ÉTHIQUE
ACTU
Auteur(s) : MYLÈNE PANIZO
La question de l’écoute et de la disponibilité du soignant envers les patients ne s’apprend pas sur les bancs des universités. C’est pourtant un enjeu majeur pour les professions médicales.
L’institut universitaire de technologie de Saint-Denis (Bobigny, Seine-Saint-Denis), en partenariat avec l’unité de formation et de recherche de santé, médecine et biologie humaine de l’université Paris 13 et Animal University 1, a organisé le 8 juin un colloque sur le thème de la bienveillance dans le soin. Une soixantaine de professionnels de santé ont assisté à une journée de conférences interdisciplinaires. L’objectif était d’échanger des données et des expériences, tout en comparant les différentes approches entre la médecine humaine et la médecine vétérinaire. La qualité des intervenants et des débats a permis de soulever de nombreuses réflexions sur le comportement des soignants et la prise en charge des êtres vivants, humains ou animaux. Les attentes en ce domaine ont considérablement évolué. Avec le vieillissement de la population, il s’agit d’un enjeu majeur de société.
Emmanuel Martinod, chirurgien thoracique et vasculaire à l’hôpital universitaire Avicenne (Bobigny), a rappelé que l’empathie est « la faculté intuitive de se mettre à la place d’autrui, de percevoir ce qu’il ressent ». Elle se distingue de la sympathie, dans laquelle se manifeste une charge émotionnelle. Il convient d’écouter, de rassurer, et d’apporter des explications compréhensibles à son patient. De nos jours, le praticien fait face à de nouvelles contraintes, économiques, organisationnelles, administratives et technologiques. Sans remettre en cause le progrès, l’arrivée massive de nouvelles technologies et la robotisation en cours posent de nouvelles questions sur la place de l’empathie dans le parcours de soins.
Celle-ci est-elle innée ou peut-elle s’apprendre ? C’est la question soulevée par Jonathan Benelbaz, docteur en psychologie. Le célèbre éthologue Frans de Waal pense qu’elle est une caractéristique propre à tous les mammifères, car elle découle des soins maternels. Pour le psychothérapeute, l’empathie est davantage un art qu’une technique. Elle ne peut s’apprendre de façon théorique, cela demande du temps et de l’expérience pour l’acquérir. L’empathie est une réponse juste et spontanée envers chaque individu et sa situation. Le psychologue met ainsi en garde contre la standardisation des soins face aux contraintes actuelles. Pour être capable d’empathie, il est indispensable que le praticien se sente bien lui-même. La souffrance au travail du personnel soignant est un réel problème de santé publique.
Jérôme Michalon, docteur en sociologie, a étudié, dans son livre Panser avec les animaux 2, le soin par le contact animalier. Il évoque l’empathie comme pratique mutuellement transformative, cette capacité devenant un outil de soins. La médiation animale a permis d’aider des personnes atteintes de troubles psychiques ou physiques à développer une bienveillance envers l’animal et les humains.
Notre confrère Thierry Bedossa a abordé l’approche animal friendly, pour une bienveillance envers les animaux. Le praticien doit toujours chercher à « ne pas faire peur, ne pas faire mal, entraîner (medical training) ». Détecter la détresse émotionnelle nécessite de tenir compte des spécificités des espèces et de consacrer du temps à l’observation des animaux pris en charge. La conclusion de notre confrère peut aussi bien s’appliquer au patient humain : « Il est nécessaire de proposer un environnement et des techniques les plus adaptés à chaque individu selon son état émotionnel, son tempérament et ses expériences. »
Kader Chouahnia, cancérologue à l’hôpital universitaire Avicenne, a rappelé la définition de la douleur selon l’Association internationale d’étude de la douleur : « Une expérience sensitive et émotionnelle désagréable, associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle, ou décrite en termes d’une telle lésion ». La douleur a une composante multifactorielle et ne peut être quantifiée de façon objective. Elle se vit différemment en fonction des individus, de ses émotions, de son vécu, de sa culture. Les conséquences physiques de la douleur sur l’organisme sont nombreuses (altération des systèmes cardiovasculaires et respiratoires, conséquences gastro-intestinales, rénales, infectieuses et métaboliques), a expliqué Bruno David Benaim, vétérinaire spécialisé en chirurgie. Savoir évaluer la douleur chez les différentes espèces passe par la connaissance de la physiologie et de l’éthologie de celles-ci, car l’expression de la douleur varie considérablement d’une espèce à l’autre, comme l’a expliqué notre consœur Rocio Fernandez-Parra, anesthésiste à l’école nationale vétérinaire d’Alfort. Chez certaines espèces (chien, chat, cheval) des scores de douleur multiparamétriques sont disponibles, aussi bien pour des douleurs aiguës que chroniques3.
Comme chez les humains, le traitement de la douleur doit être systématiquement multimodal. De nombreux outils sont à la disposition du praticien : usages d’antalgiques, anesthésies locales, acupuncture, laser, soutien psychologique, kinésithérapie, etc.
La question de la fin de vie est un sujet qui fait débat en médecine humaine, alors qu’elle est présente au quotidien pour le vétérinaire. La loi française interdit l’euthanasie chez l’homme, mais autorise la sédation profonde et continue, maintenue jusqu’au décès. En médecine vétérinaire, il n’existe pas de cadre juridique clair sur la question, mis à part que seul un vétérinaire est apte à réaliser une euthanasie. Les avancées médicales et technologiques posent de nouvelles questions comme l’a expliqué Claire Frey-Manassero, vétérinaire à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine). Va-t-on trop loin ? Pas assez loin ? Quelle est la frontière entre l’empathie envers l’animal et l’anthropomorphisme ? En médecine humaine, les décisions de prise en charge de la fin de vie sont prises de façon collégiale, à l’issue d’un travail interdisciplinaire. Le vétérinaire, quant à lui, est souvent seul face à cette décision, parfois confronté à un dilemme médical et affectif. Il doit composer entre l’état clinique physique et émotionnel de l’animal, la demande des propriétaires, l’environnement de vie et ses contraintes et les considérations financières. Il est nécessaire de se rappeler qu’il est toujours possible de refuser une euthanasie.
Sarah Jeannin, psychologue et docteur en éthologie, constate qu’il n’existe que très peu de rituels sociaux permettant de partager le deuil d’un animal. Il est utile d’encourager les propriétaires à exprimer leur peine (par exemple, à travers des réseaux sociaux ou des sites spécialisés). La mort peut aussi parfois être vécue comme un soulagement, ce qui entraîne de la culpabilité pour celui qui le ressent. Expliquer que cette ambivalence émotionnelle est normale rassure le propriétaire. Le travail du deuil est aussi indispensable pour les soignants. La profession vétérinaire détient un taux de suicide élevé. Prendre le temps de verbaliser ses émotions, mais aussi être à l’écoute de son équipe est fondamental.
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2 Jérôme Michalon, Panser avec les animaux. Sociologie du soin par le contact animalier, Presses des Mines, Paris, 2014.
3 - Systèmes Load (Liverpool Osteoarthrisis in Dogs) et Coast (Canine Osteoarthritis Staging Tool).
- Muller C., Gaines B., Gruen M. et coll. Evaluation of clinical metrology instrument in dogs with osteoarthritis. J. Vet. Intern. Med. 2016 30(3):836-846.
QUID DES ANIMAUX ÂGÉS ?