ÉLEVAGE
ACTU
Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE
En dépit de la volonté du gouvernement, dès 2016, d’agir contre la désertification des zones rurales par les vétérinaires avec la mise en place d’une contractualisation avec les éleveurs des actes vétérinaires, des freins persistent selon le rapport remis par l’École nationale des services vétérinaires (ENSV).
Face au problème de maillage vétérinaire en zone rurale, la contractualisation des actes réalisés en élevage était l’une des solutions envisagée dès 2016 par le gouvernement1. Or force est de constater que, trois ans après, les travaux en ce sens semblent avoir peu ou pas avancés selon les conclusions du rapport2 remis par l’École nationale des services vétérinaires (ENSV) à la suite de la demande de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL).
Alors qu’à ses débuts le métier de vétérinaire était presque exclusivement destiné au soin des chevaux et des animaux de rente, aujourd’hui moins de 5 000 praticiens déclarent avoir une activité rurale ou mixte, chiffre qui ne cesse de diminuer depuis une quinzaine d’années3. Or, pour encourager et pérenniser l’activité vétérinaire rurale, la proposition d’inciter les collectivités territoriales à investir dans la présence vétérinaire et en faveur de la contractualisation des relations avec les éleveurs faite par le ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt et par le SNVEL, à l’occasion d’un colloque1 organisé en 2016, doit encore être mise en œuvre sur le territoire, selon le rapport.
Pourtant, dans un contexte où « les liens entre éleveurs et vétérinaires se sont distendus : les éleveurs devenant de véritables chefs d’entreprise et les vétérinaires étant de plus en plus considérés comme des prestataires de services parmi d’autres », il s’agit d’un levier d’action intéressant aussi bien pour le vétérinaire que pour l’éleveur. En effet, comme l’a indiqué Joël Limouzin, vice-président de la FNSEA, « dans les élevages de demain, les vétérinaires auront des missions essentielles de suivi sanitaire à jouer, qui passeront notamment par la mise en place de contrats de suivi pour la prévention ». De plus, selon Laurent Perrin, président du SNVEL, « avec l’amélioration de la technicité des élevages, la demande de prévention croissante et l’évolution de la médecine individuelle vers la médecine de troupeau, la rémunération à l’acte n’est plus adaptée, il faut inventer un nouveau modèle de relation commerciale entre vétérinaires et éleveurs ». Et comme il l’a ajouté, ce système sera “gagnant-gagnant”. Par ailleurs, il permet, selon Christophe Brard, président de la SNGTV, « de garantir un suivi sanitaire permanent des élevages et d’avoir une meilleure planification de l’activité des entreprises vétérinaires ; ce peut être également un critère d’attractivité pour embaucher de jeunes confrères ».
Néanmoins, pour le moment, les conclusions du rapport révèlent que la contractualisation n’en est encore qu’à ses balbutiements dans certaines régions. Ainsi, il existe tout d’abord une très grande pluralité dans les contrats existants : ces derniers sont très souvent oraux et, au-delà d’une différence de contenu, les modes de facturation sont très variés selon les régions (au nombre de vaches, aux 1 000 l de lait, mensualisé, annualisé, par trimestre, etc.). De plus, l’accueil de la contractualisation est contrasté, même si le rapport précise qu’« aucun des éleveurs ou vétérinaires s’étant déjà engagés dans une démarche préventive ne reviendrait en arrière ». Selon ce dernier, les vétérinaires ayant une activité rurale prédominante, travaillant dans des structures comptant plus de deux praticiens et dans des régions de fort maillage vétérinaire, seraient les plus favorables à la contractualisation. À l’inverse, pour les autres, les contraintes organisationnelles, l’investissement et la faible plus-value financière restent des freins majeurs à la mise en place de contrats. De plus, comme l’a indiqué Laurent Perrin, il existe une confusion entre la contractualisation et la convention : « Le contrat ou la convention signifie pour beaucoup de vétérinaires une perte de l’aspect libéral de leur activité. Mais si le conventionnement est une cogestion de toute la relation entre un groupe d’éleveurs et une clinique vétérinaire, la contractualisation est une offre de service pour tout ou partie de l’activité que le vétérinaire propose et que l’éleveur peut choisir ou non d’utiliser, les deux modèles restant libéraux ». Concernant les éleveurs, d’après les conclusions du rapport, les laitiers sont les plus intéressés, tandis que ceux ayant déjà des contrats avec d’autres acteurs de l’élevage ou la plupart des éleveurs allaitants n’en voient pas le bénéfice.
Dans un tel contexte, il est donc préconisé de fournir des précisions sur cette mesure. Pour cela, « l’Ordre national des vétérinaires, la presse professionnelle et le couple GDS-GTV 4 devraient davantage communiquer auprès des vétérinaires et des éleveurs », selon les rapporteurs. Par ailleurs, pour les vétérinaires, une formation spécifique de nature juridique et commerciale semble nécessaire aux yeux de la majorité des personnes rencontrées lors des entretiens réalisés. C’est pourquoi ils ajoutent qu’« il semblerait judicieux de proposer un contrat clé en main (type véto-confiance), modulable et adaptable aux besoins réels des éleveurs et à ce que souhaitent leur proposer les vétérinaires » (encadré page 12). Il devrait prendre en compte l’hétérogénéité des régions, les différentes situations en matière de maillage vétérinaire, ainsi que la multiplicité des modes de production. Ce contrat devra être simple à mettre en place et apporter des services plus complets que ceux proposés actuellement par les autres acteurs intervenants dans les exploitations.
Enfin, les conclusions soulignent l’importance de « mettre davantage à profit le bilan sanitaire d’élevage (BSE) et des données d’élevage afin de pouvoir étudier les besoins et les attentes de chaque éleveur dans le cadre d’une contractualisation ». Or, pour cela, comme l’ont indiqué Joël Limouzin et Christophe Brard, il est indispensable qu’il y ait, sous réserve d’accord de l’éleveur, un partage total de toutes les données de son élevage avec le vétérinaire à qui il confie le suivi sanitaire permanent, pour que ce dernier dispose de tous les éléments nécessaires pour assurer sa mission. En effet, comme l’a indiqué Laurent Perrin, actuellement les vétérinaires n’ont pas d’accès aux différentes données des élevages qu’ils suivent sauf à utiliser les codes d’accès personnels de l’éleveur.
Cependant, la contractualisation seule ne sera « pas un outil suffisant pour régler les problèmes existants et reste conditionnée à la situation économique des éleveurs », d’après le rapport. Ces derniers ne seront en mesure de souscrire des contrats que si leur travail est mieux rémunéré par la vente des produits agricoles à leur juste valeur. De plus, selon Christophe Brard, les collectivités territoriales devront s’impliquer davantage pour favoriser le maintien et l’installation de vétérinaires, à l’instar des médecins, par exemple.
Comme l’a conclu Joël Limouzin, il s’agit actuellement d’un enjeu fort pour la FNSEA et pour le SNVEL qui souhaitent tous deux avancer sur le sujet. Une réunion était ainsi prévue le 21 mai pour «
affiner les axes de recommandations du rapport
». Côté SNGTV, Christophe Brard espère « que la feuille de route pour le maintien de vétérinaires en territoires ruraux et en productions animales trouve un nouvel élan, sous l’impulsion du ministre chargé de l’agriculture, et que les collectivités territoriales soient plus impliquées dans ce projet. En effet, il faut maintenant entrer dans le concret en évaluant ce qui a déjà été fait et en définissant ce vers quoi nous souhaitons tendre
».
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1 Feuille de route 1 intitulée Réseau de vétérinaires dans les territoires ruraux et en productions animales, issue du groupe de travail créé lors du colloque “Le vétérinaire, la carte et le territoire” organisé par la Direction générale de l’alimentation (DGAL) et le SNVEL en 2017.
2 Virginie Carolus, Eddy Kassa, Elise Mathery, Alexandra Romain, Nathalie Sanerot, Isabelle-Sophie Taupin. Master 2 Politiques publiques et gouvernements comparés (PPGC), parcours Politiques publiques de l’alimentation et gestion des risques sanitaires (Pagers).
Note de synthèse du groupe d’étude des politiques publiques : « Relations entre éleveurs et vétérinaires : les contrats sont-ils une solution d’avenir ? »
3 bit.ly/2L6LG9I, bit.ly/2JCk0XU.
4 Groupement de défense sanitaire-groupement technique vétérinaire.
TÉMOIGNAGE D’UN VÉTÉRINAIRE ENGAGÉ DANS LA CONTRACTUALISATION
LE POINT DE VUE DE CHRISTOPHE BRARD
« CRÉER UN “MENU À LA CARTE” CONÇU AVEC CHAQUE ÉLEVEUR »
LE POINT DE VUE DE LAURENT PERRIN
« PARTAGER DESMODÈLES REGROUPÉS DANS UN “CATALOGUE” »