ENTRETIEN
PRATIQUE MIXTE
L'ACTU
Auteur(s) : PROPOS RECUEILLIS PAR FRÉDÉRIC THUAL AVEC CLOTHILDE BARDE
À l’occasion des journées nationales des groupements techniques vétérinaires (GTV) à Nantes (Loire-Atlantique), Christophe Brard, président de la SNGTV, revient sur les mutations et les nombreux défis auxquels celle-ci doit faire face pour répondre aux attentes des vétérinaires exerçant en productions animales.
Vous avez supprimé le thème central des journées nationales des groupements techniques vétérinaires (GTV) au profit de multiples thématiques et ateliers. Pourquoi avoir engagé ces changements ?
Nous avons apporté un regard critique sur nos habitudes afin de voir de quelle manière nous pouvions être plus performants dans l’organisation de ce congrès. En supprimant le thème central au profit de thématiques développées sur une journée ou une demi-journée, nous avons voulu mettre en avant la pluralité de l’offre pour que les praticiens ne se focalisent pas sur un thème, se disant : « Il ne m’intéresse pas, donc je ne viens pas au congrès ». Le risque était qu’ils ne regardent pas le programme pour se rendre compte de la diversité proposée. Le programmeest le fruit d’un an de travail pour le comité scientifique, en concertation avec les 18 commissions techniques de la Société nationale des GTV (SNGTV), par espèces ou thématiques, qui associent praticiens et consultants, notamment des enseignants des écoles vétérinaires. Pour cette édition, nous avons réuni 360 congressistes, 100 conférenciers, 55 exposants, 160 étudiants des 4 écoles vétérinaires et des praticiens belges et du Maghreb. Au total, plus de 1 200 personnes sont venues au rendez-vous “numéro un” de la formation vétérinaire en productions animales.
Le thème de ces journées est « La rurale dans tous ses états ». Dans quel état trouvez-vous la rurale actuellement ?
La profession n’est pas en mauvais état dans le domaine des productions animales. Il y a du travail et des perspectives. De nombreuses structures d’exercice professionnel ont déjà mis en place des démarches de plus en plus axées sur la prévention et la vaccination, le suivi personnalisé des élevages, des offres de services en matière de reproduction, de qualité du lait, de maladies néonatales, de suivi parasitaire des élevages, par exemple. De l’éleveur jusqu’aux transformateurs et distributeurs, les filières évoluent. L’important est de pouvoir adapter la profession à ces évolutions.
Le premier congrès des GTV sur l’antibiothérapie date de 2010. Ce sujet est devenu prégnant et le premier plan ÉcoAntibio a été lancé en 2012. Nous avons un rôle d’éveil. Notre objectif est d’amener les praticiens à s’emparer des thématiques d’avenir, de les accompagner et de les former pour qu’ils soient en mesure de répondre aux besoins des filières et de la société. Aujourd’hui, nos travaux portent sur le bien-être animal, l’environnement, tel l’impact des traitements antiparasitaires dans les milieux humides.
Actuellement, nous sommes confrontés à un problème de désertification de vétérinaires dans certaines zones où le nombre d’élevages diminue, qui va s’étendre rapidement à des régions de moyenne densité d’élevages. Il s’agit de définir comment la profession peut continuer à offrir des services et la continuité de soins aux éleveurs. C’est toute la question du recrutement, mais aussi de la volonté des éleveurs à continuer à travailler avec leurs vétérinaires. Les praticiens ont du mal à recruter en milieu rural, mais pas uniquement là. Beaucoup de jeunes arrivent en école vétérinaire avec une vision complètement décalée de la réalité du métier. Cela crée des déceptions et certains n’exercent pas à la sortie de leurs études. Des travaux sont en cours à ce sujet avec l’administration et les écoles vétérinaires. C’est l’un des axes de la feuille de route pour le maintien de vétérinaires sur le territoire rural et en productions animales, lancée par le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll et poursuivie par son successeur, Didier Guillaume.
Les vétérinaires ruraux doivent-ils s’attendre à voir arriver des groupes comme Anicura ou Evidensia ?
Pour l’instant, les structures d’exercice à dominante rurale ne semblent pas être une cible prioritaire pour ces groupes. Les modèles se développent en canine, sur des grosses structures. C’est la première étape. Ces groupes s’orienteront ensuite vers des structures plus petites. Cependant, on parle de clientèles qui auraient été contactées en milieu rural… L’avenir et le marché diront quel est le virage à prendre. Il ne faut rien rejeter a priori. Pour des structures d’exercice qui fonctionnent avec 80 % de canine et 20 % de rurale et qui s’interrogent, ce peut être une solution.
Quel est l’impact de la e-santé sur la profession vétérinaire ?
Quand on parle de e-santé, on peut craindre l’amoindrissement de l’expertise vétérinaire, alors qu’au contraire nous en aurons encore plus besoin. Avec les objets connectés, les praticiens disposent déjà d’une multitude de données sur les animaux et leur environnement.
Ces données, transmises au fil de l’eau, permettent, par exemple, d’intervenir bien avant que des symptômes de maladies n’apparaissent. En parallèle, il faut avoir des outils performants pour récolter, analyser et valoriser les données. Pour l’instant, les productions animales sont le secteur où il y a le plus d’objets connectés, tant sur les animaux que sur leur environnement. L’évolution de ces outils, importante et très rapide, permettra aux vétérinaires d’être plus efficients. C’est la notion de vétérinaire “augmenté”. Il faut néanmoins que les vétérinaires se donnent les moyens d’avoir accès à ces données.
On a vu cependant peu de start-up dans les allées des journées nationales des GTV…
Il y en a peu, c’est vrai. Mais avec l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac) et l’Association vétérinaire équine française (Avef), nous avons organisé une journée dédiée à la médecine vétérinaire connectée (e-Vet), dont la première édition a eu lieu en janvier, avec une dizaine de start-up. La prochaine aura lieu début 2020. Cela dit, notre exposition commerciale leur est complètement ouverte. Certaines sont présentes, sans stand, avec un simple badge. C’est un premier pas. L’année prochaine, nous les solliciterons directement.
Quel rôle peut avoir la jeune génération dans la digitalisation de la profession ?
L’informatisation, l’utilisation de logiciels pour le suivi des élevages constituent un grand challenge pour la profession. À titre d’exemple, beaucoup de vétérinaires en rurale font encore leurs ordonnances à la main, alors que l’idéal serait d’avoir une informatique embarquée. Cela sécuriserait leurs prescriptions au regard de la réglementation et les données pourraient être utilisées pour assurer le suivi des élevages. C’est tout l’enjeu de la production de données par les vétérinaires, comme le permet notamment notre logiciel Vetélevage en filière bovine. Nous attendons donc beaucoup des jeunes qui vont arriver avec des connaissances en informatique, en numérique, que n’ont pas forcément tous les praticiens. Dès le départ, ils vont apporter leurs compétences.
En tant qu’organisme de formation, quelles nouvelles formations allez-vous mettre en œuvre pour les vétérinaires ?
Nous avons mis en place un groupe de travail pour revoir notre offre de formation en présentiel et pour développer les téléformations. Nous sommes en contact avec des sociétés spécialisées dans ce dernier domaine. Il s’agit de développer des modules, en direct, permettant des interactions entre le formateur et les participants, ou en différé. Le modèle économique reste à finaliser : à la séance, par abonnement. Des téléformations de 30 à 45 minutes, sur un sujet précis ou par cycles sur une thématique, correspondent aux nouvelles attentes des praticiens. Ces téléformations sont complémentaires des formations en présentiel. Comme le témoigne notre congrès, la présence physique est essentielle : c’est un vrai moment de convivialité où les praticiens se retrouvent et peuvent échanger avec tous les acteurs des productions animales.
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