aussi Christophe Degueurce. La réforme du baccalauréat complexifie également les choses : « Qui devrons-nous choisir ? U niquement des biologistes ? », s’interroge Dominique Buzoni-Gatel.
L’année de formation amène également son lot de questions. « Comment va-t-on gérer cette population de jeunes mineurs au sein des écoles ?, relève Isabelle Chmitelin. Est-ce qu’il sera possible de ne garder, au bout de cette année, que ceux qui sont au niveau ? » Et surtout avec quels moyens ? « à partir du moment où il y a moins d’étudiants en classe “prépa”, il pourrait y avoir un transfert d’argent aux écoles, prévient-elle. Pourquoi ne pas aussi imaginer certains professeurs de l’école mobilisés ? » Du côté d’Oniris, le constat est clair : « Actuellement, il nous est impossible d’engager des professeurs agrégés, mais aussi d’organiser tout le recrutement post-bac », constate Dominique Buzoni-Gatel. Comme elle le souligne, les algorithmes de Parcoursup ne suffiront pas, et passer ce premier filtre, il restera encore beaucoup d’étudiants à évaluer, puis à recruter. Emmanuelle Soubeyran va plus loin : « à mon sens, la question des moyens en ressources humaines et en équipement est cruciale pour la réussite du projet. »
« Il est important de garantir aux futurs étudiants qu’on n’en fera pas uniquement des super-soigneurs », tient à préciser Dominique Buzoni-Gatel. Pour elle, il est essentiel de garder en tête l’évolution de la société : « Les carrières d'aujourd'hui se déroulent dans plusieurs environnements, plusieurs entreprises, et c’est vrai aussi pour la profession vétérinaire. La formation doit donc leur permettre une adaptibilité de carrière. » Pour ce faire, elle prône l’entrée dans le système licence-master-doctorat : « Mettre en place un recrutement post-bac nécessite d’intégrer ce système au risque de refaire une “prépa” vétérinaire sans passerelle pour les jeunes. » Pourtant, les difficultés de recrutement sont bien réelles pour la profession, en particulier en zone rurale. « Je ne suis pas convaincue qu’il faille former un plus grand nombre de praticiens. Beaucoup de jeunes Français sont partis se former à l’étranger, la faculté de Liège (Belgique) n’étant plus la seule alternative possible. Il va y avoir bientôt une vague déferlante de plusieurs centaines de jeunes diplômés qui vont arriver sur le marché français. C’est un mouvement qu’on ne peut pas enrayer. En outre, nous avons déjà augmenté le numerus clausus pour arriver à des promotions de 160 étudiants. »
«
L’idéal serait de ne pas faire perdurer les deux systèmes, classe préparatoire classique et classe intégrée, analyse Dominique Buzoni-Gatel. Sinon, autant remettre la classe préparatoire “véto”.
» Pour elle, la vraie solution serait d’instaurer ce modèle pour tout le monde, et elle s’inquiète de la potentielle période de transition. En outre, elle rappelle que l’idée n’est pas tout à fait celle d’une classe préparatoire intégrée : «
Le but est de raccourcir les études, donc les cours devront être des choses utiles pour la formation vétérinaire, différentes de celles apprises en classe préparatoire.
» Mais avant la transition, encore faut-il que la réforme soit appliquée et non rangée dans les placards, comme ce fut le cas du rapport du sénateur Charles Guené3 ? Dans ce rapport datant de 2008, il parlait de la suppression des classes préparatoires et de la création d’une “prépa” intégrée comme d’une « solution pour l’avenir et d’un mode de sélection plus adapté à la demande professionnelle ». à l’époque, il évoquait l’intérêt d’un entretien et d’une évaluation de projet professionnel, suivis d’une année de préparation dédiée majoritairement aux matières fondamentales et que les élèves effectueraient dans les écoles ou en partie dans des établissements universitaires. La page n’est donc pas encore tournée...
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1 Lire La Semaine Vétérinaire n° 1803 du 5/4/2019, page 20.
2 D’après un rapport de Marc Gogny sur la comparaison entre le programme des classes préparatoires BCPST (biologie, chimie, physique et sciences de la Terre) et leur équivalent dans les facultés vétérinaires européennes.
UNE SOLUTION POUR LE MAILLAGE ?