ENTRETIEN AVEC ROXANE PERRIN
ACTU
Auteur(s) : PROPOS RECUEILLIS PAR VALENTINE CHAMARD
Pour notre consœur, l’intelligence artificielle sera présente dans les structures vétérinaires dans un avenir proche. Cela passera par une évolution de la formation initiale et la conception de logiciels métiers adaptés. Des opportunités seront aussi offertes aux futurs vétérinaires data scientists.
Notre consœur Roxane Perrin (A 19) est l’auteure d’une thèse sur le thème de l’intelligence artificielle (IA) et des données de masse en médecine vétérinaire1, soutenue en juin 2019. Elle livre son analyse de la place que ces nouvelles technologies prendront pour le praticien.
L’IA fera-t-elle partie de la pratique vétérinaire de demain ?
Elle sera à mon avis au centre de nombreux outils intégrés à la pratique. Elle sera aussi une alliée pour se tenir au courant en temps réel des nouvelles données de la science, dans un genre de e-encyclopédie. Je pense qu’à court terme apparaîtront des aides au diagnostic et à l’interprétation des examens complémentaires (électrocardiogramme, imagerie médicale, anatomie pathologique, etc.). C’est la notion de “vétérinaire augmenté”. Mais il faudra pour cela que les vétérinaires soient formés (la formation initiale n’inclut pas encore ces notions) et qu’ils aient un esprit critique par rapport à ce qui leur sera proposé. Il est aussi essentiel que la profession soit vigilante et réfléchisse à l’impact de ces outils. Se pose aussi la question de la certification de ces dispositifs, pour lesquels subsiste un vide juridique.
Comment le praticien pourra-t-il gérer les données générées par les outils d’e-santé ?
La gestion d’un flux hétérogène de données, plus que leur quantité, est en effet une vraie question. Je pense que l’évolution des logiciels métiers est un point clé. Pour être exploitable, chaque donnée devrait pouvoir être enregistrée dans le dossier médical de l’animal. Le praticien devrait aussi pouvoir accéder à toutes ces informations sur une même plateforme (ce qui pose alors la question de l’appartenance des données…).
L’IA pourrait-elle être une menace pour la profession ?
Les outils utilisant l'IA vont à mon sens prendre une place de plus en plus importante dans tous les métiers, dont la profession vétérinaire. Des études scientifiques jugeant la qualité de ces outils seront indispensables pour en valider la pertinence. Le métier de vétérinaire a de multiples facettes et certaines d'entre elles me semblent peu menacées, mais d'autres plus. On peut se demander, par exemple, quelle place aura un spécialiste d'imagerie médicale si le taux d'analyse correcte faite par une IA dépasse celui de plusieurs spécialistes réunis ? Il est important de se poser ces questions avant d'être mis face au fait accompli. À plus court terme, le risque majeur, à mon sens, pour la profession est de rater le coche de la révolution numérique, qui est aussi une révolution sociétale. Il est inconcevable, face aux futurs clients de la génération Y, de ne pas être visible sur le Net, de ne pas savoir gérer sa e-réputation ou de ne pas proposer de rendez-vous en ligne. La question de la totale transparence des prix est aussi un point majeur.
Quels sont les enjeux du big data en médecine vétérinaire ?
Les grands groupes, ceux qui ont le pouvoir d’investir, sont conscients des enjeux des données de masse. Par exemple, aux États-Unis, Mars a lancé en 2018 le Pet Insight Project. Le groupe, associé aux cliniques vétérinaires Banfield, est en train d’équiper gratuitement les chiens de ces structures, avec un collier connecté. L’objectif est de confronter le dispositif avec la réalité de terrain sur des centaines de milliers d’animaux. Le groupe est ainsi en train de constituer une gigantesque base de données, la première en son genre.
Peut-on imaginer l’émergence de nouveaux métiers pour les vétérinaires ?
Je suis en effet certaine que de belles opportunités vont être offertes aux vétérinaires avec un double cursus orienté vers les nouvelles technologies. L’IA n’est rien sans les compétences métier associées. Nul doute que demain des vétérinaires data scientists seront recherchés par des entreprises. Par leur connaissance du terrain, ils ont leur place dans toutes les étapes de la mise en place des services de e-santé.
1 Roxane Perrin. « Émergence de l’intelligence artificielle et utilisation des technologies big data en médecine vétérinaire : importance de la sensibilisation des futurs vétérinaires ». Thèse de doctorat vétérinaire, ENVA, 2019.