DOSSIER
Auteur(s) : FRÉDÉRIC THUAL
Près d’un quart des cliniques et cabinets vétérinaires français ont rejoint une plateforme de vente en ligne pour commercialiser tout ou partie de leurs aliments. Et les adeptes du click and collect retrouvent le goût de la prescription. Un atout ? À condition de l’inscrire dans une véritable stratégie.
Lorsque j’ai constaté une fuite de plus en plus importante de mes clients sur Internet, je me suis décidé à réagir. Nous faisions l’effort de prescrire, or les gens achetaient sur Zooplus, Maxi Zoo… Alors, j’ai commencé une petite étude de marché auprès de ma centrale d’achat, de délégués en qui j’avais confiance, des acteurs de la vente en ligne… Je cherchais une solution mixte qui associe un groupe d’intérêt économique (GIE) et une boutique », explique Lionel Wolff, codirigeant de la clinique vétérinaire des Coteaux bordelais, à Fargues-Saint-Hilaire, à la périphérie de Bordeaux (Gironde). Sa short list retient deux candidats, dont Clubvet Shop auquel la clinique adhère depuis 18 mois. Si aucune statistique ne le mesure vraiment, on estime que 20 à 25 % des 8 000 cliniques et cabinets vétérinaires français auraient opté pour la vente en ligne de pet food et de produits sans ordonnance, seuls ou par l’intermédiaire d’un GIE. De nombreux choix sont possibles : Chronovet, Myvetshop, Clubvet Shop, Place des vétos, VetoAvenue, Kali Vet, 10PetitsZèbres, La Compagnie des Animaux, JungleVet, Vetostore, etc., avec chacun un business model différent.
L’accélération est telle que le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires a jugé bon de monter au créneau, l’an dernier, pour mettre les pendules à l’heure et rappeler quelques règles déontologiques à la suite des griefs dont faisait l’objet le site de 10PetitsZèbres, né autour d’une poignée de vétérinaires, qui compte aujourd’hui un peu plus de 80 cliniques installées dans le Nord, l’Ouest et la région parisienne. Pour l’Ordre, l’activité commerciale des vétérinaires n’est acceptable que si elle reste « accessoire à l’exercice de la médecine ». Autrement dit, consécutive à une consultation préalable de l’animal, le vétérinaire formalisant ainsi son rôle de conseil. Dès lors, le Code de déontologie justifie une tarification distincte entre les produits vendus en ligne et ceux proposés à la clinique, qui doit être mentionnée comme lieu de livraison. « Historiquement, le double tarif, c’était la grande question. On avait peur que les ventes en ligne cannibalisent l’activité de la clinique, mais ça existe dans la téléphonie, dans l’aérien ou dans le ferroviaire et cela ne choque plus personne », résume Arnaud Dorange, directeur marketing de la société Vetzen (Myvetshop), née de la fusion des plateformes de vente en ligne Vetshop21, fondée en 2010, à Dijon, par Jean-Jacques Dentz, et Vet45, lancée sur le même modèle deux ans plus tard, à Orléans, par Philippe Pernod. Structure qui a, dans la foulée, absorbée la société Vetideal, créée en 2012 par le vétérinaire rochelais Arnaud Dorange, promoteur du e-commerce, qui vendait alors des boutiques en ligne clé en main à 39 €, consacrées à la canine, à la rurale, à l’équine et aux nouveaux animaux de compagnie. Jusqu’à ce que le modèle s’essouffle faute de gérer le négoce. Ce que les plateformes comme Myvetshop, Place des vétos, Chronovet et leurs concurrents ont bien compris, puisqu’elles proposent à leurs adhérents de prendre en charge la totalité de leurs achats de pet food. Vetzen réaliserait ainsi 11 millions d’euros d’achats de pet food par an. Un poids non négligeable pour négocier avec les centrales et les laboratoires.
Créé en 2017, Vetzen est devenu un portail offrant des outils numériques, un club d’entreprises, un club “partenaires” ouvert aux vétérinaires et aux auxiliaires spécialisés vétérinaires (ASV), un service d’e-mailing et la boutique en ligne Myvetshop. L’accès à cette communauté peut se faire de plusieurs manières : en devenant actionnaire du capital de Vetzen ou en adhérant au nom d’une clinique ou d’un GIE, qui peut lui confier tout ou partie de la gestion de son pet food. La boutique est alors fournie gratuitement comme pour les actionnaires. « C’est un package. Une boutique en ligne ne coûte jamais rien. Elle a un coût réel. Derrière, il y a de l’hébergement, du développement, du négoce, de l’animation commerciale, etc., et un accès aux quatre centrales Coveto, Centravet, Alcyon, Hippocampe », explique Arnaud Dorange. Les centrales d’achats ont été directement impactées par ce phénomène grandissant. « Nous avons dû revoir les process », admet Antoine Sénécaut, directeur du développement d’Alcyon où le nombre de colis a augmenté de + 430 % en un an. « C’est une mutation importante de la profession et un virage à ne pas manquer », estime-t-il. Au-delà des livraisons traditionnelles, il a fallu revoir les conditionnements, remplacer les bas par des cartons, mettre en place la personnalisation, un service de livraison express pour répondre au besoin de livraisons quotidiennes, digitaliser la relation client… « Il faut trouver la bonne organisation pour optimiser les flux, afin que les vétérinaires soient compétitifs en se battant avec leurs atouts », précise Antoine Sénécaut. Dans chacun des quatre établissements d’Alcyon, deux personnes à temps plein sont affectées à cette activité. Engagée dans une importante politique de digitalisation, Alcyon a même pris des participations dans le capital de la boutique de vente en ligne Kali Vet, créée par des vétérinaires dans le nord de la France. « Les seules cliniques qui progressent sont celles qui ont pris le virage de la vente en ligne », justifie Jacques Fontaine, l’un des cofondateurs de Kali Vet. « Nous récupérons des clients qui étaient partis ailleurs. Cela crée un trafic intéressant. Surtout, nous pouvons désor mais développer un discours, alors qu’avant la notion de prix nous décourageait de prescrire », reconnaît-il.
Dans un secteur dominé par Nestlé Purina Petcare (42,4 % des parts de marché) et l’américain Mars Petcare (26,9 %) ou les pure players Maxi Zoo, Croquetteland, Zooplus… et bien d’autres, comme la redoutable marketplace d’Amazon (encadré page 49), venue en 2013, des places sont à prendre. D’autant que les vétérinaires inquiets de voir leur clientèle leur échapper sont à l’écoute. « Perdre 20 000 € de marge par mois, c’est presque l’équivalent du salaire d’une ASV à temps plein. Difficile de s’en passer. Pour les maintenir, soit vous créez de nouveaux services, soit vous comptez sur les volumes promis par le Web pour compenser la baisse de marges », observe Hélène Villarroya, dirigeante de la société de conseil Adévet, spécialisée dans l’accompagnement et le développement des entreprises vétérinaires. « Beaucoup de professionnels s’interrogent sur la question d’y aller ou pas », note la consultante. Y aller ? À la clinique Vétolac (Savoie), Enrico Ghiberto a franchi le pas avec Clubvet Shop. Résultat : « J’ai soulagé ma trésorerie, je ne m’occupe plus de la logistique, les ASV ont du temps pour faire autre chose, les périmés ont disparu, nous proposons deux gammes en clinique pour six en ligne. » Financièrement, avec deux tiers des ventes réalisées sur Internet, la “bascule” n’a pas encore eu lieu, mais, pour le vétérinaire, le bénéfice est indéniable et surtout, comme nombre de ses confrères qui ont opté pour la vente en ligne, il reconnaît être moins complexé pour parler d’alimentation et de nutrition. À la clinique de la porte des Weppes, à Haubourdin (Nord), Bastien Demars, qui a milité auprès de la centrale VetaPharma pour la création d’une boutique en ligne, devenue Place des vétos, l’impact s’avère aussi positif, alors que la vente d’aliments diminuait progressivement depuis quatre à cinq ans. « Nous nous sommes libérés du temps et j’ai moins de scrupules à prescrire. Une partie de la facture est réglée directement en ligne. Psychologiquement, c’est différent. De toute façon, nous ne serons jamais les moins chers sur les croquettes. Le système évolue, autant en profiter pour se battre sur les actes, et investir dans les équipements adéquats pour nous recentrer sur l’essence même du métier de vétérinaire », estime-t-il.
Y aller ou pas ? Edwin Coutrot, vétérinaire mixte à Rieupeyroux (Aveyron), et coprésident du GIE Vetoccitan, ne veut pas en entendre parler. « Personnellement, je n’y vois pas d’intérêt. Ni pour la clinique ni pour le client. Même si vous choisissez une plateforme, les gens pourront toujours trouver moins cher ailleurs. Nous avons notre façon de gérer notre stock. Nous sommes livrés tous les trois jours. Les clients viennent à la clinique
et c’est l’oc
casion de parler de la santé de l’animal. Pour moi, un vétérinaire doit savoir travailler correctement ses gammes. En tout cas, c’est l’idée que je me fais de la santé des animaux. Acheter sur Internet, c’est dommage, c’est aussi se priver d’un conseil », dit-il. D’autres pointent aussi le rôle des petfooders (Virbac, Hill’s, Royal Canin, etc.) qui poussent au click and collect, quelle que soit la diminution des marges vétérinaires pour peu que les volumes soient au rendez-vous… Pour Hélène Villarroya, c’est toute l’ambiguïté de la vente en ligne. « Abaisser sa marge de 15 à 20
% va juste amener un déplacement de clientèle. Ceux qui achetaient en clinique vont acheter en ligne. Donc pour devenir rentable, il est nécessaire de capter une nouvelle clientèle. Et un effet de baisse de 15
% nécessite une augmentation de volume de 80
% pour compenser. Vous devez ainsi quasiment doubler votre activité. On ne se lance pas dans une boutique comme ça, il faut mener une vraie réflexion stratégique
», souligne-t-elle. À la clinique vétérinaire des Coteaux bordelais, adhérente chez Clubvet Shop, les volumes augmentent et l’évolution est satisfaisante. « Il faut attendre encore un peu pour retrouver l’équivalent de nos marges », reconnaît Lionel Wolff, qui s’investit dans la relation client. « Aujourd’hui, nous avons moins de stock à gérer, nous traitons plus de volume, nous fidélisons notre clientèle, nous captons de nouveaux clients et nous réalisons des achats secondaires que l’on n’avait pas avant. Certains qui achetaient sur le Net ou en pharmacie préfèrent même venir chez nous, quitte à payer plus cher
», note-t-il.
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VÉTOAVENUE MISE SUR LA FIDÉLISATION
« RIEN N’EMPÊCHE UNE CLINIQUE VÉTÉRINAIRE DE S’INSCRIRE SUR AMAZON »
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