« Il y a d’importantes interrogations sur le futur de l’élevage allaitant » - La Semaine Vétérinaire n° 1822 du 04/10/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1822 du 04/10/2019

ENTRETIEN AVEC JEAN-LUC ANGOT

ACTU

Auteur(s) : MARINE NEVEUX 

Notre confrère Jean-Luc Angot a été nommé à la Commission d’évaluation du projet d’accord entre l’Union européenne et le Mercosur. Il nous apporte son éclairage sur ce projet.

En effet, le Premier ministre a confié à une commission d’experts indépendants la mission de mener une évaluation du projet d’accord commercial. Notre confrère est l’expert sanitaire. Le rapport devrait être remis fin octobre.

Jean-Luc Angot avait également été retenu pour la commission d’évaluation de l’accord commercial entre l’Union européenne (UE) et le Canada sur l’environnement et la santé (Comprehensive Economic and Trade Agreement, Ceta), en raison de son expertise en santé animale et en sécurité sanitaire des aliments.

Ces accords commerciaux font polémiques dans le monde agricole français. Éclairage avec notre confrère sur les aspects sanitaires.

Quelles sont les étapes à venir pour le projet d’accord d’échanges avec plusieurs pays de l’Amérique du Sud (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay, dit Mercosur) ?

Lorsque nous avons été sollicités pour établir un rapport sur le Ceta, ce dernier avait déjà été adopté par le Parlement européen, donc nous avions peu de temps… Avec le Mercosur, l’échelle de temps est bien différente. Nous sommes plus en amont du projet, car cela n’a pas encore été validé par les chefs d’État ; une réunion est prévue en novembre au cours de laquelle les chefs d’État devront prendre position, puis ce sera au tour du Parlement européen.

Le Mercosur n’est pas un marché commun aussi intégré que l’UE, chaque pays a sa propre réglementation. Un accord de libre-échange est en projet, mais ensuite chaque État aura à négocier pour l’exportation des produits européens. La France peut négocier un certificat sanitaire avec le Brésil, un autre avec le Paraguay par exemple, différents des certificats négociés par l’Allemagne.

A l’importation, cela relève de la compétence de l’UE, à l’exportation, chaque pays “fait son marché”, en l’occurrence avec chacun des pays du Mercosur.

Quel est le rôle de la Commission d’évaluation du projet d’accord entre l’UE et le Mercosur ?

Cette commission a pour mission de fournir des éléments objectifs qui alimenteront la discussion des chefs d’État en novembre. Le volet déforestation est un périmètre nouveau en comparaison du Ceta.

L’accord avec le Mercosur prévoit notamment 99 000 t de bœufs importés dans l’Union, où iront-elles ?

Dans l’UE, il sera difficile de dire où elles vont exactement. Lorsqu’elles ont été dédouanées à Rotterdam par exemple, elles doivent remplir les conditions d’importation, mais ensuite les douanes ne connaissent pas les lieux de destination de la viande.

En outre, on ne peut pas comparer des tonnages globaux de viandes à des pièces nobles. Par exemple l’aloyau exporté vers l’UE rentre beaucoup plus en concurrence avec la production européenne et notamment française (élevage allaitant), avec la majeure partie des importations qui est destinée à la restauration collective et commerciale.

L’Agriculture française n’est-elle pas sacrifiée dans un accord pensé avant tout pour l’industrie ?

L’Agriculture est en effet un secteur qui a de vraies spécificités, régies par une politique européenne, la PAC ; ce n’est pas un secteur industriel classique comme d’autres qui sont très intéressés par un accord avec le Mercosur : industrie automobile, du luxe, etc.

Ces accords ne menacent-ils pas les éleveurs français ?

À terme, si tous les pays remplissent leur contingent, cela aura des répercussions sur l’élevage allaitant car cela entrera en concurrence avec la production française d’aloyau.

Il y a d’importantes interrogations sur le futur de l’élevage allaitant. Le secteur laitier est plus épargné en raison de la reconnaissance d’AOP et d’IGP par l’accord.

Comment s’assurer du respect des normes européennes de tous ces accords transatlantiques ?

Pour le Ceta, l’UE a des exigences pour les hormones de croissance chez les bovins et la ractopamine chez les bovins et les porcs : elles sont interdites. Les producteurs canadiens doivent mettre en place des filières consacrées au respect de ces exigences européennes ; actuellement, il n’y a pas de risque majeur de concurrence car ils ont peu de structures dédiées, c’est à moyen et long terme qu’il faudra être vigilant, d’où l’importance d’un suivi précis.

Les producteurs canadiens peuvent en revanche continuer à utiliser dans l’alimentation des ruminants certaines protéines comme les farines de sang, la gélatine, des farines animales à base de volailles, de porcs et d’équidés (ce qui est interdit par l’UE en raison du principe de précaution). À court terme, ils ont encore la possibilité d’utiliser des antibiotiques comme facteur de croissance.

Y a-t-il une homogénéité des normes sanitaires pour les pays du Mercosur ?

Je les étudie actuellement, mais il existe des différences, on peut par exemple utiliser les antibiotiques comme facteurs de croissance au Brésil alors que l’Argentine les interdit. Les systèmes d’identification des animaux ne sont pas non plus les mêmes entre les 4 pays.

Des contrôles apportent-ils une totale sécurité ?

Des contrôles sont effectués à l’importation dans les postes frontières. Ils sont peu nombreux en comparaison du tonnage importé.

Au Canada, la problématique des faux certificats vétérinaires d’exportation pour la Chine a motivé des missions d’audits de l’UE afin de vérifier qu’il y a bien une étanchéité dans les filières et au niveau de l’exportation. Le premier rapport de la commission d’évaluation de l’impact du Ceta (dit rapport Schubert) préconisait déjà plus de missions sur le terrain dans les pays exportateurs.

Pour le Mercosur, on a de multiples interrogations, alors qu’actuellement les exportations vers l’UE de viandes de volailles brésiliennes sont suspendues à la suite de la falsification des résultats relatifs aux Salmonelles sur quelques milliers de tonnes de poulets brésiliens.

Propos recueillis par Marine Neveux

MERCOSUR : LES PRODUITS ANIMAUX CONCERNÉS

Côté exportations vers l’Union européenne

• 99 000 t de bœufs avec un droit de douane à 7,5 %

• Suppression de tous les droits de douane sur les 60 000 tonnes de viandes de qualité (élevage extensif herbager) actuellement importées du Mercosur

• 25 000 t de porcs à 83 € de droit de douane par tonne

• 180 000 t de volailles à taux zéro

• Fromages et produits laitiers
Côté importation du Mercosur

• 30 000 t de fromages sans droit de douane

• 10 000 t de poudre de lait sans droit de douane

• Indications géographiques protégées (IGP) et autres AOP (appellations d'origine protégées) : protection de 335 produits européens

LA PORTE OUVERTE À L’APPAUVRISSEMENT DES NORMES SANITAIRES EN EUROPE ?

Quand un pays adopte une norme qui n’est pas reconnue par la communauté internationale, il peut perdre s’il est attaqué en contentieux (Organisation mondiale du commerce), comme l’a fait l’Amérique du Nord contre l’Union Européenne (UE) sous prétexte que cette dernière contrevenait aux règles du Codex Alimentarius (le principe consiste à ne pas pouvoir interdire de substances sans apporter la preuve scientifique de leur dangerosité). Néanmoins, l’UE a fait le choix de maintenir sa réglementation, mais en contrepartie des sanctions ont été mises en place (sur le vin et le foie gras français essentiellement).
Pour la ractopamine, il n’y a pas eu de contentieux. Une LMR a été adoptée par le Codex Alimentarius, l’UE maintient son interdiction sur la ractopamine. D’ailleurs, le Canada l’utilise peu du fait de ses exportations de viande de porc vers la Chine et la Russie qui l’interdisent aussi.
En outre, l’article 118 du règlement européen sur le médicament vétérinaire introduit l'interdiction d'utilisation de certains antimicrobiens ou de certains usages (promoteurs de croissance) pour les produits animaux ou animaux exportés depuis les pays tiers. Son application sera effective en 2022.

UNE NOUVELLE DONNE AVEC LE BREXIT ?

Les accords Ceta et avec le Mercosur ayant été négociés avec le Royaume-Uni, on peut s’interroger sur la destination des viandes lorsqu’il sortira de l’Union Européenne (UE). L’Irlande qui est un gros exportateur de viande écoule une importante partie de sa production au Royaume-Uni ; ce qu’elle ne pourra plus exporter vers ce pays se retrouvera sur le marché de l’UE.