QUI SONT VOS CLIENTS DIFFICILES ? - La Semaine Vétérinaire n° 1812 du 25/05/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1812 du 25/05/2019

L’ENQUÊTE

DOSSIER

Auteur(s) : PAR MARIE DUNAND 

Certains clients sont compliqués à gérer. Ils peuvent même devenir un motif d’arrêt de la pratique. Notre consœur Marie Dunand a ainsi réalisé une enquête auprès de vétérinaires et d’auxiliaires canins pour établir la typologie des profils psychosociaux des clients perçus comme difficiles. Cette étude est l’objet de sa thèse d’exercice de médecine vétérinaire à l’École nationale vétérinaire de Toulouse 4.

Dans la pratique clinique, vétérinaire et auxiliaire sont des professions de service : le propriétaire est un client avec des attentes et des besoins particuliers. Cette relation avec la clientèle est un aspect stressant du métier : elle est citée parmi les trois premières causes de stress professionnel avec la surcharge de travail et les horaires pénibles, mais également les difficultés éthiques et émotionnelles2, 8, 10, 12, 13.

Depuis plusieurs années, la notion de client difficile émerge et illustre les difficultés relationnelles rencontrées par les professionnels, dans tous les milieux. Si des typologies de clients considérés comme difficiles existent dans de nombreux corps de métier, ce n’est pas le cas en médecine vétérinaire. Qui sont ces clients qui stressent, effraient, agacent, perturbent les vétérinaires et les auxiliaires ?

Un ou des clients difficiles ?

Des interviews anonymes ont permis de cerner les caractéristiques sociologiques, comportementales, physiques et verbales des clients4. L’analyse des entretiens a mis en lumière dix profils types de clients difficiles. Il est important de noter que ces profils ne sont en aucun cas des descriptions objectives de personnes réelles, mais bien le ressenti de professionnels face à une multitude de personnalités différentes, regroupées selon leurs traits de caractère principaux (figure 1).

Le plus difficile : l’exigeant-insatisfait

La réponse de 508 auxiliaires (3,63 % des ASV français) et 1 146 vétérinaires (7,82 % des vétérinaires canins français) à un questionnaire en ligne4 a permis d’établir des généralités concernant ces clients, mais également de documenter les réactions et les techniques de gestions des professionnels.

Pour ces derniers, le plus fréquemment rencontré est le client attaché-inquiet (figure 2), tandis que le plus difficile est l’exigeant-insatisfait (figure 3).

La gestion de ces clients

Face à ces clients, les professionnels vétérinaires réagissent de cinq manières différentes (figure 4), illustrant les techniques de gestion de conflit rapportées dans les études1,14.

- La fuite : correspond à la rupture de la relation avec le client, soit en lui signifiant qu’on ne souhaite plus le recevoir, soit en le faisant passer avec un collègue ou en le référant.

- L’adaptation et l’assertivité : le professionnel entend le point de vue du client et le prend en compte dans sa gestion du cas, il cherche la solution satisfaisant le plus grand nombre de critère chez les deux partis.

- La soumission: le professionnel cède aux demandes du client, il se résigne et attend sans réel dialogue la fin de l’interaction.

- Le conflit : le professionnel entre en conflit ouvert, c’est-à-dire qu’on s’oppose aux arguments du client, parfois avec de l’agressivité.

- La manipulation : le professionnel va jouer sur la corde sensible ou détourner des arguments pour convaincre le client et le rallier à son avis.

En fonction du profil rencontré, les techniques de gestion majoritairement utilisée changent : l’attaché-inquiet est principalement géré par adaptation puis manipulation, tandis que le mauvais payeur sera géré à parts égales par la fuite, l’adaptation ou le conflit4.

Des conséquences majeures sur les professionnels

Les sentiments décrits par les vétérinaires et les auxiliaires lors de ces confrontations, tous profils confondus, peuvent être professionnels ou “humains”. Parmi les sentiments “humains” (67,2 % des réactions renseignées), le premier observé est l’agacement, voire la colère, et le second la fatigue. Parmi les sentiments “professionnels” (31,4 % des réactions totales), c’est le stress qui prime devant la remise en question (figure 5).

Ces clients sont donc une source de stress directe, mais sont également générateurs de stress chronique puisque 88 % des professionnels indiquent la persistance d’émotions négatives, à plus ou moins long terme, même après le départ du client4.

Ainsi ils vont provoquer chez de nombreux professionnels un besoin d’échanger avec leurs collègues, notamment dans un but cathartique, de soutien et de détente après un moment difficile émotionnellement (42,5 % des cas). De plus, 40,4 % des discussions sur ces cas sont considérées comme pédagogiques, avec pour objectif de progresser dans la prise en charge de ces clients, grâce à la mise au point de protocoles de gestion harmonisés, par exemple.

Face à ces clients en effet, les professionnels se disent souvent démunis car insuffisamment formés. La formation à la communication et à la relation client a été jugée insuffisante, voire inexistante, par 97,6 % des vétérinaires et 61,5 % des auxiliaires interrogés.

De manière générale, la relation avec les clients semble de plus en plus compliquée pour plus de la moitié des professionnels (55,8 %), et peut même représenter un motif d’arrêt de l’activité de vétérinaire praticien ou d’auxiliaire vétérinaire pour 53,1 % des répondants.

En réponse à ce mal-être, l’Ordre national des vétérinaires a mis en place un outil permettant de recenser les incivilités subies. Mais cet observatoire reste méconnu et peu utilisé, car seuls 7 % des répondants ont déjà rempli le formulaire en ligne pour signaler une difficulté avec un client. Les autres n’en connaissaient pas l’existence ou l’utilité. Une meilleure communication ou un accès facilité à cet outil ne pourront être que bénéfiques .

Une remise en question pour apporter des éléments de réponse ?

Ces clients sont définis et reconnaissables par les vétérinaires et les auxiliaires. Cependant, leurs fréquences, les sentiments provoqués ou les gestions utilisées varient selon les professionnels considérés.

Les auxiliaires rencontrent plus de clients qu’ils considèrent comme difficiles que les vétérinaires. De la même manière, les jeunes vétérinaires et les femmes décrivent des fréquences de rencontre plus élevées. On trouve également des différences dans la manière de gérer ces clients : les femmes optent à 42,8 % pour l’adaptation, contre 36 % des hommes. Les vétérinaires masculins utilisent plus le conflit ou la fuite que leurs consœurs4.

Les clients difficiles ne sont pas exactement les mêmes selon la personne interrogée.

On parlera ainsi de relation difficile, plutôt que de client difficile. Lorenzetti et son équipe de médecins7 ont défini les relations conflictuelles comme reposant sur trois entités et pas seulement sur un animal difficile (figure 6).

Certains contextes sont plus sensibles et favorables à un conflit.

Un décès ou une euthanasie sont évidemment difficiles pour le client qui perd son animal, mais également pour les professionnels. Selon une étude anglaise, 96 % des vétérinaires interrogés n’étaient pas formés à expliquer à un client que son animal était dans un état critique ou en phase terminale d’une maladie9. Mais ces moments sont aussi désagréables et compliqués à gérer pour l’humain derrière le professionnel. En effet, le client buté qui veut une euthanasie de convenance ou refuse une euthanasie de nécessité médicale, place le professionnel face à un dilemme moral et à un conflit de valeur2, 4, 13. Enfin, il est démontré que la gestion d’euthanasie et le fait de côtoyer la mort de manière quasiment quotidienne, même sans conflit apparent avec les propriétaires, est un facteur de stress et de dépression pour les professionnels vétérinaires et auxiliaires, les rendant moins enclins à gérer des relations humaines en parallèle2, 3, 5, 6, 11.

Le rôle d’Internet a également été cité à plusieurs reprises comme générateur de conflit ou de stress pour les professionnels4. Qu’il serve de source d’informations anxiogènes et peu fiables pour les clients, comme le “Dr Google”, ou qu’il laisse planer la menace de bashing (lynchage médiatique en ligne, bien souvent diffamatoire).

Ainsi, il faut prendre conscience que la notion de client difficile est très relative. Il peut apparaître dans certaines situations “à risque”. Le contexte et la manière de présenter un cas, un devis, un avis sont essentiels au bon déroulement d’un dialogue.

Le professionnel fait partie de la relation difficile à parts égales avec le client. Il faut donc se connaître et savoir ce qui nous insupporte pour savoir gérer nos propres réactions face à un autre individu.

En conclusion, certains profils client sont reconnaissables par les professionnels vétérinaires et auxiliaires, qui déclenchent différents types de réactions et de sentiments négatifs ou non souhaités.

Un objectif ultérieur serait de définir des méthodes de gestion adaptée, afin que les professionnels aient des outils pour réagir lorsqu’ils reconnaissent un client. Ces outils sont obtenus grâce à la formation en communication et en relation client, qui semble faire défaut aux auxiliaires et surtout aux vétérinaires.

Bibliographie

1 Bassac E.-M. La communication non verbale entre le vétérinaire et son client lors d’une consultation canine. 2015. Thèse d’exercice, médecine vétérinaire. ENVT.

2 Bertrand A. Les facteurs de stress en cabinet vétérinaire. 2014. Thèse d’exercice, médecine vétérinaire. ENVA.

3 Black A.F., Winefield H.R. et Chur-Hansen A. Occupational stress in veterinary nurses : roles of the work environment and own companion animal. anthrozoös. Juin 2011. Vol. 24, n° 2, pp.191-202.

4 Dunand M. Typologie des profils psychosociaux des clients perçus comme difficiles : enquête auprès de vétérinaires et auxiliaires canins. Thèse d’exercice, médecine vétérinaire. 2018. ENVT.

5 Hansez I., Schins F., Rollin F. Occupational stress, work-home interference and burn-out among Belgian veterinary practitioners, Irish Veterinary Journal. 2008. Vol. 61, n° 4.

6 Kramer M. H. Pros and cons of being a veternary technician. the balance careers [en ligne]. 23 juin 2018 [consulté le 22 août 2018], bit.ly/2MrDilS.

7 Lorenzetti R.C., Jacques C.-M., Donovan C. et coll. Managing difficult encounters : understanding physician, patient, and situational factors. American family physician, 2013. Vol. 87, n° 6.

8 Malvaso V. Le suicide dans la profession vétérinaire : étude, gestion et prévention. 2013. Thèse d’exercice, médecine vétérinaire. VetAgro Sup.

9 Podberscek A. L., Paul E. S., Sepell J. A. Companion animals and us. 2000. Cambridge University Press.

10 Tercinier J. Dialogues d’étudiants alforiens de trois promotions (2015-2017) avec des vétérinaires praticiens. Identification de leurs préoccupations et réactions face à la réalité du terrain. 2017. ENVA.

11 Trouillet S. Burn-out, mal-être : des sujets encore tabous dans la profession. La Semaine Vétérinaire n° 1588 du 6/6/2014, pages 25 à 29.

12 Tupin D. Le syndrome d’épuisement professionnel des soignants ou burn-out chez les vétérinaires. 2005. Thèse d’exercice, médecine vétérinaire. ENVT.

13 Wittke G. Enquête préliminaire sur les risques psychosociaux en cabinet vétérinaire. 4 septembre 2012.

14 Wittke G. Se préparer à la relation client. 2014. Cours ENVT “Relation client”.