DROIT
ÉCO GESTION
Auteur(s) : JEAN-PIERRE KIEFFER
La convention de forfait annuel en jours est une dérogation à la durée légale du travail. Des particularités de ce contrat doivent être connues pour éviter des écueils parfois lourds de conséquences.
La convention de forfait annuel en jours permet à un salarié cadre autonome disposant d’une réelle autonomie dans l’organisation de son emploi du temps, de travailler selon un nombre forfaitaire de jours.
Le Code du travail prévoit que le recours au forfait jours n’est possible que si une convention collective l’autorise expressément (article L.3121-63).
Un contrat de travail spécifique doit être conclu avec le salarié dans les conditions précisées par la convention collective (n° 3332) et le Code du travail. La durée du temps de travail n’est pas comptabilisée en heures, le salarié est tenu de travailler un certain nombre de jours dans l’année. Il n’est pas soumis à la durée légale de travail hebdomadaire (35 heures) et aux durées maximales quotidienne (10 heures par jour) et hebdomadaire (48 heures au cours d’une même semaine). Il ne relève pas des dispositions relatives aux heures supplémentaires. Mais ce salarié continue de bénéficier des garanties légales prévues en matière de repos quotidien (11 heures) et hebdomadaire (24 + 11 heures), de congés payés et de jours fériés chômés dans l’entreprise.
La convention collective fixe le nombre maximal de jours travaillés compris dans le forfait et définit la rémunération minimale en fonction de l’échelon. La convention collective n° 3332 précise que le forfait établi sur l’année ne pourra pas être supérieur à 216 jours travaillés, journée de solidarité comprise. Ce nombre de 216 jours tient compte de 104 samedis et dimanches, de 25 jours ouvrés de congés payés, des 8 jours fériés ne tombant ni un samedi ni un dimanche et de l’octroi de 12 jours de repos. Ce nombre est fixe, indépendamment du calcul exact selon les années.
Le salarié rémunéré au forfait annuel en jours a droit, comme tout salarié, aux congés payés qui sont pris dans les 149 jours non travaillés. Le coefficient conventionnel pour chaque échelon intègre l’indemnisation des congés payés, qui ne seront donc pas à payer en plus. Seuls les jours travaillés sont rémunérés, les autres jours sont des jours de repos.
Le salarié qui a été absent une partie de l’année ne bénéficie pas de 25 jours ouvrés de congés, mais au prorata temporis. Ainsi un salarié qui n’aura travaillé que 6 mois, n’aura acquis que 25/12 x 6, soit 12,5 jours. De ce fait, le calcul du nombre de jours travaillés ne se fera pas sur 216 jours, mais sur 216 + 12,5, soit 228,50 jours. Ce qui correspond, pour une période de 6 mois, à 114,25 jours et non à 108 jours. La rémunération minimale du salarié sera calculée sur la base de 108 jours, mais il devra effectuer 114,25 jours.
La chambre sociale de la cour de cassation a récemment confirmé qu’un salarié au forfait, dont le nombre de jours est inférieur à celui fixé par la convention collective, ne peut pas être considéré comme travaillant à temps partiel. Le litige portait sur le recours d’un salarié au motif que son contrat ne prévoyait pas les mentions obligatoires d’un contrat à temps partiel, comme la durée de travail hebdomadaire ou mensuelle et la répartition entre les jours de la semaine ou les semaines du mois (article L.3123-6 du Code du travail).
Le salarié, qui a conclu une convention de forfait pour un nombre de jours inférieur à la durée maximale légale ou conventionnelle, ne peut pas prétendre à la requalification de son contrat en temps plein, en se prévalant de la méconnaissance des règles relatives aux mentions du contrat à temps partiel (chambre sociale de la Cour de cassation n° 16-23-800 du 27 mars 2019).
Ainsi, forfait incomplet et temps partiel sont incompatibles. Cela a des conséquences sur le calcul de certaines cotisations sociales et de retraite.
Pour neutraliser le supplément de cotisations plafonnées d’un salarié à temps partiel dont la rémunération ramenée à un temps plein dépasserait le plafond de la Sécurité sociale, les cotisations plafonnées sont calculées dans la limite d’un plafond proratisé (article L.242-8 du Code de la Sécurité sociale).
Un salarié bénéficiant d’une convention de forfait inférieur à la durée maximale légale ou conventionnelle n’ouvre pas droit à l’abattement du plafond de la Sécurité sociale. L’article R.242-11 du Code de la Sécurité sociale subordonne l’application de l’abattement à la production d’un état joint à la déclaration nominative annuelle faisant apparaître le nombre d’heures accomplies. La production d’un tel document n’est évidemment pas possible au vu du mode de décompte du temps de travail des forfaits jours.
Travailler à temps partiel peut réduire le nombre de points acquis dans les régimes complémentaires, et donc ensuite le montant de la pension de retraite, tout dépend de la façon dont est décompté le temps de travail. Le cadre en forfait jours incomplet est défavorisé par rapport au cadre à temps partiel. À salaire égal, le premier cotise plus que le second, mais acquiert moins de droit pour ses retraites complémentaires. Sachant que, pour les cadres, les retraites complémentaires représentent la majeure partie de leur pension, le forfait annuel est désavantageux.
En vue d’assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié, le Code du travail précise les conditions d’application du forfait jours. L’employeur doit procéder régulièrement au contrôle de la charge de travail du salarié, afin qu’elle soit compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires. L’employeur doit également organiser une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, ainsi que sa rémunération. Enfin, l’employeur doit établir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l’employeur, ce document peut être renseigné par le salarié.
Concernant la durée de travail accomplie par le salarié, le Code du travail dispose qu’en cas de litige, c’est l’employeur qui doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires permettant une bonne répartition dans le temps du travail du salarié.
La jurisprudence constante de la Cour de cassation considère que le non-respect par l’employeur de son obligation de contrôler la charge de travail des salariés prive d’effet la convention de forfait. La conséquence est que le salarié peut exiger le paiement d’heures supplémentaires. Des défaillances dans l’application du contenu du document de contrôle rédigé par l’employeur aux termes de l’article L.3121-65 du Code du travail auraient les mêmes conséquences.
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