DOSSIER
Dans un contexte d’évolution structurelle des cliniques et de difficultés de recrutement, la profession vétérinaire prend peu à peu conscience de l’importance des compétences managériales. Face à des salariés qui aspirent au bien-être au travail et à des entreprises qui requièrent du savoir être, les relations humaines y apparaissent comme un facteur clé de la réussite des entreprises.
La clé de la réussite, c’est le bien-être au travail », témoigne Anne Berthelot, à la tête d’un petit cabinet vétérinaire, à Château-la-Vallière en Touraine, qui emploie un collaborateur libéral depuis un an et demi et deux auxiliaires spécialisées vétérinaires (ASV), dont une à mi-temps. Faute d’avoir pu mener à bout un projet d’association, elle a voulu améliorer le cabinet existant. À tous les niveaux (politique de prix, communication, relation dans l’équipe) en faisant appel à un consultant extérieur. Pour les salariés mais aussi pour elle. Pour acquérir les bases du management. « D’abord, cela m’a appris à différencier les sa lariés : c hacun a des envies, des motivations différentes…, détaille-t-elle. Après coup, c’est le jour et la nuit. Le relationnel a changé, on est plus à l’écoute, on communique mieux, on lève des freins, on prend les devants et du recul, et finalement, pour moi, c’est beaucoup plus facile. Même la clientèle en parle et trouve l’ambiance plus sereine. » Que ce soit dans un cabinet ou dans un centre hospitalier vétérinaire (CHV), la question des relations humaines émerge, et avec elle celle des compétences managériales. « La prise de conscience date de 2010. À l’époque, nous avons commencé à nous poser beaucoup de questions. D’autant qu’avec les difficultés de recrutement, cabinets et cliniques ont eu tendance à intégrer de nouveaux collaborateurs par défaut. Et là, se posent des questions autour du comment je gère les relations avec quelqu’un dont je ne partage ni les valeurs ni la vision, comment je lui demande de faire son travail, comment je fais en sorte qu’il s’intègre à l’équipe… Aujourd’hui, on est obligé de composer », remarque Hélène Villarroya, business development et accompagnement des managers pour la société de conseil Adévet. Habitué à visiter les cliniques vétérinaires, Pierre-Marie Cadot, président de l’association Ergone, en convient. « Souvent, dans les cliniques, on constate un manque de vision harmonisée des dirigeants sur le développement de l’entreprise. Trop occupés par leur fonction de vétérinaire, ils ont du mal à prendre du temps pour manager et gérer leur entreprise. Parfois, ils investissent dans des talents, mais ce manager est soit spécialisé dans le contrôle de gestion, soit dans les ressources humaines ou la communication. Le mouton à cinq pattes n’existe pas. Pour se développer, il est donc essentiel d’avoir une gouvernance harmonisée et une vision raccord entre associés pour décider des investissements ou des spécialités à mettre en œuvre. Et d’apprendre à déléguer pour éviter que le management se fasse au détriment de la pratique, de la vie familiale et des loisirs. »
Dans les Pays de la Loire, le réseau de compétences Excelvet, créé autour de sept structures juridiques, 23 sites vétérinaires, 30 associés physiques, 95 vétérinaires et 100 ASV a vécu ces moments difficiles. « C’était une histoire locale avec des gens qui se connaissaient, qui avaient des relations saines. Alors, nous avons d’abord pris en main les beaux sujets, déployé toute l’expertise nécessaire… Nous étions très bons pour mettre en place des usines à gaz. Nous avions du mal à fédérer, à recruter. Bref, ça pédalait dans la semoule », explique Pascal Chenneveau, l’un des cinq associés d’un cabinet mixte, comprenant 12 vétérinaires, 9 assistantes et trois sites d’exercice. L’accompagnement réalisé par l’équipe de Taolia va porter ses fruits. « On devait faire quelque chose, mais on ne savait pas quoi ! Elle nous a aidés à nous poser les bonnes questions », dit-il. Tout a été remis à plat, avec la création d’une nouvelle gouvernance, l’élaboration d’un plan stratégique 2023, la structuration du groupe en mode projet associant vétérinaire et ASV, le changement du modèle économique, la mise en œuvre d’un plan de formation annuel pour élever le niveau de compétences et la qualité dans les cliniques et le groupement, la communication, la création d’une marque employeur… « Et surtout, nous avons recruté une DRH. Une ancienne ASV qui pilote les formations, les recrutements… et cherche à placer les bonnes personnes au bon endroit, se félicite Pascal Chenneveau. « Ça ne se traduit pas par 3 % de chiffre d’affaires en plus, poursuit-il. Mais l’ambiance n’est plus du tout la même, on organise des barbecues, des fêtes à Noël, des sorties au bowling… Il y a dix ans, jamais on n’aurait imaginé en arriver là. Et, aujourd’hui, on ne recrute pas de la même façon. Le savoir être est devenu plus important que le savoir-faire. C’est un vrai changement de mentalité. Pour ça, il a fallu sortir les gens de leur zone de confort. » Un exemple qui rejoint le constat de Pierre Mathevet, fondateur du cabinet de consultants Tirsev, spécialisé en management. « Pendant des années, avec un ou deux vétérinaires, on s’arrangeait. Ceux à qui ça ne plaisait pas partaient ailleurs. Aujourd’hui, avec des structures qui comptent cinq ou six vétérinaires et une quinzaine d’ASV, ce n’est plus possible. Il y a nécessité de professionnaliser l’approche et de remettre à plat l’organisation des cliniques. Sachant que l’on ne peut manager plus de neuf personnes à la fois, il est nécessaire de créer du management intermédiaire, des pôles d’ASV… et il faut prendre conscience de devoir dégager du temps pour cela. Ça ne peut plus être réservé à celui du bureau du fond. »
Avec les regroupements des cliniques vétérinaires, l’arrivée de grands groupes étrangers, et plus radicalement, avec l’arrivée des nouvelles générations de vétérinaires, et les difficultés de recrutement inhérentes à des attentes beaucoup plus affichées que par leurs aînés, les carences des organisations vétérinaires ont été mises en exergue et ont fait émerger la nécessité de monter en compétences les pratiques de management. « Les problématiques de taille et d’animation des équipes, des lieux de travail sur plusieurs sites complexifiant la communication interne, les performances économiques, etc., tout cela n’a pas été appris pendant le cursus vétérinaire. D’ailleurs, je ne suis pas sûr que l’école soit faite pour animer une équipe, devenir un leader ou savoir comment implémenter le changement. En revanche, on va trouver pléthore de choses sur Internet pour devenir dirigeants et il ne faut pas hésiter à fréquenter les clubs d’entrepreneurs, à rencontrer des confrères, à assister aux conférences des chambres de commerce et d’industrie, à participer à des ateliers de créativité… Bien sûr, il faut un peu de courage, savoir se remettre en question », conseille Christelle Fournel, ex-enseignante en management à Maisons-Alfort et docteure en sciences de gestion. Les écoles y viennent petit à petit, bien que l’approche reste encore beaucoup tournée sur la gestion d’entreprises plus que sur les relations humaines. En lien notamment avec le nouveau référentiel de l’enseignement vétérinaire1 qui met en avant les compétences à maîtriser, dont celles relatives au management, le jour de l’obtention du diplôme. « Ce n’est pas la même chose de demander aux étudiants d’expliquer un plan comptable plutôt que de dire : quelles sont les décisions comptables que vous prenez si votre trésorerie est dans telle situation à la fin du mois ? On passe d’une logique de connaissances à une logique de compétences », résume Florence Beaugrand, maître de conférences en économie gestion en charge des questions de management dans le cursus vétérinaire à Oniris, à Nantes.
« L’école n’est pas forcément le lieu idéal pour acquérir les compétences managériales, en revanche, les périodes de stages peuvent être activement mises à profit pour s’initier aux conditions managériales, à l’animation d’équipe, voir ce qui existe, ce qui marche ou non, dans des univers qui peuvent être variés », estime, quant à lui, Pierre Sans, enseignant en économie à l’École nationale vétérinaire de Toulouse. De son côté, Jérôme Rive, professeur à l’institut d’administration des entreprises (IAE) de l’université de Lyon (Rhône), fut l’un des premiers à ouvrir la formation continue aux vétérinaires avec la création du master 2 management et aménagement des entreprises (MAE). Pour lui, «
l’une des problématiques est de manager ses pairs. Ça devient d’autant plus vrai que la nouvelle génération se presse vers le salariat.
» Reste que le MAE, ouvert à la formation continue, qui accueille 15 à 20 personnes par an, livre seulement 30 % de diplômés. Finalement, qu’est-ce qu’un bon manager ? «
Peu importe qu’il soit homme, femme, jeune ou vieux, c’est
quelqu’un qui doit être capable de gérer le quotidien d’une équipe, de répartir les tâches, de les organiser et de les contrôler. Il doit insuffler une énergie, faire fonctionner l’équipe, mais aussi la faire grandir, par l’acquisition de nouvelles compétences pour mettre en œuvre de nouvelles méthodes de travail selon l’orientation prise par la clinique
», détaille Hélène Villarroya. Bien se connaître est essentiel pour que la prise de décision soit claire entre associés. « La relation interpersonnelle est une des clés de la motivation. Il faut être capable d’emmener les gens vers une vraie transformation. Le manager est un pépiniériste. La mise en place peut prendre plusieurs mois. Elle peut est considérée comme un investissement coûteux et, pourtant, c’est extrêmement rentable », souligne Pierre Mathevet. «
Il doit faire preuve d’un leadership assumé et accepté par l’ensemble des équipes
», ajoute Pierre-Marie Cadot. Pierre Mathevet prévient : « Le management, ce n’est jamais fini. C’est exponentiel
! »
•
LES QUATRE ÉCOLES VÉTÉRINAIRES ENTRENT DANS LE JEU
DES OUTILS AU SERVICE DU MANAGER
« L’IMPORTANT, C’EST DE RÉAPPRENDRE À SE DIRE LES CHOSES »