Première greffe rénale chez un chat en France - La Semaine Vétérinaire n° 1815 du 28/06/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1815 du 28/06/2019

UROLOGIE

PRATIQUE CANINE

L'ACTU

Auteur(s) : LORENZA RICHARD  

Fin mai, dans une clinique rhodanienne, un jeune chat insuffisant rénal a bénéficié de la greffe d’un rein de l’autre chat de son foyer. Une intervention qui ouvre la porte à une formation des vétérinaires à ce type d’intervention.

Des chirurgiens urologues ont réalisé avec succès la première transplantation rénale chez un chat en France. L’intervention, réalisée conjointement par deux chirurgiens de l’hôpital édouard-Herriot de Lyon (Rhône) et par nos confrères Julien Edet et Vincent Risse, a été effectuée, le 31 mai, à la clinique vétérinaire des Pierres Dorées, à Saint-Didier-au-Mont-d’Or (Rhône), chez un chat en insuffisance rénale terminale. Une prouesse largement relayée dans les médias grand public. Entretien avec Julien Edet.

Comment avez-vous pris la décision de réaliser une greffe rénale chez un chat ?

Julien Edet : Un ami professeur en uro-néphrologie humaine m’avait proposé son aide pour la réalisation d’une transplantation rénale chez un chien ou un chat si un cas se présentait. Le 22 mai, nous avons vu un chat chartreux femelle de 3 ans pour abattement et vomissements. La palpation a révélé une déformation des reins et le bilan sanguin a confirmé une insuffisance rénale sévère (SDMA1 : 52 µg/l, créatinine > 130 mg/l, urée : 2,6 g/l, phosphore : 109 mg/l)2. Aucune amélioration n’a été observée après 48 heures de perfusion. La greffe nous a semblé envisageable car le chat atteint était âgé de 3 ans et les propriétaires avaient un second chat européen mâle du même âge, qui pouvait être donneur. Nous leur avons proposé l’opération, en les informant des risques et du suivi pour les deux chats. Un bilan sanguin (numération-formule, biochimie, ionogramme, tests FIV/FeLV et test T4), un examen cytobactériologique des urines, un test de coagulation et un test de compatibilité ont été réalisés chez les animaux. Ils se sont révélés être tous les deux du groupe A. Aucune maladie concomitante n’a été détectée.

Comment s’est déroulée l’intervention ?

J. E. : Une consœur a effectué une échographie des reins du donneur, afin de vérifier qu’il n’y avait aucune lésion et de mesurer les diamètres des artères et veines rénales. Le 31 mai, deux chirurgiens nous ont prêté assistance lors de la chirurgie. Le rein gauche a été prélevé chez le donneur, car les vaisseaux rénaux sont plus longs de ce côté. Le protocole de préparation du greffon, très précis, a été réalisé par les chirurgiens. Le greffon doit notamment être placé dans de la glace stérile et être perfusé par une solution particulière, l’IGL-1®, pour éliminer tout résidu d’urine et conserver les tissus. Il a été placé en position caudale droite chez le receveur, en abouchant l’artère rénale à l’aorte, la veine rénale à la veine cave, et l’uretère à la vessie, tout en laissant en place les reins non fonctionnels. Dès le lendemain de l’intervention, l’amélioration était significative, et le bilan sanguin effectué trois semaines après montre une reprise fonctionnelle parfaite du greffon (SDMA : 11 µg/l, créatinine : 25 mg/l, urée : 0,7 g/l, phosphore : 28 mg/l). Un Doppler a confirmé sa bonne vascularisation.

Quel est le suivi des chats ?

J. E. : Le receveur suivra un traitement immunosuppresseur à vie (ciclosporine et corticoïdes). Nous devons encore ajuster la posologie. Nous envoyons les dosages en laboratoire humain, qui donne les résultats en 48 à 72 heures, contre environ trois semaines en laboratoire vétérinaire. Il restera également six mois sous anticoagulant et des contrôles réguliers seront réalisés. Le chat donneur est également suivi. Il vit normalement avec une alimentation adaptée.

Est-ce le premier chat greffé en France ?

J. E. : Des cas réussis de greffe de rein chez un chat sont publiés aux États-Unis. Leur absence en France nous a été confirmée par les centres de référés que nous avons contactés. La greffe doit être réservée à des cas spécifiques, selon l’âge de l’animal, la présence d’un donneur compatible ou la motivation des propriétaires face à un coût global important (entre 5 000 et 6 000 euros sans dialyse) et aux traitements lourds, etc. De plus, elle est exclue lors d’obstruction du bas appareil urinaire, de processus tumoral métastasé ou encore d’infections.

Le but est-il de vous former à cette technique ?

J. E. : Tout à fait. Nous irons suivre les chirurgiens à l’hôpital et les ferons revenir pour d’autres greffes rénales jusqu’à ce que nous soyons autonomes pour ce genre de chirurgie. Le but est, à terme, de former d’autres vétérinaires mais, dans un premier temps, il est important d’apprendre avec des chirurgiens qui réalisent cette intervention tous les jours et qui ont du recul et de l’expertise. De plus, les circuits d’approvisionnement en IGL-1® et en glace stérile, actuellement disponibles uniquement en hôpital humain, devront être reconsidérés.

Cela pose-t-il un problème éthique vis-à-vis du donneur ?

J. E. : Il est évident que le donneur ne donne pas son consentement, mais ce problème est le même pour n’importe quelle chirurgie, car la décision reste prise par le propriétaire. Dans ce cas, il s’agit de sauver une autre vie, mais les dérives doivent être évitées. Aux États-Unis, un donneur peut être choisi dans un refuge avec, en échange, une obligation d’adoption et de soins de l’animal.

Aux É tats-Unis, des centres de transplantation rénale ferment, qu’en pensez-vous ?

J. E. : Peut-être que les mauvais résultats de certaines facultés sont liés aux protocoles appliqués. Notre technique de préparation du greffon est celle qui est appliquée chez l’homme, mais nous n’avons aucun recul. Pour l’instant, le chat va bien, mais qu’en sera-t-il dans 6 mois ? Ce protocole est lourd et compliqué à mettre en œuvre, et chaque étape, même si elle peut paraître insignifiante, influe sur l’espérance de vie de l’animal. Nous réfléchirons à la suite à donner en fonction des résultats que nous obtiendrons.

1 SDMA : symetric dimethylarginine.

2 Normes Idexx : SDMA < 14 µg/l, créatinine < 24 mg/l, urée < 0,756 g/l, phosphore < 75 mg/l.