La contractualisation des actes peine à gagner du terrain - La Semaine Vétérinaire n° 1813 du 14/06/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1813 du 14/06/2019

ÉLEVAGE

ACTU

Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE 

En dépit de la volonté du gouvernement, dès 2016, d’agir contre la désertification des zones rurales par les vétérinaires avec la mise en place d’une contractualisation avec les éleveurs des actes vétérinaires, des freins persistent selon le rapport remis par l’École nationale des services vétérinaires (ENSV).

Face au problème de maillage vétérinaire en zone rurale, la contractualisation des actes réalisés en élevage était l’une des solutions envisagée dès 2016 par le gouvernement1. Or force est de constater que, trois ans après, les travaux en ce sens semblent avoir peu ou pas avancés selon les conclusions du rapport2 remis par l’École nationale des services vétérinaires (ENSV) à la suite de la demande de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL).

La désertification des zones rurales

Alors qu’à ses débuts le métier de vétérinaire était presque exclusivement destiné au soin des chevaux et des animaux de rente, aujourd’hui moins de 5 000 praticiens déclarent avoir une activité rurale ou mixte, chiffre qui ne cesse de diminuer depuis une quinzaine d’années3. Or, pour encourager et pérenniser l’activité vétérinaire rurale, la proposition d’inciter les collectivités territoriales à investir dans la présence vétérinaire et en faveur de la contractualisation des relations avec les éleveurs faite par le ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt et par le SNVEL, à l’occasion d’un colloque1 organisé en 2016, doit encore être mise en œuvre sur le territoire, selon le rapport.

Un levier d’action intéressant pour le vétérinaire et l’éleveur

Pourtant, dans un contexte où « les liens entre éleveurs et vétérinaires se sont distendus : les éleveurs devenant de véritables chefs d’entreprise et les vétérinaires étant de plus en plus considérés comme des prestataires de services parmi d’autres », il s’agit d’un levier d’action intéressant aussi bien pour le vétérinaire que pour l’éleveur. En effet, comme l’a indiqué Joël Limouzin, vice-président de la FNSEA, « dans les élevages de demain, les vétérinaires auront des missions essentielles de suivi sanitaire à jouer, qui passeront notamment par la mise en place de contrats de suivi pour la prévention ». De plus, selon Laurent Perrin, président du SNVEL, « avec l’amélioration de la technicité des élevages, la demande de prévention croissante et l’évolution de la médecine individuelle vers la médecine de troupeau, la rémunération à l’acte n’est plus adaptée, il faut inventer un nouveau modèle de relation commerciale entre vétérinaires et éleveurs ». Et comme il l’a ajouté, ce système sera “gagnant-gagnant”. Par ailleurs, il permet, selon Christophe Brard, président de la SNGTV, « de garantir un suivi sanitaire permanent des élevages et d’avoir une meilleure planification de l’activité des entreprises vétérinaires ; ce peut être également un critère d’attractivité pour embaucher de jeunes confrères ».

Une mesure à l’état d’ébauche

Néanmoins, pour le moment, les conclusions du rapport révèlent que la contractualisation n’en est encore qu’à ses balbutiements dans certaines régions. Ainsi, il existe tout d’abord une très grande pluralité dans les contrats existants : ces derniers sont très souvent oraux et, au-delà d’une différence de contenu, les modes de facturation sont très variés selon les régions (au nombre de vaches, aux 1 000 l de lait, mensualisé, annualisé, par trimestre, etc.). De plus, l’accueil de la contractualisation est contrasté, même si le rapport précise qu’« aucun des éleveurs ou vétérinaires s’étant déjà engagés dans une démarche préventive ne reviendrait en arrière ». Selon ce dernier, les vétérinaires ayant une activité rurale prédominante, travaillant dans des structures comptant plus de deux praticiens et dans des régions de fort maillage vétérinaire, seraient les plus favorables à la contractualisation. À l’inverse, pour les autres, les contraintes organisationnelles, l’investissement et la faible plus-value financière restent des freins majeurs à la mise en place de contrats. De plus, comme l’a indiqué Laurent Perrin, il existe une confusion entre la contractualisation et la convention : « Le contrat ou la convention signifie pour beaucoup de vétérinaires une perte de l’aspect libéral de leur activité. Mais si le conventionnement est une cogestion de toute la relation entre un groupe d’éleveurs et une clinique vétérinaire, la contractualisation est une offre de service pour tout ou partie de l’activité que le vétérinaire propose et que l’éleveur peut choisir ou non d’utiliser, les deux modèles restant libéraux ». Concernant les éleveurs, d’après les conclusions du rapport, les laitiers sont les plus intéressés, tandis que ceux ayant déjà des contrats avec d’autres acteurs de l’élevage ou la plupart des éleveurs allaitants n’en voient pas le bénéfice.

Améliorer la communication et la formation

Dans un tel contexte, il est donc préconisé de fournir des précisions sur cette mesure. Pour cela, « l’Ordre national des vétérinaires, la presse professionnelle et le couple GDS-GTV 4 devraient davantage communiquer auprès des vétérinaires et des éleveurs », selon les rapporteurs. Par ailleurs, pour les vétérinaires, une formation spécifique de nature juridique et commerciale semble nécessaire aux yeux de la majorité des personnes rencontrées lors des entretiens réalisés. C’est pourquoi ils ajoutent qu’« il semblerait judicieux de proposer un contrat clé en main (type véto-confiance), modulable et adaptable aux besoins réels des éleveurs et à ce que souhaitent leur proposer les vétérinaires » (encadré page 12). Il devrait prendre en compte l’hétérogénéité des régions, les différentes situations en matière de maillage vétérinaire, ainsi que la multiplicité des modes de production. Ce contrat devra être simple à mettre en place et apporter des services plus complets que ceux proposés actuellement par les autres acteurs intervenants dans les exploitations.

Le partage nécessaire des données d’élevage

Enfin, les conclusions soulignent l’importance de « mettre davantage à profit le bilan sanitaire d’élevage (BSE) et des données d’élevage afin de pouvoir étudier les besoins et les attentes de chaque éleveur dans le cadre d’une contractualisation ». Or, pour cela, comme l’ont indiqué Joël Limouzin et Christophe Brard, il est indispensable qu’il y ait, sous réserve d’accord de l’éleveur, un partage total de toutes les données de son élevage avec le vétérinaire à qui il confie le suivi sanitaire permanent, pour que ce dernier dispose de tous les éléments nécessaires pour assurer sa mission. En effet, comme l’a indiqué Laurent Perrin, actuellement les vétérinaires n’ont pas d’accès aux différentes données des élevages qu’ils suivent sauf à utiliser les codes d’accès personnels de l’éleveur.

Cependant, la contractualisation seule ne sera « pas un outil suffisant pour régler les problèmes existants et reste conditionnée à la situation économique des éleveurs », d’après le rapport. Ces derniers ne seront en mesure de souscrire des contrats que si leur travail est mieux rémunéré par la vente des produits agricoles à leur juste valeur. De plus, selon Christophe Brard, les collectivités territoriales devront s’impliquer davantage pour favoriser le maintien et l’installation de vétérinaires, à l’instar des médecins, par exemple.

Une évolution engagée

Comme l’a conclu Joël Limouzin, il s’agit actuellement d’un enjeu fort pour la FNSEA et pour le SNVEL qui souhaitent tous deux avancer sur le sujet. Une réunion était ainsi prévue le 21 mai pour « affiner les axes de recommandations du rapport ». Côté SNGTV, Christophe Brard espère « que la feuille de route pour le maintien de vétérinaires en territoires ruraux et en productions animales trouve un nouvel élan, sous l’impulsion du ministre chargé de l’agriculture, et que les collectivités territoriales soient plus impliquées dans ce projet. En effet, il faut maintenant entrer dans le concret en évaluant ce qui a déjà été fait et en définissant ce vers quoi nous souhaitons tendre ».

1 Feuille de route 1 intitulée Réseau de vétérinaires dans les territoires ruraux et en productions animales, issue du groupe de travail créé lors du colloque “Le vétérinaire, la carte et le territoire” organisé par la Direction générale de l’alimentation (DGAL) et le SNVEL en 2017.

2 Virginie Carolus, Eddy Kassa, Elise Mathery, Alexandra Romain, Nathalie Sanerot, Isabelle-Sophie Taupin. Master 2 Politiques publiques et gouvernements comparés (PPGC), parcours Politiques publiques de l’alimentation et gestion des risques sanitaires (Pagers).

Note de synthèse du groupe d’étude des politiques publiques : « Relations entre éleveurs et vétérinaires : les contrats sont-ils une solution d’avenir ? »

bit.ly/2KFHXhu.

3 bit.ly/2L6LG9I, bit.ly/2JCk0XU.

4 Groupement de défense sanitaire-groupement technique vétérinaire.

TÉMOIGNAGE D’UN VÉTÉRINAIRE ENGAGÉ DANS LA CONTRACTUALISATION

Quelle est l’activité de votre clinique ?
Nous sommes 18 vétérinaires, dont 11 en pratique rurale (75 % d’élevages bovins laitiers). Les suivis en élevage représentent actuellement la majeure partie de l’activité de quatre vétérinaires de la clinique. Nous avons créé une société, Canevas, avec un ingénieur agronome qui intervient pour les suivis de management et de nutrition de certains de nos élevages.

Concrètement sur le terrain quels types de contrats avez-vous décidé de mettre en place ?
Nous avons 90 élevages de bovins laitiers en contractualisation actuellement depuis déjà 6 à 7 ans. Nous avons choisi de faire des contrats sans engagement dont le tarif est établi en euros/1 000 l de lait livré par an, car cela nous impose des objectifs de performance et cela s’inspire des contrats proposés par les organismes agricoles. Ce type de contrat est plus facile à vendre aux éleveurs qui connaissent tous leurs frais fixes et leurs charges pour 1000 l de lait. Le suivi comprend une à deux visites par mois suivant la taille de l’élevage et il se compose d’un suivi de reproduction, d’une analyse pratique de la ration, mais aussi d’un suivi global du management de l’élevage (prévention sur les vaches taries, les veaux, etc.). Nous facturons alors 4 €/1 000 l de lait et établissons des recommandations en concertation avec l’éleveur sur les lignes de conduite à suivre. L’autre type de contrat que nous avons mis en place comprend aussi des visites individuelles, le tarif est alors de 6 €/1 000 l de lait. Les actes réalisés ne sont alors pas facturés (notamment les visites d’urgences), seuls les médicaments, les consommables et les suppléments de garde et de nuit le sont.

Quel est, selon vous, l’intérêt que pourra trouver le vétérinaire à mettre en place ce type de contrat ?
Au-delà du challenge au quotidien, cela nous permet de changer notre façon de travailler : nos plannings sont établis un mois et demi à l’avance en moyenne. De plus, il y a une part de fixe dans notre revenu et nous avons pu créer un véritable partenariat avec les éleveurs suivis, qui sont ainsi très fidèles pour l’achat de médicaments. Nous apprenons et progressons tous les jours au contact de nos éleveurs. Ce sont souvent eux qui nous “challengent” et nous demandent d’être au niveau.

LE POINT DE VUE DE CHRISTOPHE BRARD

« CRÉER UN “MENU À LA CARTE” CONÇU AVEC CHAQUE ÉLEVEUR »





Nous n’envisageons pas de créer un contrat unique pour tous, mais des contrats sur mesure. C’est en quelque sorte un “menu à la carte” qu’il faut concevoir en collaboration avec chaque éleveur, en fonction de ses attentes, du type d’élevage et des spécificités régionales. Sont ainsi concernés le bilan sanitaire d’élevage, la mise à disposition de protocoles de soins, des offres de services (suivi reproduction, alimentation, parasitisme, gastro-entérites néonatales, maladies respiratoires, vaccinations, etc.), toutes les démarches de prévention au sens large. Un certain nombre de visites pour des cas cliniques individuels pourraient être incluses, si tel est le souhait de l’éleveur. La délivrance des médicaments et d’outils destinés à restaurer la santé et le bien-être des animaux, fruits d’une démarche diagnostique en élevage, ne devrait pas entrer dans ces contrats. Tout ceci doit être parfaitement transparent dans la rédaction du contrat, notamment en matière de facturation, avec le rendu d’un bilan annuel qui autorise l’ajustement de ce contrat.

S’ ORIENTE-T-ON VERS DES  CONTRATS TYPES ? 

LE POINT DE VUE DE LAURENT PERRIN

« PARTAGER DESMODÈLES REGROUPÉS DANS UN “CATALOGUE” »

On constate qu’il y a de nombreuses initiatives particulières locales très différentes et qui sont, pour chacune d’entre elles, adaptées à des contextes locaux. Elles doivent être partagées à l’échelle nationale dans un “catalogue” dans lequel les vétérinaires pourront ensuite trouver le modèle qui leur convient le mieux par rapport aux attentes de leurs éleveurs. Ce contenu technique peut donc être défini à partir de ce qui existe déjà. En revanche, la structuration réglementaire du contrat devra être spécifiée au niveau national. Il conviendra de préciser certaines mentions du contrat : le prix, la base du prix, les modalités de rupture. Il ne faudra pas intégrer, par exemple, une exclusivité de la clinique vétérinaire pour la délivrance de médicaments vétérinaires et certaines mentions sans s’assurer qu’elles respectent les codes de déontologie, de santé publique et du commerce.