DOSSIER
Auteur(s) : CHANTAL BÉRAUD
Le transport des animaux vivants de rente doit se conformer à une série de mesures respectant leur bien-être. Pourtant, des cas d’inaptitudes au transport, des souffrances, des blessures et même des morts sont régulièrement pointés du doigt. Des acteurs de la protection animale rendent compte du chemin à parcourir .
De 2009 à 2015, le nombre d’animaux de rente transportés à l’intérieur de l’Union européenne (UE) a augmenté de 19 %, passant de 1,25 à 1,49 milliard. La quantité de porcs, de volailles et de chevaux s’est accrue, alors que celle des bovins, moutons et chèvres a diminué. En théorie, ce trajet doit se conformer à une série de mesures respectant le bien-être animal (BEA). Pourtant, des dérives sont régulièrement dénoncées par des associations de défense des animaux.
L’eurodéputé Éric Andrieu (réélu en mai 2019) le réclame également : « Certaines pratiques, contraires aux normes européennes les plus élémentaires en matière de protection animale, doivent être lourdement sanctionnées. » Car « Nul ne transporte ou ne fait transporter des animaux dans des conditions telles qu’ils risquent d’être blessés ou de subir des souffrances inutiles », stipule l’article 3 du règlement n °1/2005 du Conseil européen en date du 22 décembre 20041. Et de définir une série de mesures de protection ad hoc : véhicules adaptés, chauffeurs formés au transport d’animaux vivants, encadrement des temps de route et de repos, définition précise de l’aptitude au transport (notion précisée et transposée dans l’article R.214-52 du Code rural français2), abreuvement et alimentation en cours de voyage, contrôles lors du trajet et sanctions à mettre en place par les autorités nationales en cas de non-respect desdits articles… Enfin, plusieurs guides pratiques propres à chaque espèce sont consultables sur Internet.
Cependant, diverses organisations de protection animale dénoncent des scandales récurrents (dans et hors de l’Union européenne). Ce que confirme Agathe Gignoux, chargée d’affaires publiques pour l’association Compassion in World Farming (CIWF) France, organisation dédiée au BE des animaux d’élevage : « Dans nos enquêtes, parmi les infractions les plus fréquemment constatées, on trouve : le dépassement des temps de transport maximum autorisés avant repos. Le transport d’animaux non aptes (blessés ou prêts à mettre bas). Le dépassement des températures maximales autorisées. L’absence de dispositifs d’abreuvement adéquats. Un espace disponible en hauteur insuffisant. Des conditions de transport non respectées pour les voyages de plus de 8 heures, etc. ». Quant aux animaux exportés vivants hors d’Europe, ils souffrent parfois de véritables calvaires, selon elle… « Le premier des problèmes, confirme Agathe Gignoux, c’est un système où nous acceptons des transports de longue durée, ainsi que des exportations hors de l’UE. Car le risque en matière de protection animale est proportionnel au temps de transport : plus c’est long, plus les animaux souffrent. Et pour l’export hors UE, s’ajoute le problème de l’absence de normes minimales dans une grande partie des pays de destination. »
Comment de telles dérives, aboutissant à des souffrances et parfois à la mort de certains animaux, sont-elles possibles ? « Il n’y a pas assez d’inspections au chargement des camions, commente Agathe Gignoux. En France, leurs départs sont trop souvent programmés sans tenir compte de l’inspection. C’est pourquoi l’une de nos demandes est le changement de cette organisation, pour que les inspections puissent avoir lieu à des horaires humainement et administrativement possibles ! Nous voudrions que 100 % des inspections se fassent au moment du chargement pour les transports de plus de 8 heures. Nous demandons également la présence d’un vétérinaire à bord des navires et qu’il y ait systématiquement une fiche récapitulative d’émise relative aux problèmes et aux infractions commises lors des transports maritimes. Enfin, certains carnets de route, pourtant validés par les autorités (françaises ou autres) sont irréalistes, en prévoyant, par exemple, des temps de transport ou des trajets impossibles à tenir ». Selon elle, « en France, la profession vétérinaire soutient, dans son ensemble, l’objectif d’amélioration des conditions de transport de ces animaux 3 . Mais il existe un véritable manque d’effectifs et de moyens pour faire respecter la législation et pour réaliser un nombre de contrôles cohérent par rapport au nombre d’animaux transportés ».
Cette accusation est aussi relayée par Michel Courat, vétérinaire, délégué coordinateur de l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA), qui fut de 2008 à 2016 expert sur ce sujet pour l’association Eurogroup for Animals 4. En effet, comme il l’indique : « J’ai lu des rapports adressés à la Commission européenne concernant les contrôles annuels effectués pays par pays, qui étaient plus que fantaisistes. En Pologne, j’ai même lu une fois que 400 % des animaux avaient été inspectés. Mais examinons aussi les données transmises par la France en 2017. On y lit qu’il y a eu 2 045 inspections de réalisées, dont seulement 351 (soit à peine 10 %) concernant des transports de plus de 8 heures (alors que c’est là que se concentrent les risques principaux) ». Par ailleurs, sur ces 2 045 contrôles effectués, 1 308 l’ont été en abattoirs, 46 sur les marchés, etc5. Enfin, pour cette même année, toujours dans la base de données vétérinaire nationale Sigal, il est noté qu’au total, en 2017, seules 46 sanctions pénales ont été enregistrées : dont cinq pour transport sans autorisation, quatre pour conduite sans certificat de compétence, sept pour véhicule non conforme et 30 pour des animaux inaptes au transport. « Qu’est-ce que je déduis de tels chiffres ? », questionne Michel Courat. « Eh bien, qu’il y a une volonté politique française délibérée depuis des années de réduire l’essentiel des inspections aux seuls abattoirs. Et même en abattoirs, dans la réalité, il y a très peu de contrôles effectués au déchargement des camions. Les contrôles sont souvent réalisés après le déchargement, et parfois il n’y a même pas de contrôle. Or, inspecter les animaux dans les locaux où ils sont logés avant l’abattage ne permet pas, la plupart du temps, de mettre en lumière les infractions liées au transport. Une solution pourrait être de permettre l’installation de caméras vidéo à ce poste-là, vidéos dont les enregistrements pourraient être visionnés sur demande par les organisations de protection animale et par les services vétérinaires. De plus en plus d’abattoirs mettent en place ce système, notamment à la demande des distributeurs, comme Carrefour vient de le faire ».
« Enfin, une bonne partie de la profession française des transporteurs ne semble pas opposée à ce qu’il y ait davantage de contrôle dans les camions, pour valoriser la grande majorité des professionnels qui respecte la législation, poursuit Michel Courat. Alors, à quand la chasse aux “moutons noirs” en leur sein ? C’est-à-dire à ceux qui entassent des bovins en surdensité, dont les camions ne sont pas équipés suffisamment contre le froid, la chaleur, où les litières de mauvaise qualité ou des temps de transport excessifs génèrent des glissades et des blessures ? À quand la fin des vêlages dans des camions ou même en abattoir ?» Depuis quelques mois, l’OABA, en collaboration avec CIWF France et La Fondation droit animal, éthique et sciences (LFDA), travaille aussi sur une autre piste d’amélioration : « Le groupe Casino, pour le poulet de chair et sa gamme Terre et saveurs a adopté un étiquetage de BEA qui concerne tout son cycle de vie, de sa naissance jusqu’à sa mort. Ce référentiel de qualité vérifie qu’un transport correct et contrôlé de l’animal a bien été réalisé. Cet étiquetage sur le BEA a vocation à devenir national, voire international, et à se généraliser à d’autres espèces, avec d’autres groupes coopératifs et d’autres enseignes de distribution qui y adhéreront dans le futur. Aujourd’hui, des améliorations ont lieu au sein des abattoirs. Il faudra bien que le transport suive une évolution positive similaire, j’espère d’ici les deux ou trois ans à venir ».
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3 Voir trois avis de vétérinaires dans La Semaine Vétérinaire nos 1816 et 1817 des 5 et 12/7/2019, page 7.
4 Association européenne qui regroupe 55 associations nationales de défense des animaux, présentes dans 24 des 27 pays européens.
LE POINT DE VUE DU MINISTÈRE DE L’AGRICULTURE ET DE L’ALIMENTATION
LOÏC DOMBREVAL : « LE RESPECT DU VIVANT DOIT ÊTRE INTÉGRÉ COMME UN COÛT DE TRANSPORT SPÉCIFIQUE »