CONFÉRENCE
PRATIQUE CANINE
Formation
Auteur(s) : MYLÈNE PANIZO
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont utilisés quotidiennement par le praticien pour leurs rôles analgésique et anti-inflammatoire. Ils peuvent entraîner de graves effets secondaires, qu’il convient de bien connaître afin de les prévenir, de les diagnostiquer précocement, et de les traiter efficacement.
Les AINS inhibent la cyclo-oxygénase (COX), enzyme intervenant dans la synthèse de molécules pro-inflammatoires. Celle-ci possède deux isoformes : COX-1 et COX-2, à la fois constitutives et protectrices dans différents tissus, et induites lors d’inflammation, de fièvre ou de lésions tissulaires. C’est l’inhibition de ces COX, et en particulier des COX-1, qui explique les principaux effets secondaires des AINS. Ces derniers sont répartis en trois catégories : les non-sélectifs COX-1 et COX-2 (aspirine, kétoprofène, piroxicam), les agents préférentiels COX-2 (carprofène, méloxicam, acide tolfénamique) et les agents sélectifs COX-2 (ou coxibs). Aux doses thérapeutiques, l’efficacité et les effets secondaires des AINS sont variables selon les espèces, mais aussi en fonction des individus.
L’administration d’AINS est la première cause d’ulcères digestifs chez le chien. Leur nature acide faible irrite par contact la muqueuse du tube digestif. De plus, l’inhibition des COX-1 induit une diminution de la perfusion gastro-intestinale (ce qui entraîne une altération de la muqueuse gastrique), et l’inhibition des COX-2 empêche la synthèse de prostaglandines protectrices intervenant dans la cicatrisation des ulcères gastriques. Les agents préférentiels COX-2 présentent moins de risques digestifs que les autres types d’AINS.
Des vomissements et des diarrhées sont les premiers signes cliniques qui apparaissent rapidement après l’ingestion (entre 2 et 6 heures). Plus tard (entre 12 heures et 4 jours), une anorexie, des saignements digestifs et des ulcères peuvent survenir. Cependant, il a été constaté que jusqu’à 15 % des chiens présentant des ulcères digestifs n’ont pas de signes cliniques associés.
À l’examen clinique, la palpation transrectale peut mettre en évidence du méléna ou du sang frais. Lors de saignements digestifs aigus, une numération et formule sanguines peut révéler une anémie normocytaire normochrome, associée à une diminution des protéines totales et à une urémie élevée. Lors de saignements chroniques, une anémie microcytaire hypochrome associée à une thrombocytose peut être constatée. Lors de perforation digestive et de péritonite, une leucocytose est fréquemment observée. L’échographie ou l’endoscopie permettent de visualiser des ulcères, en général pyloriques ou duodénaux proximaux.
Le traitement des ulcères gastriques nécessite l’arrêt immédiat des AINS, l’administration d’anti-acide, préférentiellement des inhibiteurs de pompe à protons (oméprazole, par exemple), et de gastroprotecteurs (sucralfate). En cas d’altération de l’état général, la mise en place d’une fluidothérapie est nécessaire. Lors de prise en charge précoce, le pronostic de guérison est meilleur : une ulcération gastro-intestinale peut mettre quelques jours à cicatriser, jusqu’à plusieurs semaines. Chez des animaux ayant des lésions digestives préexistantes, la prescription concomitante d’un anti-acide avec un AINS est indiquée. Le fait d’administrer les AINS avec un repas afin de réduire le risque d’effets indésirables gastro-intestinaux est actuellement controversé.
Les AINS diminuent le débit de filtration glomérulaire, ainsi que l’excrétion de sodium et d’eau, et inhibent la synthèse des prostaglandines protectrices rénales induites par les COX.
Les AINS sont à éviter en cas d’hypovolémie ou de déshydratation, de maladie rénale chronique, d’insuffisance cardiaque congestive, de cirrhose, d’hyponatrémie et d’hypotension. En l’absence de ces facteurs, le risque de survenue des effets délétères rénaux est faible.
Les signes cliniques apparaissent généralement dans les 12 à 24 heures après l’administration d’AINS, et plus rarement dans les 3 à 5 jours. Ils se manifestent par une polyuro-polydipsie, une anorexie et des vomissements, pouvant être associés à une déshydratation et à une léthargie. Lors d’oligurie ou d’anurie, le pronostic est sombre. En cas de néphrotoxicité, les paramètres rénaux (urée, créatinine) sont généralement élevés. À l’analyse d’urine, une isosthénurie, une glucosurie, une hématurie, ainsi que la présence de cylindres granuleux peuvent être détectées.
En cas de décompensation rénale, il est nécessaire d’arrêter le traitement aux AINS, de mettre en place une fluidothérapie intraveineuse de 1,5 à 2,5 fois le débit d’entretien (à ajuster notamment selon la diurèse). Celle-ci doit être poursuivie jusqu’à stabilisation, voire diminution des paramètres rénaux, et la reprise spontanée d’appétit. Dans les cas graves, une hémodialyse est indiquée. Chez les chiens, la dobutamine ou la dopamine en perfusion à débit constant peuvent améliorer la fonction rénale.
Les AINS sont pour la plupart métabolisés par le foie. L’hépatotoxicité est rare et observée uniquement chez le chien. Elle dépend des sensibilités individuelles et elle est aggravée par un processus dysimmunitaire. Une augmentation de l'activité des enzymes hépatiques avant traitement ne semble pas être un facteur de risque d’apparition d’une hépatotoxicité. Les effets hépatiques apparaissent en général dans les 2 à 4 semaines après le début du traitement aux AINS. Une augmentation importante de l’activité des alanine aminotransférases (Alat), puis des phosphatases alcalines (PAL) est constatée. En cas de suspicion de toxicité hépatique, il convient d’arrêter les AINS, de mettre en place une fluidothérapie et d’administrer un protecteur hépatique.
- Effet sur la coagulation : en réponse à une inflammation, les COX-1 induisent la synthèse de molécules participant à l’agrégation plaquettaire. Les signes cliniques sont rares. Pour les animaux à risque (par exemple, ceux atteint de la maladie de Von Willebrand), il est préférable d’utiliser des anti-COX-2. À l’inverse, mieux vaut privilégier l’utilisation des anti-COX-1 chez les animaux présentant une hypercoagulabilité.
- Des cas isolés de thrombopénie, d’anémie hémolytique, de nécrose de la moelle osseuse et de vasculite ont été constatés à la suite de l’administration d’AINS. Un ralentissement de la cicatrisation osseuse a été observé dans des études expérimentales seulement.
Afin de limiter les effets indésirables des AINS, il convient de prescrire la dose minimale thérapeutique, basée sur le poids idéal de l’animal. Ce dernier doit être normohydraté. Il convient d’informer le propriétaire des signes cliniques pouvant survenir après l’ingestion et de la conduite à tenir le cas échéant. Pour les animaux présentant des facteurs de risque, un bilan sanguin, ainsi qu’une analyse d’urine sont conseillés, et la dose d’AINS doit être d’emblée diminuée. Il est recommandé d’attendre au moins 1 semaine entre deux traitements aux AINS. Ceux-ci ne doivent pas être administrés en même temps que des corticoïdes. Les AINS sont à prescrire avec beaucoup de précaution lors d’administration concomitante avec de la spironolactone, de l’aspirine et du furosémide.
•