SOCIÉTÉ
PRATIQUE MIXTE
L'ACTU
Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE
Le bien-être animal est un sujet qui déclenche les passions au sein de la société et dont la filière de l’élevage s’est emparée depuis quelques années. Dans ce domaine, le vétérinaire est d’ailleurs légitime et attendu. « Quelle est la place du vétérinaire rural dans ce contexte ? », telle est la question à laquelle ont tenté de répondre les conférenciers présents lors d’une session du congrès de la SNGTV consacrée à ce sujet.
Les démarches en faveur d’une meilleure prise en compte du bien-être animal (BEA) en élevage sont actuellement de plus en plus plébiscitées par les consommateurs. Pour répondre à ce nouvel enjeu les professionnels du secteur multiplient les initiatives à tous les niveaux.
En effet, avec les projets de référentiel “naissances en race Blanc bleu belge (BBB) garantissant le respect du BEA”ou la démarche collective de “pacte pour un engagement sociétal” de l’Interprofession bétail et viande(Interbev)1, les acteurs de l’élevage s’engagent et cherchent à agir concrètement sur le terrain en faveur du BEA. Comme l’a indiqué Audrey Lebrun (Interbev), le pacte de l’interprofession, encadré par la norme ISO 26000 de responsabilité sociétale, a été lancé en 2017 afin de « répondre aux exigences sociétales et d’apporter des garanties (alimentation de qualité, raisonnée et durable) aux consommateurs ». Cette démarche de progrès permet ainsi, selon elle, « à chaque élevage et à chaque entreprise, d’orienter sa stratégie et ses pratiques en fonction des objectifs communs définis par la filière, et ce à tous les niveaux (élevage, trans port et mise en marché, abattage-découpe-transformation, distribution) ». Des outils d’évaluation du BEA et des référentiels collectifs (élevage, transport, abattage), fruits notamment d’une concertation avec les vétérinaires, devraient être mis à disposition de la profession. « Un lien étroit entre la filière et la profession vétérinaire est indispensable. De façon générale, l’objectif est de pouvoir travailler ensemble à un déploiement des bonnes pratiques et des leviers d’amélioration pour la filière sur tous ces sujets », a-t-elle conclu. Dans le même temps, diverses initiatives des industriels de l’agroalimentaire se mettent en place en faveur du BEA, à l’instar de l’étiquetage BEA sur les produits d’origine animale2 adopté en décembre 2018 dans un premier temps pour la filière poulet de chair par le groupe Casino. Ce projet, plébiscité par 80 % des personnes interrogées, selon les résultats d’un sondage cité par Louis Schweitzer, président de l’association Étiquette bien-être animal, a été mené en partenariat avec trois associations de protection animale3 pour définir 230 critères permettant d’évaluer le BEA selon quatre niveaux, de A (supérieur) à D (standard).
Par ailleurs, comme l’a indiqué Pierre Autef (Capvéto), « sur le terrain certaines pratiques permettant d’améliorer le BEA peuvent être mises en place en élevage sans qu’une démarche collective obligatoire ne soit pour autant adoptée ». Ainsi, pour la filière ovine, les éleveurs peuvent améliorer la prise en compte du BE des animaux lors du bouclage auriculaire, de la caudectomie et de la castration, par exemple. Selon lui, quand ces actes du quotidien sont mal réalisés, ils provoquent de la douleur et du stress pouvant conduire à un retard à la prise de colostrum et à des retards de croissance. De même, en production porcine, « alors que l’élevage plein air est souvent présenté comme LA solution à la problématique du BEA, en réalité sur le terrain, comme l’a indiqué Patrick Bourguignon, vétérinaire dans les Deux-Sèvres, il existe certaines limites à ce mode d’élevage ». Selon lui, chaque élevage est un cas particulier avec ses points forts et ses points faibles et « si on y réfléchit à la lumière des cinq droits fondamentaux des animaux, la variabilité intragroupe (groupe plein air ou groupe bâtiment) a, à mon avis, autant d’importance que celle que l’on peut trouver entre les deux groupes ».
Face aux démarches individuelles des éleveurs, les vétérinaires ont un rôle de conseil à jouer. Ils disposent pour cela d’ailleurs de nombreux outils (référentiels, outils numériques et formations). Ainsi, concernant l’évaluation du BEA en élevage, comme l’a indiqué Alice de Boyer des Roches (VetAgro Sup), le praticien peut utiliser les protocoles validés scientifiquement : Welfare Quality (bovins, porcins, poules pondeuses et poulets de chair), Awin (chevaux, ânes, ovins, caprins et dindes) et projets Casdar Salinov (2009-2012) et FAM Biene (2013-2015) pour les ovins en pâturage et en bergerie. Ces derniers se fondent sur les cinq libertés fondamentales de l’animal définies par l’OIE4 et reprises dans la définition du BEA proposée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) en 20185. De plus, « ces protocoles pourraient être intégrés au suivi global de troupeau afin de se rapprocher d’une évaluation globale du BE en élevage », a-t-elle ajouté. Enfin, selon elle, « l’amélioration du BE des animaux d’élevage est un enjeu fort des productions animales et le vétérinaire y est incontournable, car il possède la majeure partie des compétences requises. Il aura toute sa place pour évaluer et identifier les facteurs de risque, puis proposer des corrections ».
En outre, pour les praticiens qui le souhaitent, des formations au conseil en BEA en élevage ont été mises en place, comme celle de la chaire partenariale consacrée au bien-être animal de (VetAgro Sup)6. Pour chaque filière, des enseignements spécifiques sont par ailleurs proposés. Ainsi, comme l’a indiqué Patrick Bourguignon, en ce qui concerne la filière porcine, par exemple, « même si dernièrement le BEA est passé au second plan après la menace de la peste porcine africaine, il reste toujours d’actualité comme dans toutes les autres filières ». C’est pourquoi les commissions porcines et BEA de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV) proposent aux vétérinaires depuis 2017 un module de formation afin qu’ils puisent ensuite diffuser leurs connaissances à leurs clients éleveurs, ainsi qu’aux techniciens. Selon notre confrère, cette formation, qui avait été dispensée à 73 vétérinaires (au 11 octobre 2018) ayant eux-mêmes formé environ 150 éleveurs et techniciens fin mars 2019, a un réel intérêt pour les vétérinaires qui, jusqu’à présent, étaient « plutôt invisibles et probablement pas très reconnus sur ce thème ». Or les clients sont très demandeurs. De même, la Direction générale de l’alimentation (DGAL) s’est dite intéressée par la démarche, même si « elle attend encore toutefois des preuves d’efficacité de ces formations et l’engagement des éleveurs sur le terrain dans une démarche d’amélioration de leurs pratiques quotidiennes ».
Enfin, la révolution numérique actuelle apporte son lot d’outils en faveur du BEA en élevage, dont le vétérinaire pourra bénéficier. Ainsi, selon Dorothée Ledoux, de VetAgro Sup, les outils digitaux actuellement disponibles en élevage sont d’une telle capacité technique qu’ils offrent un large éventail de possibilités pour le vétérinaire et l’éleveur d’utiliser les signes comportementaux des animaux pour suivre leur état de bien-être (santé, relations sociales, relation homme-animal ou stress liés à un environnement contraignant ou à des événements). « Le vétérinaire devra s’approprier les données issues de ces capteurs pour enrichir son évaluation du BE des animaux tout en validant au préalable les données techniques obtenues », a-t-elle ajouté. Par exemple, avec des outils initialement développés pour la détection des chaleurs des animaux, le praticien peut déterminer s’ils sont malades (isolement, comportement alimentaire modifié, etc.) et donc évaluer leur mal-être. De même, les émotions des animaux pourraient être détectées par les changements de postures, d’expression faciale, de sons émis. Le vétérinaire, grâce à un accès en temps réel aux mêmes informations que l’éleveur, jouera son rôle de conseil auprès des éleveurs en cherchant les causes de mal-être et en élaborant des plans d’amélioration du BEA.
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3 CIWF, LFDA, OABA.