Suivi de la masse des ruches : intérêt pour l’apiculteur et le praticien - La Semaine Vétérinaire n° 1814 du 21/06/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1814 du 21/06/2019

CONFÉRENCE

PRATIQUE MIXTE

Formation

Auteur(s) : TANIT HALFON 

Selon une étude récente, la balance fait partie des outils les plus utilisés par les apiculteurs connectés1. Le suivi à distance des colonies, et en continu, la rend particulièrement intéressante : pour les apiculteurs professionnels, elle apparaît actuellement incontournable. Dans ce contexte, il devient utile pour le vétérinaire apicole de savoir interpréter les courbes de masse. Néanmoins, des référentiels restent encore à construire afin de caractériser une situation “normale” et, pourquoi pas, une colonie en “bonne santé”.

1 Lettmann M. et Chauzat M.-P. Les outils connectés en apiculture : évaluation de leurs applications auprès des apiculteurs français, Bulletin épidémiologique santé animale-alimentation, décembre 2018.

UN SUIVI DU COMPORTEMENT DE BUTINAGE

Christophe Roy Vétérinaire apicole, membre de la commission apicole SNGTV. Article rédigé d’après une présentation faite lors des journées nationales des GTV à Nantes (Loire-Atlantique), du 15 au 17 mai.

Les balances permettent à l’apiculteur d’appréhender le comportement efficace de butinage d’une ruche. Ainsi, au printemps, lors des journées favorables au butinage, une hausse de la masse de la ruche est observée jusqu’en fin de journée (période 1), correspondant aux entrées de nectar et de pollen. La nuit, la consommation d’une partie des réserves, la déshydratation du nectar et l’évacuation de l’humidité entraînent une baisse de la masse (période 2). Au matin, la sortie des butineuses engendre une baisse plus nette, d’autant plus marquée que la colonie est populeuse (période 3). En outre, en comparant la masse d’une même ruche toutes les 24 heures, il est possible de savoir si la journée a été déficitaire ou pas (consommation des réserves supérieure ou inférieure à l’accumulation).

UN SUIVI DE LA MIELLÉE

Le suivi de miellée est de loin le premier usage qui est fait des balances connectées. En saison apicole, une hausse importante, régulière et continue de la masse correspond à une miellée (figure). Le suivi de la masse reflète aussi l’intensité de la miellée et donc indirectement la quantité de miel produit. À noter qu’aux États-Unis ou en Belgique1 certains apiculteurs partagent librement les données de leurs balances connectées, permettant d’indiquer aux professionnels non équipés les débuts des grandes miellés et de déclencher les transhumances.
1 hivetool.net ; cari.be/balances.

UN SUIVI DES RÉSERVES

La balance permet de suivre le niveau de réserves des colonies, une information utile pour la saison hivernale (figure). En effet, pour produire de la chaleur en hiver, les colonies consomment les réserves de miel, qui peuvent parfois atteindre un seuil trop bas, compromettant leur survie. Le suivi des masses permet ainsi de prévoir si et quand des apports de nourrissement sont nécessaires. En pratique, l’apiculteur peut équiper plusieurs ruches de son rucher, afin de connaître l’état des réserves moyennes sans avoir à se déplacer régulièrement. Toutefois, il convient de garder en tête que la masse des réserves ne correspond pas à leur qualité (encadré page 40).

UNE AIDE POUR LA GESTION ZOOTECHNIQUE

Les balances “multiruches” (un seul boîtier émetteur relié à plusieurs balances)1 permettent de suivre en parallèle plusieurs ruches d’un même rucher. Dans ce cadre, elles s’inscrivent en tant qu’outil d’aide à la gestion zootechnique de l’élevage. Par exemple, les critères de sélection, telles que la productivité en miel, la capacité d’hivernage, l’exploitation des miellées, la tendance au pillage, etc., pourraient être confortés par les données issues du suivi des masses des colonies filles ou de celles pourvoyeuses de cellules royales. Le suivi de la masse délivre aussi une indication sur la force d’une colonie : les colonies de grande taille consomment plus de réserves que celle de petite taille. Attention toutefois : les différences initiales de masse entre colonies peuvent être liées à des paramètres indépendants de la force des colonies, comme la masse de la charge posée sur le toit des ruches (encadré page 40) ! Autre intérêt possible : le suivi des courbes peut indiquer si le remérage a fonctionné ou pas (figure). À noter : certaines balances disposent d’une fonction “alerte”, ce qui permet d’informer en temps réel d’une brusque variation de masse (vol, ruche renversée, essaimage, etc.).

1 Certaines offres commerciales proposent jusqu’à 12 à 24 ruches connectées à un unique boîtier.

UN OUTIL POUR LA SANTÉ

La balance connectée pourrait devenir un outil à part entière essentiel pour la consultation vétérinaire, une anomalie dans la courbe de poids pouvant déclencher une visite du praticien. En effet, si le suivi de la masse d’une ruche sert à s’assurer de la bonne santé d’une colonie, le praticien peut aussi détecter des anomalies en comparant des ruches. Plus globalement, en période de miellées, le praticien appréhende mieux l’environnement mellifère des ruchers et la capacité des abeilles à l’utiliser. Disposer de telles données est également utile dans l’exploration des causes de mortalité hivernale et elles peuvent indiquer la date précise de la mort de la colonie1. Enfin, il est possible d’observer une baisse de poids avant toute manifestation clinique (figure).

1 Attention aux biais liés au pillage, les réserves résiduelles diminuant dans ce cas de façon anormalement rapide alors que la colonie est morte. En parallèle, on peut observer dans le même rucher une ruche qui prend de la masse.

DES BIAIS À EXCLURE

Plusieurs biais sont possibles. Par exemple, une prise de poids en hiver peut correspondre au dépôt de neige sur la ruche ! De plus, la masse ne reflète ni la qualité ni l’accessibilité des réserves : la visite reste donc incontournable. Il convient aussi de garder à l’esprit que le comportement de butinage est variable d’une colonie à l’autre : placer des balances sous plusieurs ruches “témoins” afin d’avoir la “moyenne” d’un rucher n’est donc pas forcément le reflet de la réalité. Enfin, ne pas oublier l’existence de biais techniques qui aboutissent à des données imprécises, inaccessibles ou inexactes (rupture de signal, batterie hors service, sensibilité des capteurs en fonction de la température extérieure, etc.).