Maltraitance animale et rôle du vétérinaire : entre éthique et respect de la loi - La Semaine Vétérinaire n° 1808 du 27/04/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1808 du 27/04/2019

DOSSIER

Auteur(s) : NICOLAS CORLOUER 

Dans le cadre de leur exercice professionnel, les vétérinaires peuvent être confrontés à des animaux victimes de maltraitance ou d’abandon. Pourtant, force est de constater que les praticiens ne savent pas toujours précisément quelle conduite adopter ni quelle est la réglementation en la matière. D’autant plus que celle-ci peut être soumise à une interprétation plus ou moins stricte des textes par les magistrats et exposer les praticiens au non-respect du secret médical.

Si les cas d’animaux frappés, brutalisés ou affamés sont facilement identifiables pour les praticiens, les contours de la maltraitance (encadré) soulèvent parfois des interrogations. Certains cas posent davantage de difficultés, comme les refus de soins, les demandes d’euthanasie non justifiées par une affection incurable ou une souffrance animale particulière, le refus de vaccination au-delà des obligations réglementaires en la matière… Ces différentes hypothèses, qui au demeurant se retrouvent en médecine humaine, relèvent en réalité du cas par cas, c’est-à-dire qu’il n’est pas possible d’établir une réponse ou doctrine générale applicable en toute hypothèse, laissant ainsi une place importante à l’appréciation de la situation par le vétérinaire. Par exemple, si une demande d’euthanasie d’un animal en parfaite santé pour de simples raisons matérielles (animaux détruisant des meubles ou autres) ou encore de confort personnel (animaux sales, bruyants, etc.) apparaît comme un acte réel de maltraitance, tel ne serait pas nécessairement le cas lorsqu’une personne refuse la mise en place d’un traitement thérapeutique lourd et onéreux sur son animal sans avoir de réelles certitudes quant aux résultats, notamment lorsque ce traitement est susceptible d’engendrer des souffrances importantes.

Dans le même sens, la dimension économique de la médecine vétérinaire, même si cela peut choquer, vient nécessairement bouleverser les contours de la maltraitance, et c’est là que se situe la principale différence avec la médecine humaine. Ainsi, un refus de soin sur un enfant pourra conduire à une saisine quasiment systématique des services sociaux pour maltraitance, alors qu’un refus de soin d’un animal pour raisons économiques n’entraînera pas nécessairement de sanction pénale, notamment si le propriétaire accepte la mise en place de traitements alternatifs peu onéreux pour soulager l’éventuelle douleur de l’animal.

Toutefois, ce n’est pas sur ces cas flirtant entre la limite de la maltraitance et du consentement que les praticiens seraient amenés à réaliser un acte de dénonciation auprès des autorités judiciaires ou encore auprès d’un tiers, mais bien sur les cas classiques de maltraitance.

Le poids du secret professionnel…

Les règles déontologiques de la profession de vétérinaire imposent un secret professionnel aux praticiens qui sont donc tenus de garder confidentiel l’ensemble des informations qui leur sont confiées, mais également celles relatives à l’état de santé de l’animal1. Comme toutes les professions soumises à un tel secret professionnel, sa violation constitue une infraction pénale. À ce titre, l’article 226-13 du Code pénal dispose que « la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 d’amende ». Néanmoins, le secret professionnel n’est pas absolu, le Code pénal2 prévoit plusieurs hypothèses dans lesquelles il peut être levé, bien qu’aucune ne concerne directement les vétérinaires3. De plus, certains impératifs déontologiques permettent également aux vétérinaires de se soustraire aux obligations découlant du secret professionnel, à savoir :

- l’obligation d’information du préfet en cas de suspicion ou de la présence d’une maladie à plan d’urgence ou d’un danger sanitaire de la première ou de la 2e catégorie, ou d’une maladie, pour laquelle l’autorité administrative a pris des mesures tendant à recueillir des informations épidémiologiques4.

- des manquements à la réglementation relative à la santé publique vétérinaire qu’ils constatent, si ces manquements sont susceptibles de présenter un danger grave5.

Il résulte donc de la combinaison de l’ensemble de ces dispositions qu’un vétérinaire est tenu au secret professionnel sauf en cas de danger sanitaire avéré ou de manquements à la santé publique vétérinaire. Dès lors, une lecture stricte des textes ne lui permet donc pas de dénoncer d’éventuels actes de maltraitance qu’il pourrait rencontrer dans le cadre de son exercice au quotidien. Une telle dénonciation, qu’elle intervienne auprès des autorités administratives, judiciaires ou d’un tiers (association de protection des animaux, par exemple), constitue un délit. Ainsi, le vétérinaire qui dénonce un tel cas de maltraitance violerait le secret professionnel et s’exposerait à l’engagement de poursuites judiciaires à son encontre tant sur un plan pénal qu’ordinal.

… soumis à l’interprétation des textes

Néanmoins, un tel constat peut être nuancé en effectuant une interprétation plus libre des textes. En effet, depuis l’ordonnance n° 2015-953 du 31 juillet 2015 relative à la réforme de l’Ordre des vétérinaires, l’article L.242-1 du Code rural et de la pêche maritime prévoit que l’Ordre participe « à toute action dont l’objet est d’améliorer la santé publique vétéri naire, y compris le bien-être animal ».

Ainsi, pour certains, le bien-être animal est incorporé à la santé publique vétérinaire, impliquant que les cas de maltraitance pourraient être portés à la connaissance du préfet en application de l’article L.203-6 du Code rural et de la pêche maritime.

En outre, il pourrait être également soutenu sur le fondement des exceptions prévues par le Code pénal, bien que celles-ci ne font pas référence aux animaux mais aux personnes, que l’animal étant en incapacité de dénoncer lui-même les actes de maltraitances qu’il subit, il appartient aux vétérinaires, comme les médecins s’agissant des enfants ou des personnes vulnérables, de dénoncer les actes de maltraitance.

Cependant, un tel raisonnement doit être nuancé, pour au moins deux raisons. Premièrement, ce raisonnement n’a à ce jour pas été porté devant les juridictions. Dès lors, faute de jurisprudence topique en la matière, il n’est pas possible d’identifier si le juge procédera à une lecture stricte et rigoureuse des textes ou, au contraire, à une interprétation plus souple. Par conséquent, le risque d’une condamnation pénale demeure en cas de dénonciation par un vétérinaire qui ne respecterait pas le secret professionnel. Deuxièmement, comme le précise l’article précité, seuls les manquements relatifs à la santé publique vétérinaire présentant un danger grave pour les personnes ou les animaux peuvent être dénoncés. Là encore, un curseur devra être placé sur cette notion de « grave », car la frontière est parfois difficile à définir. Par exemple, la gravité est-elle constituée dès lors que l’animal souffre ou faut-il un risque pour sa vie ? Là encore, faute de jurisprudence, une grande prudence est de mise.

Faire preuve de pédagogie

Dans le cadre de la réalisation de cet article, trois vétérinaires (deux en zone urbaine et une en milieu rural, tous en région parisienne) ont accepté de répondre à différentes questions sur le sujet de la maltraitance, sous couvert d’anonymat. Il ressort de ces échanges qu’ils ne connaissent pas exactement les règles applicables, dénonçant un manque de formation sur le sujet. Par ailleurs, il peut être précisé que les cas de maltraitance avérés ne sont que très rarement rencontrés par ces différents praticiens : moins d’un cas par an en moyenne. Un tel chiffre est aisément compréhensible : l’individu qui maltraite un animal ne le présente pas forcément à un vétérinaire à la suite de ses agissements. Sur la gestion de ces cas, tous ont précisé qu’ils ont avant tout recours à la pédagogie. En effet, des cas de maltraitance sont parfois dus à une simple méconnaissance de l’animal ou à un problème familial. Par exemple, il est arrivé que l’animal soit maltraité par les enfants, sans que les parents s’en aperçoivent. Ici, la pédagogie peut suffire à régler les problèmes. Une telle démarche pédagogique est à encourager ; elle est en parfaite conformité avec les règles déontologiques et le secret professionnel.

Entre respect de la loi et cas de conscience

Dans les autres cas, différentes pratiques, pas toujours respectueuses des règles déontologiques, ont été mises en œuvre afin de garantir la sécurité de l’animal. La plus courante, énoncée par les praticiens interrogés, se traduit par la dénonciation auprès d’une association de protection animale, afin que celle-ci puisse réaliser une enquête approfondie et procéder ensuite à la saisine des autorités. Si cette pratique est contraire au secret professionnel dès lors que des informations confidentielles sont révélées à un tiers, elle présente néanmoins le mérite de permettre de réaliser une enquête pouvant aboutir à un processus judiciaire afin de réprimer les auteurs de maltraitance, mais surtout de protéger l’animal impliqué.

Certains ont opté pour une décision plus radicale, procédant à la saisie de l’animal. Dans un cas de demande abusive d’euthanasie, l’animal a seulement été anesthésié puis placé dans un autre foyer. Là encore, si la pratique permet de préserver l’intégrité de l’animal et d’éviter sa mise à mort ou son abandon, il s’agit d’une pratique par laquelle le vétérinaire s’expose à de graves sanctions pénales et ordinales.

En troisième lieu, certains n’hésitent à dénoncer des cas de maltraitance auprès des autorités judiciaires. Afin de justifier une telle dénonciation, ils invoquent un impératif de sécurité sanitaire, l’animal maltraité pouvant devenir dangereux. Là encore, la matière jurisprudentielle n’est pas assez étoffée pour valider une telle pratique.

Un accompagnement des instances professionnelles ?

Par conséquent, il est possible de s’interroger sur le moyen permettant de protéger l’animal tout en respectant les règles déontologiques et légales dès lors qu’il n’est pas permis de lever le secret professionnel de manière totalement sécurisée juridiquement. Sur ce point, l’Ordre des vétérinaires pourrait éventuellement prendre exemple sur d’autres ordres professionnels, notamment celui des avocats. En effet, un avocat confronté à un client lui faisant part de son intention de tuer une personne ne peut le dénoncer auprès des autorités judiciaires sans risque de violer le secret professionnel. Dans une telle hypothèse, l’avocat appelle le bâtonnier, représentant de l’Ordre des avocats, et ce dernier apprécie la nécessité de saisir les forces de l’ordre. Une pratique similaire pourrait être mise en place auprès de l’Ordre : le vétérinaire confronté à un cas de maltraitance pourrait en informer son ordre professionnel sans violer le secret professionnel, celui-ci ne s’appliquant pas entre confrères ; ensuite, le cas échéant, l’Ordre se chargerait d’en informer les autorités judiciaires. Une telle solution présenterait le mérite d’apporter un véritable soutien juridique au praticien, mais également de mettre fin à des actes parfois d’une violence inouïe sur les animaux.

1 Article R.242-33 du Code rural et de la pêche maritime.

2 Article 226-14 du Code pénal.

3 Ces exceptions concernent les violences sur les mineurs ou personnes en incapacité physique ou psychique de se défendre, ou encore lorsque la vie d’une personne est menacée.

4 Article L.223-5 du Code rural et de la pêche maritime.

5 Article L.203-6 du Code rural et de la pêche maritime.

DÉFINITION

En droit, la maltraitance animale est définie à l’article 521-1 du Code pénal comme « le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou tenu en captivité. [Elle] est punie de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende »1. Dans les cas de maltraitances avérés, le juge peut également prononcer, à titre de peine complémentaire, une interdiction définitive ou non de détenir un animal et confisquer celui-ci afin qu’il soit remis à une fondation ou à une association de protection animale. Les juges deviennent de plus en plus sévères sur l’application de ce texte, une peine de prison ferme étant de plus en plus souvent prononcée dans les cas les plus graves. Cette politique judiciaire s’inscrit dans la réforme globale du statut de l’animal au sein de la société.

1 Ces peines sont également encourues en cas d’abandon d’un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité.