DOSSIER
Auteur(s) : LORENZA RICHARD
Dès la fin de leur cinquième année d’étude, les étudiants vétérinaires doivent soutenir leur thèse d’exercice, qui leur confère le titre de docteur vétérinaire. Des confrères, dont l’anonymat est conservé, déplorent que les jeunes diplômés ne puissent exercer pleinement leur profession avant la soutenance de leur thèse et se demandent si cette épreuve peut être repensée, ou même supprimée, à l’heure de l’uniformisation européenne. La thèse doit-elle être réformée ? Différents acteurs de la profession nous donnent leur avis.
En France, la soutenance de la thèse d’exercice confère le titre de docteur vétérinaire et permet d’exercer la médecine et la chirurgie des animaux, sous statut libéral ou salarié1. Si l’exercice est depuis longtemps adopté par la profession, quelques réticences sont parfois émises par des confrères, concernant les modalités de soutenance de la thèse. Certains proposent qu’elles soient modifiées. Un non-sens pour les personnes interrogées qui témoignent unanimement de leur attachement à la thèse, qui est liée à l’obtention historique du titre de docteur vétérinaire et a un intérêt pédagogique et scientifique. « Les vétérinaires ont longtemps souffert d’un manque de reconnaissance. Pour s’élever socialement, ils ont cherché à côtoyer les médecins, par exemple en s’insérant dans l’Académie royale de médecine en 1820, et en les mimant. La thèse a été un combat majeur de cette lutte pour l’ascension sociale, durement acquise, qui a permis la reconnaissance de la profession vétérinaire et son accès à la notabilité », explique Christophe Degueurce, directeur de l’École nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA, Val-de-Marne). Jérôme Coppalle, sous-directeur de l’enseignement supérieur à la Direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER), complète : « La thèse de doctorat vétérinaire a été créée par la loi du 31 juillet 1923, qui est encore en vigueur. Elle est fondatrice pour la profession, car elle contribue à ce que le vétérinaire soit considéré en France comme une profession de santé. Dans la hiérarchie culturelle et symbolique des diplômes, celui de vétérinaire est considéré comme égal à celui de médecin. Ce n’est pas le cas partout et cela ne va pas de soi dans certaines cultures, en raison du sta tut moindre accordé à l’animal. » Des vétérinaires qui apparaissent ainsi comme de véritables professionnels de santé, comme le confirme Jacques Guérin, président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV) : « Le titre de docteur vétérinaire est décerné par une faculté de médecine, et il arrime solidement les vétérinaires aux professions de santé avec lesquelles ils partagent une approche commune d’une seule santé. »
Pour le président de l’Ordre, la thèse reste essentielle dans le parcours des étudiants : « Elle est l’aboutissement d’une formation longue et difficile. Sa soutenance est le révélateur de la capacité des étudiants à anticiper, à se prendre en charge, en un mot, à démontrer leur autonomie. Cette qualité est majeure pour leur futur exercice professionnel. »
Un avis partagé du côté des écoles vétérinaires. Emmanuelle Soubeyran et Jeanne-Marie Bonnet, directrice générale et directrice générale adjointe de VetAgro Sup, à Marcy-l’Étoile (Rhône), sont unanimes : « Notre attachement n’est pas que symbolique. La thèse est un exercice scientifique essentiel. Nous formons des professionnels qui doivent avoir une démarche scientifique solide, confronter les arguments, faire une synthèse. La soutenance, solennelle, est la concrétisation d’une fin de parcours. » Elles ajoutent : « Nous encourageons nos étudiants à publier sous forme d’articles les résultats de leurs travaux de thèse, ce qui valorise leur travail. De plus, pour former des étudiants à la recherche, les thèses expérimentales sont favorisées, via un appel à projets assorti d’un soutien financier aux unités de re cherche. » Pour Isabelle Chmitelin, directrice de l’École nationale vétérinaire de Toulouse (Haute-Garonne), « préparer et soutenir une thèse fait partie intégrante de la formation. Les étudiants conduisent un travail d’analyse et de synthèse. L’exercice permet d’évaluer leur capacité à appréhender une problématique dans une approche qui fait intervenir les compétences et des connaissances acquises au cours du cursus de formation. Restituer devant un jury est également un élément important à l’heure où la communication revêt un caractère essentiel dans l’exercice professionnel. » « La thèse permet de définir et de développer une problématique de bout en bout, ajoute Christophe Degueurce. Elle remet la rédaction à l’honneur, exercice qui n’est pas aisé pour tous car il oblige à une certaine rigueur et fait appel à d’autres qualités que le bachotage souvent demandé. » À Oniris, à Nantes (Loire-Atlantique), Catherine Magras, chargée des projets stratégiques de formation, abonde dans le même sens : « La thèse est un exercice pertinent car elle place l’étudiant en position de comprendre comment les connaissances scientifiques sont construites et produites, sur des faits avérés, et de développer un esprit critique à leur égard. Dans notre profession, ce fort lien au savoir est très important. De plus, les thèses sont des ressources de données scientifiques appliquées, d’un grand intérêt pour le monde vétérinaire. »
Cependant, les détracteurs de la thèse avancent qu’elle n’est parfois pas soutenue dans les délais impartis, et que cela impacte les jeunes vétérinaires, qui ne peuvent répondre à certaines offres d’emploi. Ces arguments sont réfutés. « À Oniris, plus de 70 % des thèses sont soutenues avant la fin octobre, répond Catherine Magras. Environ 3 % des étudiants redoublent en raison, par exemple, de problèmes de santé ou de sujet non abouti. Enfin, un étudiant en moyenne par promotion ne soutient pas sa thèse, car il part sur un autre parcours professionnel ou un doctorat d’université, et ne souhaite pas exercer la médecine vétérinaire. Il n’y a pas de difficulté majeure à faire soutenir les thèses. » Elle ajoute : « Nous les conduisons en mode “projet” : nous laissons du temps à l’étudiant et l’encadrons, en rappelant les échéances du calendrier à respecter. Une soutenance préparatoire d’un mémoire de fin de 5 e année permet à l’étudiant d’être plus serein pour finaliser et améliorer son manuscrit avant la soutenance. La dif ficulté est de trouver une date qui convienne à tous, mais nous bénéficions d’une bonne entente avec la faculté de médecine. Nous rencontrons peu de problèmes pour trouver des présidents de thèse, qui témoignent tous du bon niveau des productions. » Emmanuelle Soubeyran et Jeanne-Marie Bonnet confirment que les étudiants passent leur thèse dans les délais prescrits. « Il est exceptionnel que des dossiers soient repoussés ou refusés, affirment-elles. Nous travaillons avec la faculté de médecine de Lyon pour que l’organisation soit la plus fluide possible, no tamment en regroupant plusieurs soutenances avec le même président le même jour, à la faculté ou dans une salle du campus vétérinaire, pour limiter les déplacements. » Isabelle Chmitelin reconnaît qu’il existe des contraintes en matière de délai et d’organisation des jurys, mais qu’elles ne sont pas insurmontables. « Certains étudiants peuvent occasionnellement rencontrer des difficultés liées au défaut d’anticipation. Dans ce cas nous essayons dans la mesure du possible de trouver des solutions », rassure-t-elle. L’interrogation principale dans les écoles vétérinaires est liée à l’augmentation de la taille des promotions, qui amènera à une adaptation, notamment par une meilleure répartition des encadrements de thèses entre les enseignants, « mais pas au détriment de la production scientifique », précise Catherine Magras.
Hors de questions de remplacer la thèse, comme certains confrères le suggèrent, par un master ou la rédaction d’un mémoire durant la première année d’exercice au risque de dévaloriser le diplôme et de perdre le titre de docteur vétérinaire, à un moment où la profession souhaite se positionner dans de nombreux domaines. « Mettre fin à l’obligation de défendre une thèse ne dispenserait nullement les étudiants de la soutenance d’un mémoire de fin d’études, mais cela aboutirait à la banalisation de cet exercice, dont la forme ressemblerait alors à ceux des écoles d’ingénieurs ou aux masters des universités, affirme Jérôme Coppale. La thèse d’exercice, dont le rite par certains égards pourrait être considéré comme désuet, est à la fois une exigence académique pour ce niveau de diplôme, et le produit d’une histoire et d’une culture. Elle a “noblesse de conférer titre”, avec les droits et les devoirs attenants. Une modification législative n’est pas à l’ordre du jour, d’autant que la plus grande prudence doit présider aux orientations qui pourraient être prises par la profession et les écoles en la matière.
» Jacques Guérin confirme aussi qu’il n’y a pas de débat. « Si la thèse est supprimée, le titre de docteur vétérinaire est supprimé, ce qui est susceptible de rouvrir la question de l’accès partiel à la profession vétérinaire et/ou à la question de la formation en trois ans d’un corps intermédiaire de technicien vétérinaire
». Il poursuit : « Si les vétérinaires veulent conserver leur titre, ils devront
alors soutenir une thèse d’université. Penser que des évo
lutions ou des alternatives seraient possibles est un leurre. Sous la présidence de Christian Rondeau et dans le cadre de l’évolution du cursus initial français pour le rendre “eurocompatible”, un sondage sur cette question avait été conduit par l’Ordre des vétérinaires. Le résultat avait été sans appel
: les vétérinaires souhaitaient dans leur immense majorité conserver la thèse vétérinaire et leur titre. Ils ne comprendraient pas que dans la classification des diplômes, celui de vétérinaire rétrograde au rang de master. Ce sujet n’est donc pas d’actualité pour l’Ordre des vétérinaires. »
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LA THÈSE A “NOBLESSE DE CONFÉRER TITRE”
SOUTENIR À TEMPS
UN EXERCICE À FLUX TENDU