ENTRETIEN AVEC CHRISTOPHE HUGNET
ACTU
Auteur(s) : PROPOS RECUEILLIS PAR TANIT HALFON
Promouvoir, revendiquer et défendre l’indépendance financière vétérinaire. Tel est l’objectif général du nouveau collectif vétérinaire Sevif. Christophe Hugnet, praticien dans la Drôme et un de ses membres fondateurs, explique leurs ambitions.
Quel est le contexte de la création du Sevif (Structures et établissements vétérinaires indépendants de France) ?
L’indépendance vétérinaire, qui était la base de notre profession, se trouve mise à mal depuis quelques années par de nouvelles formes de sociétés qui permettent l’accès à des capitaux extérieurs aux praticiens. De plus, un certain prosélytisme ambiant et récurrent promeut l’arrivée de ces financiers. Face à ces constats, plusieurs de mes collègues vétérinaires et moi-même avons décidé de créer, début mai, un groupe pour promouvoir, revendiquer et défendre l’indépendance financière des structures et établissements vétérinaires.
Qui compose ce groupe et comment fonctionne-t-il ?
Nous sommes un collectif de vétérinaires, pas seulement praticiens, qui partagent les mêmes préoccupations. Pour l’instant, le groupe dispose uniquement d’une page Facebook, sur laquelle les vétérinaires intéressés peuvent s’inscrire. Nous prévoyons d’évoluer en association loi 1901 et, dans ce cadre, employer d’autres moyens de communication. Voire, à long terme, créer un syndicat, pourquoi pas ?
Quels sont vos objectifs ?
L’indépendance d’exercice prévue par la réglementation et la déontologie vétérinaire n’est pas suffisante à nos yeux si elle n’est pas garantie par l’indépendance financière.
Dans ce cadre, nos objectifs sont de promouvoir la pertinence de l’indépendance financière et du modèle que l’on connaît depuis des années ; de rassurer les collègues sur la pérennité de leurs structures, notamment lorsqu’il s’agit de trouver des repreneurs ; et de conforter les nouveaux diplômés quant à l’avenir de cette vision. Nous souhaitons également faire savoir au public l’intérêt et la garantie apportés par l’indépendance vétérinaire, mais aussi que la structure vétérinaire s’inscrit dans une économie uniquement locale. Les clients pourront choisir en connaissance de cause… Enfin, nous visons un rapprochement avec des groupements similaires existants dans d’autres pays, ainsi que des mouvements français d’indépendants comme ceux des biologistes en médecine humaine.
La loi Dadue 2 1 n’est-elle pas suffisante pour garantir l’indépendance vétérinaire ?
Les contournements existent. Le plafond des 49 % semble pouvoir être dépassé par différents montages juridiques parfois très discutables sur le plan de la légalité. En outre, les actionnaires non vétérinaires ne doivent pas pouvoir influencer des décisions qui iraient à l'encontre du Code de déontologie. Des exemples sont connus à l’étranger : dans certaines structures, les vétérinaires ne peuvent qu’appliquer des procédures standardisées systématiques dans un objectif de rentabilité des appareils d’analyses biologiques, alors qu’aucune justification médicale n’existe… Des objectifs de rentabilité à deux chiffres peuvent également être demandés. Ce fonctionnement ne s’inscrit pas dans une démarche scientifique de réflexion, ni dans un dialogue permanent avec nos clients. En France, les échanges que nous avons avec des biologistes en santé humaine montrent que l’exercice au quotidien dans une structure financiarisée est très différent de celui connu lorsque l’indépendance capitalistique existait. Une indépendance financière totale est la seule garantie que les choix thérapeutiques ne seront dictés que par les acteurs de ces mêmes structures.
Les vétérinaires salariés, ou les collaborateurs libéraux, ne sont pas actionnaires des entreprises pour lesquelles ils travaillent : leur indépendance est-elle compromise ?
Nous pensons possible de développer des modalités d’implication des salariés. Il existe, par exemple, des dispositifs d’intéressement qui permettraient de les impliquer davantage dans les prises de décision de leur structure. Notre groupe fera des propositions dans le cadre d’une charte dans le respect de la réglementation.
Que pensez-vous des évolutions récentes de la profession, avec l’arrivée des groupes Anicura et IVC-Evidensia, ou encore l’inscription de Cerba Vet à l’Ordre ?
Nous ne souhaitons pas que la doxa ambiante dans le monde vétérinaire soit de marteler à outrance que, sans financiarisation de notre profession, il n’y aura pas de salut. La réalité est tout autre. L’avenir des structures et établissements vétérinaires indépendants existe et il est radieux. Il serait temps que les vétérinaires comprennent que, si notre profession attise les appétits des investisseurs, c’est bien que notre profession est attractive !
Que répondez-vous aux vétérinaires qui ont choisi ce mode de fonctionnement ?
Libre à chacun d’exercer selon ses possibilités et convictions. Nous espérons sincèrement qu’ils ne subiront pas leur mode d’exercice.
Quel est l’avenir de la profession vétérinaire ? Un exercice en réseau ?
La pertinence du travail en réseau et en confraternité n’est plus à démontrer. L’indépendance reste cependant indispensable, en particulier vis-à-vis de l’amont – fournisseurs, laboratoires, petfooders, etc. – et l’aval – éleveurs, coopératives, GMS2, assureurs, etc. – de la profession. C'est une garantie, pour nos clients, que nos choix sont raisonnés et non imposés.
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1 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1549 du 30/8/2013, pages 10 et 11. La loi, découlant de la directive services européenne, permet une détention de 49 % du capital et des droits de vote par des non-vétérinaires.
2 Grandes et moyennes surfaces.