Démontrer une intoxication aiguë grâce aux cartes et aux données satellite - La Semaine Vétérinaire n° 1822 du 04/10/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1822 du 04/10/2019

CONFÉRENCE

PRATIQUE MIXTE

Formation

Auteur(s) : TANIT HALFON 

L’intoxication d’une colonie d’abeilles peut être liée soit à une exposition interne à la ruche (traitements médicamenteux, complémentation alimentaire, etc.), soit à une exposition externe de diverses origines (agricole, industrielle, jardin de particulier, actions collectives de salubrité publique, etc.). En cas de suspicion d’intoxication aiguë, l’enquête environnementale devra s’attacher à identifier le périmètre de butinage potentiel des abeilles, les substances à l’origine de l’intoxication, ainsi que les sources d’exposition chimique. L’utilisation de données satellitaires, cartographiques et météorologiques constitue une étape essentielle pour y parvenir1. Au préalable, il convient de récupérer les coordonnées GPS (pour global positioning system ; encadré ci-dessous) de localisation du rucher pour ensuite pouvoir définir l’aire de butinage. Le GPS de son véhicule peut être utilisé, ou encore les applications de géolocalisation accessibles sur les smartphones. Par exemple, sur Google Maps, les coordonnées en degrés décimaux (DD) ou sexagésimaux (DMS : degré, minute, seconde) peuvent être obtenues en cliquant directement sur le point de géolocalisation. Ces coordonnées sont ensuite vérifiables sur des sites de géolocalisation comme Coordonnees-gps.fr. L’apiculteur, qui possède une connaissance du territoire environnant, des potentielles sources d’exposition et des périodes de miellées, peut aussi apporter des informations précieuses.

Un relevé des zones potentielles d’exposition

Les photographies satellitaires, librement accessibles via plusieurs services et sites de cartographie comme Google Earth, Google Maps, Satellites.pro et Cartesfrance.fr, permettent d’identifier différentes zones d’intérêt pour l’enquête : zones urbaines, industrielles, centres commerciaux, de méthanisation, bâtiments d’élevages industriels, haies, forêts, cours d’eau, serres, cultures maraîchères, etc. La précision de certaines cartes fait apparaître les ruches, voire les traces de passage d’engins agricoles dans les champs de culture. Croiser ces cartes avec les photos deMapstreetviewpeut être utile, notamment en cas de doute sur le type de cultures pérennes observé. En outre, Geoportail.gouv.fr (encadré ci-contre) permet de compléter ces données, de par l’accès à des éléments géographiques, hydrographiques et des cultures en place. Ce travail d’analyse des cartes peut révéler des parcellaires plus ou moins morcelés, avec parfois plus de 100 agriculteurs sur la zone de butinage de 3 km. Aussi est-il nécessaire de bien identifier au préalable et sur le terrain les sources d’exposition pertinentes. À noter que des zones de butinage s’étendent parfois sur de multiples départements ou régions. Dans ce cas, une collaboration avec plusieurs directions départementales est requise. Si ces outils de cartographie permettent d’appréhender les aires de butinage potentielles des abeilles, ils ne suffisent pas. Leur exploitation doit être forcément complétée par une enquête environnementale de terrain, afin de croiser les informations et de mieux définir les sources d’exposition des colonies.

Des données météorologiques à consulter

Outre ces éléments cartographiques, les données météorologiques revêtent également un intérêt, sachant que l’exposition environnementale n’est possible que s’il y a sortie des abeilles de la ruche… Une sortie qui dépend notamment des conditions climatiques (température, vent, pluie, etc.). Ces dernières impactent aussi la vie intérieure de la colonie et donc les symptômes observés, de même que la consommation et l’état des réserves alimentaires. En outre, elles influent sur la production de nectar, et donc sur l’attractivité des plantes en fleur. Ainsi, une floraison abondante n’est pas forcément synonyme de bonne miellée. Plusieurs sources d’information des conditions météo passées2 sont accessibles sur Internet, mais il convient de récupérer les données rapidement, car certains sites ne les conservent pas longtemps. L’idéal est de les extraire le jour de la déclaration. Pour exemple, si les relevés météo montrent une période pluvieuse, venteuse, et aux températures moyennes inférieures à 10 °C, il en résulte que la période était vraisemblablement peu favorable à l’activité extérieure des abeilles mellifères, avec une aire de butinage potentiellement réduite. De plus, les conditions météorologiques difficiles rendent délicates les applications de produits phytopharmaceutiques et les floraisons peuvent s’étaler dans le temps. Attention toutefois à la localisation des stations météorologiques et à la variabilité des conditions météo locales (vent, pluie, température, ensoleillement, etc.). Afin de mieux les caractériser, s’informer auprès d’une station fiable et située à proximité des ruchers impactés est conseillée.

1 Outre l’utilisation des cartes, la démonstration toxicologique s’appuie sur la qualité du suivi des ruchers par l’apiculteur (notamment la chronologie des événements), le diagnostic différentiel des troubles observés et l’analyse des matrices apicoles et végétales.

2 Sur le site de Météo France, les données des conditions météo passées sont payantes. Les sites Meteociel.fr ou Meteo60.fr mettent aussi des informations à disposition.

GÉOPORTAIL, DES CARTES ET DES OUTILS

Le site de Géoportail1 met à disposition des fonds cartographiques, auxquels s’ajoutent un certain nombre d’informations et d’outils. Ainsi, les registres parcellaires graphiques (RPG) des années précédentes2 (déclarations PAC [politique agricole commune] à partir de l’année n-2 jusqu’aux années 2007-2008) sont accessibles, et associés au détail de chaque parcelle (type de culture). Les données de l’année en cours ne sont pas disponibles. Cependant, la connaissance de la rotation des cultures sur plusieurs années, via les RPG, est un bon indicateur des espèces végétales cultivées sur la zone enquêtée. Il peut être également intéressant de visualiser les zones correspondant aux mesures compensatoires prescrites des atteintes à la biodiversité (onglet “Espaces protégés”). Les services de l’État disposent d’informations supplémentaires, à savoir les déclarations PAC de l’année n-1, les coordonnées des exploitants et leur profil (agricultures raisonnée, biologique, etc.) et les RPG de chaque exploitation. Les cartes de Géoportail permettent de mettre en parallèle plusieurs informations utiles, au minimum la localisation des ruches et les cultures attractives. Une visualisation cartographique et temporelle des traitements insecticides appliqués est aussi intéressante à faire. À noter que ce sont principalement les cultures disposant d’aides financières qui sont déclarées au titre de la PAC. Il est donc nécessaire de se servir des données satellites afin de compléter les données manquantes.

1 Geoportail.gouv.fr.
2 Les déclarations PAC des cultures sont habituellement effectuées en mai de l’année en cours.

Cédric Sourdeau Vétérinaire, chef du pôle sécurité sanitaire de la production végétale à la Draaf Pays-de-la-Loire. Article rédigé d’après une présentation faite aux journées nationales des GTV à Nantes (Loire-Atlantique), du 15 au 17 mai.

DES FLEURS PLUS OU MOINS ATTRACTIVES

Toutes les plantes à fleurs n’ont pas la même attractivité pour les abeilles, celle-ci étant liée à la production de nectar. Ainsi, les fleurs de pommiers produisent 3 à 7 mg de nectar par jour d’une concentration en sucre pouvant atteindre les 55 %. Les fleurs de colza, quant à elle, produisent 0,2 à 2 mg par jour de nectar, avec une concentration en sucre de 40 à 60 %. La conséquence est que les abeilles peuvent parcourir de plus longues distances afin de butiner les fleurs les plus attractives, dans cet exemple celles des pommiers. L’attractivité dépend aussi des conditions climatiques (température, hygrométrie, vent, etc.), des différences variétales et des conditions pédologiques.