Les conséquences de la stérilisation précoce du chat - La Semaine Vétérinaire n° 1813 du 14/06/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1813 du 14/06/2019

SYNTHÈSE

PRATIQUE CANINE

Formation

La stérilisation chirurgicale est le seul moyen permanent connu pour réduire significativement le nombre des portées non désirées chez le chat, et donc les abandons, comme les euthanasies, pour “indésirabilité”. Aujourd’hui encore, la controverse demeure importante quant aux indications et, surtout, aux conséquences d’une stérilisation chirurgicale très précoce du chaton, c’est-à-dire dès lors qu’elle est envisagée avant l’âge de 4 mois.

État des lieux

Définition

Au sens littéral du terme, la stérilisation “précoce” consiste à intervenir avant l’atteinte de la puberté. Or, l’âge de la puberté est particulièrement variable chez le chat : elle est généralement observée entre 7 et 12 mois chez le mâle et 6 et 9 mois chez la femelle, avec un minimum de 4 mois pour des chattes issues de races orientales et un maximum de 21 mois pour des chattes issues de races brévilignes à poils longs.

Âge recommandé

D’un point de vue légal, la vente des chatons n’est autorisée qu’après l’âge de 8 semaines. Toutefois, est-ce bien raisonnable d’envisager une stérilisation avant 8 semaines ? L’âge de la stérilisation de convenance repose souvent sur des habitudes ou des craintes à propos de l’anesthésie ou des conséquences physiopathologiques d’un tel acte en période prépubertaire. Avant l’âge de 7 semaines et 700 g de poids, les freins restent fondés. En effet, à cette période, le chaton subit une sous-alimentation transitoire due à la baisse de lactation de la mère imparfaitement compensée par la prise alimentaire d’aliments solides. En revanche, entre 8 et 16 semaines, même si les inquiétudes demeurent, la stérilisation ne présente pas spécialement de difficultés et la récupération des animaux est plus rapide.

Pratiques selon les pays

Depuis le milieu des années 1980, une tendance à la stérilisation précoce par les praticiens vétérinaires est observée. Aux États-Unis, la stérilisation juvénile est pratiquée depuis plus de 25 ans, avec un recul de millions d’animaux concernés. Au Royaume-Uni, elle est recommandée depuis plus de 10 ans. En Belgique, pour enrayer la surpopulation féline, la stérilisation de tous les chats de compagnie non destinés à l’élevage a été rendue obligatoire entre 8 semaines et 6 mois d’âge depuis 2015. Même en France, la stérilisation juvénile est réalisée depuis plus de 10 ans par certains praticiens en pratique féline exclusive et dans certains refuges. En 2017, une enquête a été menée auprès des vétérinaires français pour connaître leurs habitudes1. Ceux qui n’effectuent pas de stérilisation précoce le justifient principalement par un manque d’information. Très peu de praticiens généralistes stérilisent les chats avant l’âge de 4 mois (2 % le font systématiquement, 41 % parfois), alors que les praticiens félins ou de refuges opèrent plus volontiers (20 % le font systématiquement, 40 % parfois pour les praticiens félins) pour des poids de chatons allant de 900 g à 1,5 kg.

Demande des propriétaires

Les vétérinaires constituent le relais de l’information scientifique auprès des propriétaires de carnivores domestiques. Leur avis concernant la stérilisation précoce est de ce fait primordial. De leur côté, les propriétaires n’ont pas forcément conscience du problème de surpopulation féline et certains pensent encore que leur chatte ne peut être stérilisée qu’après qu’elle ait donné une ou deux portées. Les propriétaires ne sont pas non plus suffisamment informés quant au prix d’une stérilisation comparé aux frais engendrés par une portée, sur la possibilité d’un accouplement entre les membres d’une même fratrie ou encore sur la fréquence ou le désagrément des chaleurs.

Quid des chats issus d’élevage ?

En France, une enquête a été menée sur la page Facebook du site du Livre officiel des origines félines (Loof) en juin 2017 et a permis d’obtenir 1 000 réponses2. Il en ressort principalement que les chatons de race sont stérilisés aux alentours de 3 mois. 48 % des éleveurs ont recours systématiquement à la stérilisation avant la vente et 23 % parfois, en toute sécurité et avec un haut niveau de satisfaction. Néanmoins, il est également important de se demander quelles seraient les conséquences dans le domaine de l’élevage, notamment de petits effectifs, si une telle pratique venait à se généraliser : ne viendrait-elle pas encourager la consanguinité, réduire la variabilité génétique et conduire à l’émergence de problèmes de santé au sein des différentes races ?

Conséquences de la stérilisation précoce

La stérilisation des individus prépubères a été suspectée d’entraîner de nombreuses conséquences néfastes à long terme sur la santé.

Sur la prise de poids

Il est communément admis que la stérilisation est un facteur de risque majeur pour la prise de poids et l’obésité chez les carnivores domestiques, quels que soient l’espèce ou le genre. La prise de poids correspond alors à une augmentation de la masse graisseuse, avec une tendance plus marquée chez les mâles que chez les femelles dans l’espèce féline. D’après les dernières publications, la stérilisation chirurgicale juvénile permettrait d’éviter la phase d’hyperphagie suivant l’intervention, ainsi qu’un meilleur contrôle du poids poststérilisation. Cet impact sur le contrôle du poids est aussi rapporté par les praticiens qui réalisent une stérilisation précoce depuis de nombreuses années. D’autres essais sont nécessaires pour confirmer cette tendance. Si l’avantage de la stérilisation juvénile est avéré sur la prévention de l’obésité chez le chat, ce serait un argument majeur en sa faveur.

Sur la croissance

La stérilisation précoce n’arrête pas la croissance, contrairement aux idées reçues. En effet, en 1997, une étude comparant la fermeture du cartilage de croissance proximal et distal du radius chez des chats stérilisés à 7 semaines, 7 mois ou non stérilisés a été réalisée. Elle a montré une fermeture retardée au niveau distal et une longueur finale du radius plus importante chez les chats stérilisés (augmentation de 13 % chez les mâles et de 9 % chez les femelles en comparaison avec les individus non stérilisés).

Sur l’appareil urinaire

L’obstruction urétrale chez le chat est une affection multifactorielle dont l’ensemble des mécanismes physiopathologiques n’a pas encore été élucidé. Si les chats mâles castrés sont plus enclins à présenter ce type d’obstruction, il a été démontré que la précocité de la castration n’a pas de conséquence significative sur le diamètre urétral et sur le risque d’obstruction.

Sur l’appareil génital

La stérilisation précoce empêche le développement complet de l’appareil génital externe aussi bien chez le mâle que chez la femelle. De ce fait, la vulve et le pénis gardent un aspect infantile (taille réduite, absence de spicules et possible persistance du frein balanopréputial chez le chat mâle) sans pour autant que des conséquences au niveau de la santé aient été rapportées. Chez le mâle, la cryptorchidie abdominale est, en revanche, une contre-indication à une stérilisation précoce, car la chirurgie durerait trop longtemps. Les tumeurs mammaires sont les troisièmes tumeurs les plus fréquentes et représentent 14 % de celles de la chatte. La stérilisation avant les premières chaleurs a un effet protecteur important sur le risque d’apparition de tumeurs mammaires, ce qui n’est pas négligeable quand on sait qu’elles sont, dans 95 % des cas, malignes chez la chatte.

1 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1746 du 12/1/2018, page 20.

2 Langlade C et coll. Early-age neutering in cats : French cat breeders’ perspective. 21st Evvsar congress, Vienna. 2018.

Retrouvez les références bibliographiques de cet article sur bit.ly/2wJFhar.

POINTS FORTS

La stérilisation précoce chez le chat est rapide, facile à réaliser et présente moins de complications qu’une stérilisation à un âge plus classique. Par ailleurs, ses principaux inconvénients au long terme sont les mêmes que ceux rencontrés lorsque l’animal est stérilisé après la puberté, sans que la précocité de l’intervention n’ait d’incidence sur le risque d’apparition des effets indésirables liés à cette pratique. Pour finir, la stérilisation précoce permet d’améliorer la gestion des populations félines : elle empêche toute gestation et diminue certains comportements jugés gênants par les propriétaires et, de ce fait, les abandons.

Émilie Rosset Diplomate Ecar, praticienne au Cerrec, biotechnologies et pathologie de la reproduction, VetAgro Sup.