CONFÉRENCE
PRATIQUE CANINE
Formation
Auteur(s) : MYLÈNE PANIZO
LL’apparition d’une thromboembolie aortique chez le chat constitue une urgence majeure, car elle est toujours brutale et grave. Elle révèle l’existence d’une cardiopathie évoluée, et nécessite des soins d’urgence, puis des traitements spécifiques et préventifs.
La formation d’un thrombus est secondaire à une cardiopathie, généralement à une cardiomyopathie hypertrophique (maladie cardiaque la plus fréquente chez le chat). Lors d’une cardiopathie avancée, l’oreillette gauche se dilate, entraînant d’une part une stase sanguine et d’autre part des lésions vasculaires, favorisant le phénomène thrombotique. Dans la majorité des cas, le caillot se forme au sein de l’oreillette gauche, puis se déplace dans le ventricule gauche, avant d’être propulsé dans l’aorte. Selon la taille du caillot, l’obstruction peut avoir lieu au niveau de la trifurcation aortique (cas le plus fréquent) ou de l’artère fémorale. Avec les outils d’imagerie médicale de plus en plus performants, des cas d’obstruction d’artères rénales ont été également mis en évidence.
Les races prédisposées aux maladies cardiaques sont sujettes aux thromboembolies, bien que, dans les études, les chats européens soient majoritaires (biais de représentation probable). L’âge moyen pour l’épisode thromboembolique est de 8 ans. Les mâles sont prédisposés, sans qu’il y ait d’explication établie. La cardiopathie est connue des propriétaires dans seulement 15 % des cas. Il est estimé qu’environ un chat cardiopathe sur cinq développera une thromboembolie clinique. La saison n’influe pas sur l’apparition d’une thromboembolie aortique.
Généralement, l’animal est présenté en état de choc : tachycardie, détresse respiratoire et parfois hypothermie. Le tableau clinique spécifique de la thromboembolie aortique suit la règle des “5P” :
- Paralysie : d’apparition subaiguë, la paralysie atteint un ou plusieurs membres, majoritairement les postérieurs. Cependant, des emboles situés dans l’artère brachiale ont été décrits, entraînant une paralysie antérieure.
- Painful (douleur) : il s’agit d’une affection extrêmement douloureuse au moment de l’embolie. 12 à 24 heures plus tard, la nécrose des tissus et l’ischémie diminuent la sensation de douleur.
- Pulseless (absence de pouls) : elle est généralement constatée au niveau des deux membres postérieurs (artères fémorales). En cas d’atteinte antérieure, l’absence de pouls est plus délicate à constater.
- Pâleur des muqueuses : il est conseillé de comparer la couleur des coussinets plantaires des pattes avant et arrière. Lors de thromboembolie, les coussinets du ou des membres atteints sont pâles ou cyanosés.
- Polar (froid) : les extrémités des membres atteints sont froides.
Stabilisation
L’animal doit d’abord être stabilisé. Il convient de traiter les conséquences de la cardiopathie : apport d’oxygène, sédation, diurétique en cas d’œdème pulmonaire, thoracocentèse si besoin. L’animal doit être réchauffé.
La gestion de la douleur est primordiale : il est conseillé d’utiliser du fentanyl à 2 µg/kg par voie intraveineuse (IV) toutes les 20 min (ou à 2 µg/kg/h lors d’utilisation en perfusion continue). En cas d’absence de fentanyl, la morphine ou la méthadone, à la dose de 0,2 mg/kg IV toutes les 4 heures, sont de bonnes solutions alternatives. Ces molécules n’ont pas ou très peu d’effet dépresseur respiratoire à ces posologies. La buprénorphine n’est pas recommandée car son délai d’action est long pour une douleur suraiguë (environ 30 à 45 min). En l’absence de morphinique fort, il est préférable d’utiliser du butorphanol pour son action sédative (à la dose de 0,3 à 0,4 mg/kg IV toutes les 30 minutes) afin de calmer l’animal.
Thrombolyse
Rétablir la perméabilité vasculaire en effectuant une thrombolyse est actuellement controversé. Les études sur le sujet sont peu nombreuses et regroupent un faible nombre d’animaux. La thrombolyse est un acte à risque, qui nécessite une surveillance accrue et continue. Il est recommandé de la réaliser dans un centre de soins intensifs, au sein duquel le personnel est formé et habitué à prévenir et à traiter les complications potentielles. La thrombolyse consiste en l’administration de l’activateur tissulaire du plasminogène (tPA). Le tPA stimule la plasmine, enzyme qui dégrade les caillots de fibrine, et favorise ainsi la lyse du caillot. Il semblerait que les bénéfices de ce traitement soient supérieurs aux risques si l’embolie et la thrombolyse ont eu lieu dans les 6 heures. Les effets secondaires du tPA peuvent être mortels : hémorragie, hyperkaliémie sévère d’apparition rapide, hypercalcémie et insuffisance rénale. Avant la réalisation d’une thrombolyse, il est impératif d’avoir posé une voie veineuse fonctionnelle et sécurisée, et réalisé tous les prélèvements nécessaires aux analyses sanguines. Le protocole utilisé par les spécialistes est le suivant : un bolus initial de 0,1 mg/kg IV sur une minute, puis une dose à 0,9 mg/kg IV sur 1 heure en perfusion continue. Ce traitement est coûteux, le flacon étant vendu environ 300 €. Selon les études, le taux de récupération (retour d’une perfusion périphérique et d’un fonctionnement moteur périphérique) varie entre 40 à 50 %, et les taux de survie à court terme de 30 à 50 %. Les taux de survie à long terme dépendent du type et de l’avancement de la cardiomyopathie.
Le pronostic des thromboembolies aortiques du chat est variable. Il a été décrit que l’hypothermie à l’admission était un facteur prédictif négatif pour la survie, mais, en pratique, il semblerait que ce soit la rapidité de la prise en charge qui conditionne le pronostic. Les chances de récupération sont augmentées si la prise en charge de l’animal a lieu dans les 6 heures suivant le début des signes cliniques. Il convient toutefois de ne pas oublier que, lors de thromboembolie, les chats sont aussi le plus souvent atteints d’une cardiopathie avancée, pour laquelle le pronostic à long terme est toujours réservé.
Les recommandations actuelles conseillent d’associer un antiagrégant plaquettaire et un anticoagulant. Le clopidogrel (Plavix®1) est l’antiagrégant plaquettaire de référence. Chez le chat, la dose est de un quart de comprimé de Plavix® 75 mg per os une fois par jour, à vie.
Les anticoagulants pouvant être employés chez le chat sont les héparines et les inhibiteurs spécifiques du facteur X. Leur utilisation permet de limiter l’amplification du caillot ou la formation de nouveaux caillots, mais pas de les lyser. L’enoxaparine sodique (Lovenox®1) est une héparine de bas poids moléculaire qui s’administre à la dose de 75 ui/kg par injection sous-cutanée toutes les 6 heures (ou à 100 ui/kg toutes les 12 heures). Son coût est élevé. Au sein de plusieurs centres spécialisés, dont le centre hospitalier vétérinaire Frégis, le rivaroxaban (Xarelto®1, inhibiteur spécifique du facteur Xa) est privilégié. Il est administré per os à la dose de 1,25 mg par chat toutes les 12 heures ou de 2,5 mg par chat par jour. Il convient de rester prudent en utilisant ces molécules, car il n’y a que peu de recul sur leur usage chez le chat.
•
1 Pharmacopée humaine.