DOSSIER
Auteur(s) : MARINE NEVEUX
« Les bienfaits sociaux et thérapeutiques de l’interaction animal/homme » étaient le thème de la séance solennelle de l’Académie vétérinaire de France, qui s’est déroulée le 18 avril. La condition animale permet, dans le rapport avec l’humain, des échanges réciproques et des collaborations mutuelles. Le sujet est vaste et les approches variées, avec en exergue la question de la preuve scientifique des bénéfices. Extraits.
L’interaction animale et homme s’inscrit aussi dans le concept “Une seule santé”. La relation entre l’homme et l’animal a commencé il y a bien longtemps. « L’homme et le chien ont coévolué dans une relation fondée sur des échanges réciproques et des collaborations mutuelles », constate notre confrère Jean Houin, président de l’Académie vétérinaire de France, en ouverture du colloque « Les bienfaits sociaux et thérapeutiques de l’interaction animal/homme », organisé en avril au sein de l’École nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA). Aujourd’hui, la thérapeutique, avec l’assistance de l’animal qui joue le rôle de médiateur, est une réalité, avec des facettes variées et des approches qui restent encore à consolider. Cette journée, organisée par Éric Poudelet, président de la section santé publique vétérinaire-productions animales de l’académie, Michel Germain, professeur de chirurgie au collège de médecine des hôpitaux de Paris, et Yves Le Floc’h Soye, socioanthropologue, a permis de soulever des réflexions intéressantes.
«“La zoothérapie existe, je l’ai rencontrée”, a écrit dans son ouvrage L’Animal médecin (2005), le P r Charles Pilet, ex-directeur de l’ENVA, président honoraire de l’Académie nationale de médecine et de l’Académie vétérinaire de France », rappelle Yves le Floc’h Soye en ouverture du colloque. « Modèle relationnel positif avec Homo sapiens, l’animal est un confident, un soutien émotionnel, affectif, cognitif, depuis le plus jeune âge jusqu’à l’autre extrémité de la vie et peut apporter sa contribution à sa santé », poursuit-il. La zoothérapie s’appuie « sur l’un des plus anciens et des plus constants phénomènes naturels : le lien étroit qui se tisse entre l’être humain et l’animal. Elle désigne les diverses activités et interventions thérapeutiques réalisées et facilitées avec l’assistance d’un animal jouant un rôle de “médiateur” dans le but d’améliorer la santé mentale ou physique d’une personne ou sa qualité de vie. Bien entendu, le thérapeute n’est pas l’animal mais l’intervenant humain ». Plusieurs exemples l’illustrent.
Le Pr Michel Germain, chirurgien, témoigne de l’expérience menée dans un centre équestre avec le cheval et des enfants autistes en activité : les améliorations portent sur l’attention, la concentration, la mémoire.
Martine Hausberger, chercheuse au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) de Rennes 1 (Ille-et-Vilaine), a mené des travaux sur l’autisme et le cheval avec Marine Grandgeorge, enseignante-chercheuse en éthologie animale et humaine à Rennes 1 également. On parle de troubles du spectre autistique (TSA), car l’autisme englobe des troubles très diversifiés : communication altérée, interactions sociales altérées, comportements restreints et répétitifs, etc. « Le syndrome est très présent, et donc on en connaît peu les causes. Il y a aussi beaucoup de comorbidité. »
Classiquement, « lorsqu’un enfant autiste est confronté à des photos d’humains, il regarde la bouche, le bas du visage, tandis qu’un enfant normal observe le regard, explique Martine Hausberger. Face à un animal, les deux enfants considèrent son regard ».
Une enquête récente sur la médiation animale au sein des institutions pour l’autisme montre que plus de 60 % des établissements proposent des activités avec l’animal, majoritairement le cheval. Là encore, on retrouve une diversité d’équidés, de conditions de vie et de profils de personnes. L’idée est émise que le cheval comprend les besoins émotionnels, s’adapte, et est plus positif avec quelqu’un en situation de handicap, mais quelles données scientifiques le prouvent ? L’étude récente la plus rigoureuse est celle de Srinivasan et coll. (2018), explique Martine Hausberger. Les auteurs de cette étude ont analysé 359 articles sur le sujet de la médiation animale. « Quinze publications de niveau acceptable ont été répertoriées, donc il y a, à ce jour, très peu d’informations sur ce sujet. Nous manquons d’évidence scientifique claire, des éléments prometteurs demandent à être approfondis et nous observons beaucoup de contradictions en raison d’aspects méthodologiques. Par exemple, les études reposent surtout sur le remplissage de questionnaires par un tiers qui n’a pas forcément une vision objective. »
En outre, le monde sensoriel d’une personne autiste est inconnu. « Comme ce sont des individus qui n’ont pas accès au langage, ils ne peuvent pas s’exprimer, il existe un risque d’interprétation. » Chez les patients autistes, il y a des difficultés d’évaluation, car ils s’expriment différemment. Par exemple, le sourire peut être l’expression figée d’un stress. « Nous observons aussi avec tout le poids de notre culture, de nos croyances », poursuit Martine Hausberger.
En outre, dans les études, les critères comme le type de patient, l’impact des caractéristiques du cheval, les types d’activité et de vie (institution, en famille, etc.) ne sont jamais pris en compte.
La qualité de l’interaction entre deux interlocuteurs dépend de l’état interne de chacun. Par exemple, un problème de dos chez le cheval peut rendre ce dernier irritable avec l’homme et moins attentif. Identifier l’état de bien-être des animaux qui vont être utilisés en médiation reste ainsi essentiel. « Il convient de choisir d’avoir des pratiques respectueuses, d’augmenter aussi le renforcement positif du cheval. » Un bon critère pour y répondre : le cheval a-t-il envie de venir au travail ?
« Côté humain, les critères sont encore plus mal connus. » Une étude montre que lorsque l’éducateur porte toute son attention sur le chien et non sur l’enfant autiste, c’est le moment ou ce dernier va vouloir le plus interagir avec l’animal. « On nie que ces enfants ont une capacité à adapter leur activité sociale, donc il ne faut pas être trop invasif. »
« En conclusion, optimiser les pratiques veut dire que l’on a besoin de développer les études. Nous manquons d’informations sur les qualités de la personne qui devrait intervenir, le type de troubles, etc. »
Perrine Marseille, psychologique clinicienne à Vannes (Morbihan), témoigne de son expérience de suivi psychologique et d’ateliers à visée thérapeutique avec médiation du chien. « Les enfants et les chiens présentent de nombreuses similitudes, estime-t-elle. Ce sont des êtres dépendants et éduqués par l’homme, de formidables partenaires de jeu. Ils sont dans une communication non verbale. La présence du chien dans l’imaginaire des enfants est importante, ils se sentent très proches des animaux. » En outre, le chien doux et chaud peut représenter l’objet transitionnel pour l’enfant (évolution vivante du doudou). « La seule présence du chien diminue l’anxiété chez l’enfant », et Perrine Marseille fait ainsi appel au chien support pour que l’enfant puisse nommer ses sentiments.
Isabelle Fromantin, infirmière et chef du projet Kdog à l’Institut Curie, est venue présenter sa démarche avec Caroline Gilbert, enseignante à l’ENVA. La détection de maladies par les animaux offre des perspectives importantes (diagnostic non invasif, prétest). « Il faut que cela ait un sens pour les populations et les malades, explique Isabelle Fromantin. Les intérêts sont aussi de pouvoir trouver la signature olfactive de certaines maladies. Une exigence scientifique est requise, et l’exigence que cela marche. L’interdisciplinarité doit vraiment nourir ces travaux. »
Comme l’explique Caroline Gilbert, « les chiens ont d’excellentes capacités olfactives dues à leur structure anatomique : de 100 à 300 millions de cellules olfactives (100 fois plus que l’homme). La conformation des narines leur permet de ne pas brouiller les messages en flairage (l’air ne transite pas par la muqueuse respiratoire) entre l’air entrant et l’air sortant ». La muqueuse olfactive est capable de se régénérer en fonction de ce qu’elle a senti. Le chien présente aussi des capacités d’apprentissage très développées. Dans le domaine de l’odorologie, les chiens sont entraînés pour reconnaître des odeurs : recherches de personnes, d’explosifs, de maladies (aujourd’hui, le chien peut repérer des diabètes). On pense que le chien détecte les composés volatiles associés aux maladies. S’agissant des cancers, pour la détection du cancer du poumon, le chien a une sensibilité de 71 à 85 % et une spécificité de 92 à 100 % ; pour le cancer du sein, la sensibilité est de 75 % et la spécificité de 85 %.
Dans le cadre du projet Kdog à l’Institut Curie, Isabelle Fromantin va expérimenter la détection par le chien à l’aide d’une compresse qui a été posée sur le sein d’une femme durant une nuit. L’étude clinique devrait démarrer à l’automne. « Il faut que le chien en soit capable avec une constance de résultats. Les résultats doivent être excellents pour que ce soit valable ». Le projet implique la coopération quotidienne de cynophiles, de cliniciens, de vétérinaires, d’éthologues, de chercheurs. « La transdisciplinarité est impérative, alliée à un grand respect du travail de chacun. »
Marie-Claude Lebret a fondé l’association Handi’chiens, inspirée du concept américain de Canine Companions for Independence (CCI), née en 1975 aux États-Unis. En 1986, Marie-Claude Lebret importe le concept en France et crée l’Anecah (nommée Handi’chiens depuis 2005). Handi’chiens travaille avec des goldens retrievers et des labradors, les chiens sont formés dans quatre centres pendant deux ans. « Nous choisissons ces chiots de plus de 2 mois chez des éleveurs ou des particuliers. Ils sont placés dans des familles d’accueil bénévoles pour les socialiser et apprendre une trentaine de “commandes”. Les familles d’accueil sont suivies par des délégués opérant sur toute la France, encadrés par une directrice nationale », explique Marie-Claude Lebret. Les étudiants des écoles vétérinaires sont familles d’accueil et aident à éduquer des chiots. Le chien entre dans un centre de formation où il reçoit une éducation pendant six mois. « On commence a l’aiguiller vers un certain nombre de profils de futurs bénéficiaires : personnes tétraplégiques, paraplégiques, handicapées à la suite d’accidents de voie publique, de plongée, personnes atteintes de myopathie, de sclérose en plaque, etc. »
Un chien d’éveil peut être confié aux parents d’enfants trisomiques, ou atteints de troubles autistiques, à des adultes aussi. « Le chien entoure, rassure, enveloppe la personne qui peut avoir des activités. »
Handi’chiens forme aussi des chiens d’assistance d’accompagnement social (confiés à des infirmières, à des kinésithérapeutes, à des médecins, etc.).
« Récemment, nous avons remis un chien d’assistance judiciaire, ce travail est mené avec un procureur de la République : le chien accompagne des enfants victimes d’affaires très graves dans des auditions judiciaires. Les officiers judicaires ont appris à observer le chien et l’enfant. Lorsque ce dernier a passé du temps avec le chien, il devient un compagnon sur lequel il peut s’appuyer ». Cela favorise les témoignages.
Robert Kohler, directeur d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ephad) et président d’Handi’chiens, explique « qu’en fonction de l’âge, notre cercle de proches disparaît. Une de nos particularités est d’apporter, via l’animal, de l’affection aux personnes ». Les structures accueillent aujourd’hui des personnes de plus en plus dépendantes et âgées. Le temps de séjour moyen est de 27 mois. 74 % des résidents en maison de retraite sont atteints de la maladie d’Alzheimer.
Ces maisons de retraite sont des lieux de vie : « Une nouvelle culture est basée sur le lien social, les besoins physiologiques et les besoins de se réaliser, la vie et l’épanouissement des résidents, donner du sens, du désir et du plaisir, des “passions ordinaires” ».
Pourquoi un chien en Ephad ? La première structure médicosociale qui a accueilli un chien en Alsace a montré que l’animal fait surgir spontanément des sentiments d’affectivité, de sensibilité, et d’attachement. « Mais le chien attise des craintes pour un directeur, reconnaît Robert Kohler. C’est une gestion de projet qui combat la mort des résidents et la routine des personnels ». Cela permet de combler un manque d’affection qui fait défaut dans les maisons de retraite. C’est aussi une question éthique, une réflexion sur les moyens de parvenir au bonheur et à la paix de l’âme (pensée grecque). « Le chien nous ramène dans la vie. La grande question, c’est la vieillesse, et l’animal nous permet de l’aborder de façon majestueuse », estime Robert Kohler.
« On passe du malade objet au malade sujet. On parle de qualité de vie et non de quantité. (…) Aujourd’hui, dans les maisons de retraite, nous avons à construire un continuum de vie. »
Des effets bénéfiques, tels qu’une influence sur la tension artérielle, un taux de survie plus important en service de cardiologie et un impératif de guérison plus rapide (retour à domicile pour s’occuper de l’être cher), sont aussi observés.
L’animal apporte une affection inconditionnelle. Un changement d’attitude est aussi noté en présence d’un animal (« les gens vous regardent »). Cela permet de socialiser des personnes en état de handicap.
En prévention, l’animal permet le maintien d’une activité physique. Les soins sont plus faciles aussi lorsque l’infirmière rentre avec le chien.
François Bricaire, professeur à l’hôpital Pitié-Salpêtrière, a abordé les échanges homme-animal sous l’angle « du bon, du moins bon ». « En matière de bien-être et de sociologie, il y a beaucoup de bon pour l’homme, assure-t-il. L’animal sert aussi à la science, beaucoup de résultats sont obtenus en science grâce aux animaux. »
Le chien aide au diagnostic : détection d’odeurs, de cancers, de diabète/et d’éventuels accidents d’hypoglycémie, prévention des crises comitiales, etc. Les crises de paludisme pourraient aussi être détectées avec l’odeur des chaussettes !
Le positionnement de la zoothérapie est celle d’une thérapie alternative, d’une thérapie complémentaire, avec des difficultés pour apporter des preuves scientifiques. « Les travaux sont difficiles à mettre en place, les méthodes complexes et souvent contestées », reconnaît François Bricaire.
Comment l’animal peut-il aider l’homme ? Il permet la relaxation, agit comme un antistress, aide aux changements émotionnels et sociaux, favorise la stimulation multisensorielle, les exercices, les jeux, les contacts, etc.
En cas de maladie cardiovasculaire, il est noté une diminution de la tension artérielle, en caressant un chat, et une baisse des rechutes d’infarctus du myocarde. Sur l’appareil locomoteur, l’animal apporte une aide. En pédiatrie, il a été observé des guérisons plus rapides avec un animal et un retour à la maison. L’étude des troubles de l’humeur montre que le ronronnement du chat a un effet positif sur la dépression.
« Une étude australienne sur l’économie de la santé auprès des médecins généralistes révèle que les propriétaires d’animaux dépensent moins ! ».
Le « moins bon » de l’animal, selon François Bricaire, ce sont les risques d’agressions, de morsures, de griffures, d’allergies, etc. Et le moins bon infectieux pour l’homme, ce sont des agents pathogènes communs. Des interrogations auxquelles la profession vétérinaire aura toute pertinence à répondre.
•
LES ANIMAUX DANS LES STRUCTURES DE SOINS
L’ÉQUITHÉRAPIE