ENTRETIEN AVECGILLES DÉSERT
ACTU
Auteur(s) : PROPOS RECUEILLIS PAR MARINE NEVEUX
La réforme des retraites est au centre de toutes les attentions. Le projet actuel pénalise fortement les professionnels libéraux que sont les vétérinaires. Notre confrère Gilles Désert, président de la Caisse autonome de retraites et de prévoyance des vétérinaires (CARPV), nous explique ses réticences et ses attentes.
L’actuel projet sur la réforme des retraites vous satisfait-il ?
Au sein de l’association Pro’Action Retraite, nous sommes opposés aux propositions du haut-commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye. Lors de la présentation de son rapport, le 18 juillet, il n’a d’ailleurs rien changé aux propositions déjà annoncées en octobre 2018 et déjà contestées. Par exemple, l’assiette du régime universel assise sur trois plafonds annuels de la Sécurité sociale (Pass) représente une somme importante pour permettre d’englober 98 % des Français dans un système général. Mais elle n’est pas adaptée aux professionnels libéraux. Si l’assiette des cotisations est maintenue à trois Pass, les cotisations des vétérinaires seront toutes intégrées dans le régime universel et il n’y aura plus de place pour les régimes complémentaires spécifiques des professionnels libéraux.
L’Union nationale des professions libérales (Unapl) a fait une demande de limite à 1,5 Pass ; au sein de Pro’Action Retraite, nous demandons un seuil de un Pass (40 000 €), car celui de 1,5 Pass déséquilibrerait beaucoup le régime des vétérinaires libéraux.
Le calcul de l’assiette de cotisation reste flou, rien de clair n’ayant été donné. Il est donc difficile de mesurer l’impact précis de cette réforme sur les cotisants.
En outre, le taux de cotisation envisagé à 28,12 % pour tout le monde étranglerait les professions libérales. Actuellement, ce taux est d’environ 18 %.
La CARPV n’a rien à gagner avec cette réforme. Aujourd’hui, le taux de rendement des retraites des vétérinaires libéraux est de 7,5 %, il passerait avec la réforme à 5,5 %. Ce régime serait désavantageux pour la profession vétérinaire. Certes, nous avons conscience qu’il faut diminuer le rendement pour le sécuriser, mais on ne peut pas passer brutalement de 7,5 à 5,5 %.
Ce régime est calqué sur celui des salariés, pour lesquels l’employeur participe pour plus de la moitié à l’effort de cotisation. On demande aux libéraux, qui sont leur propre employeur, d’assumer seuls le même niveau de cotisation. Notre effort est déjà conséquent, et atteindre 28 % serait particulièrement pénalisant, cela poserait aussi des problèmes de trésorerie.
La France ne fait-elle d’ailleurs pas figure d’exception avec cette réforme ?
En effet, dans la grande majorité des autres pays européens, le régime de base, sur lequel repose la solidarité, est assis sur une assiette de l’ordre de 30 000 à 50 000 €, cela n’est ainsi jamais aussi élevé que dans ce projet. En France, ce niveau d’assiette annoncé est particulièrement élevé, car il vise à inclure tous les fonctionnaires et à éviter de gérer spécifiquement leurs retraites en créant un système global.
Faut-il craindre la disparition des caisses de retraite ?
Les caisses de retraite continueront probablement à collecter les cotisations, bien que cela puisse aussi être remis en cause, en témoigne la démarche de l’Urssaf auprès de la Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF) qui se positionne avant même la réforme pour gérer la récupération de leurs cotisations !
Les caisses continueraient à recevoir les adhérents au téléphone, à verser les retraites, elles s’occuperaient encore du régime invalidité-décès et de l’action sociale, mais elles n’auraient plus de rôle politique et de gestion du régime complémentaire.
Aujourd’hui, le conseil d’administration de la CARPV a en effet un rôle politique et une autonomie dans ses choix de gestion, même si, bien entendu, cela se fait sous le contrôle de notre tutelle. Avec la réforme, nous risquons de perdre tout rôle politique.
Attendez-vous des évolutions ?
Le rapport du haut-commissaire à la réforme des retraites est une chose ; le Premier ministre va recevoir les syndicats, dont le Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral (SNVEL). La CARPV n’est pas certaine d’être interrogée, on peut même dire qu’elle a été rapidement écartée des précédentes auditions.
Nous souhaiterions que le régime universel se superpose à ce qu’est le régime de base actuel, c’est le pilier de retraite universelle et solidaire : on paye les mêmes cotisations, les mêmes rendements, on participe au droit contributif à hauteur de 20 à 25 % (congés maladie, maternité, etc.). Nous souhaiterions que le deuxième pilier de la retraite des libéraux soit représenté par nos régimes complémentaires, qui sont équilibrés et ne coûtent rien à l’État.
Est-ce à prévoir un large mouvement de contestation dans les semaines à venir ?
Le 16 septembre prochain, les avocats se sont donné pour mot d’ordre d’organiser une manifestation. Ils ne font pas partie de Pro’Action Retraite. Ce mouvement de manifestation est aimanté par le syndicat des avocats. Nous allons déterminer rapidement sous quelle forme nous souhaitons exprimer notre désaccord.
Peut-on encore être confiant en cette rentrée ?
Les personnes nées avant 1963 ne sont pas concernées par cette réforme, mais les nouvelles générations le sont. Les professionnels libéraux sont les grands perdants de cette réforme.
Nous espérons que le gouvernement reconnaisse les spécificités des professions libérales. Nous avons des phases dans nos vies professionnelles qui nécessitent de faire des investissements, donc il faut qu’on nous permette de moduler nos cotisations et ne pas nous imposer un taux fixe de 28 %. Cette réforme découragerait alors les libéraux. Si nous sommes compris et entendus par certains politiques, aujourd’hui, nous attendons des actes.
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